La souveraineté alimentaire française : enjeu de puissance

Les différents cris d’alarme du Haut Commissaire au Plan François Bayrou et la proposition de résolution à créer une exception agricole française et européenne dans les traités de libre échange témoignent d’une prise en compte du caractère indispensable du secteur agricole pour la sécurité d’un pays comme la France. Ce constat révèle les leviers de puissance économiques et sociales pouvant permettre à l’agriculture française et/ou européenne de garder sa place dans l’ordre mondial et de subvenir aux besoins alimentaires de sa population.

La souveraineté alimentaire française remise en question

La France, première puissance agricole européenne et dans les places fortes mondiales en la matière, voit sa place vaciller. Stagnation de la production agricole, perte du nombre d’agriculteurs et de surface utile sont autant d’indicateurs qui alertent sur la situation difficile  de la puissance agricole de la France. En effet, un rapport du Sénat, dont les observations tendent à se confirmer, montre que la France sera pour la première fois depuis 1945 (hormis l’année 1974 pour cause de grande sécheresse) déficitaire en matière de balance agricole dès 2023. Déjà déficitaire avec ses partenaires européens en 2019, la situation s’est confirmée via la sortie d’un document émanant du Haut Commissariat au plan montrant les postes/produits déficitaires de plus de 50 millions d’euros toujours en 2019. Cette liste, même si elle reste à relativiser de par l’utilité de certains produits ou par l’incapacité de relocaliser certaines productions sur le sol national, tend à montrer l’érosion de la production agricole française.

La France est de plus en plus dépendante des pays extérieurs pour subvenir aux besoins de sa population: ses exportations sont quasiment stables depuis 10 ans alors que ses importations ont augmenté de 24% sur la même période. Les deux secteurs qui permettent encore à  la France de tenir sa place d'exportateur, ce sont les boissons et les céréales. Ainsi, il apparaît que la France dégage une balance commerciale positive majoritairement grâce à ses exportations de vins et spiritueux mais a constamment perdu des parts de marché sur les autres secteurs de viande ou de légumes.

                           

 

Le nécessaire renouvellement économique du modèle agricole français

Pour conjuguer l’impératif écologique au renouvellement du modèle agricole, l’enjeu est de mettre en place un système où la qualité du produit ne soit pas concurrencé par un produit de qualité moindre moins cher car non-issu de la filière biologique. Cette nécessité doit permettre de protéger les agriculteurs d’une concurrence déloyale, ce qui est souvent reproché à l’Union Européenne ceux à quoi entend lutter la France via la présidence de l’UE avec les clauses miroirs. Ainsi, des pays comme la France qui ont des standards élevés au niveau écologique se retrouvent en concurrence avec les standards bien moindres d’autres pays comme la Pologne et la Roumanie. Ces clauses miroirs exigeraient donc que les produits importés respectent les normes environnementales que ceux produits sur ce territoire donné pour éviter une distorsion de concurrence. Le manque d’harmonisation des normes brouille également la reconnaissance des différentes appellations écologiques et ne permet pas de distinguer le potentiel greenwashing opéré par certains producteurs agricoles. La montée en gamme des produits agricoles ainsi que la diversification de ces produits demanderaient certainement un activisme public via des  subventions ou protections des marchés extérieurs, or ces mesures protectionnistes peuvent être mal vues par le milieu agricole autant que par le paradigme libéral de Bruxelles.

Dans le même temps, la politique agricole commune (PAC) qui reste l’élément central de la politique agricole en France n’est pas non plus exempte de toute reproche dans les problèmes de l’agriculture française. Si la PAC est un élément de puissance et de rayonnement pour l’agriculture française, elle peut être un problème dans la montée en gamme des produits agricoles français. Ainsi, les produits français, hautement normés socialement et environnementalement, sont en concurrence avec des produits qui le sont beaucoup moins. Les profondes restructurations faites au lendemain de la seconde guerre mondiale ont permis à la France de redevenir un acteur majeur dans le monde agricole. La mécanisation de l’agriculture a décuplé les moyens de production des agriculteurs alors que dans le même temps leur nombre diminue. Pour autant, cette mécanisation a poussé le monde agricole à subir beaucoup plus de critiques.

L’Agribashing, une offensive informationnelle contre le monde agricole 

Depuis quelques années, apparaît dans le débat public le thème d’Agribashing qui correspond aux attaques contre le modèle agricole français et son dénigrement systématique basé sur son impact écologique ou sur le bien-être animal. Ce terme témoigne de la prise en compte de la variante écologique et éthique dans l’équation pour les agriculteurs. Ces dernières années, les associations écologistes et animalistes ont multiplié les attaques informationnelles contre le milieu agricole pour tenter de gagner des adhérents à leurs causes. Dans le même temps, les agriculteurs tentent de défendre leur cause auprès des institutions. Ainsi en 2018 est créée la cellule Demeter rattachée à la Gendarmerie nationale qui lutte contre les intrusions au sein des exploitations agricoles. Ces attaques informationnelles jouant parfois sur le sensationnel via les mouvements comme L214 ou Extinction Rebellion parviennent à fédérer contre le modèle intensif actuel de l'agriculture française. Le monde agricole a du mal à se mobiliser concrètement contre ces attaques malgré le fort poids des syndicats agricoles se basant sur des anciens systèmes de communication plus forcément adaptés aux enjeux actuels. En revanche, la fédération nationale de la chasse et son patron Willy Schraen ont parfaitement intégré cette dimension informationnelle dans le combat. Pour autant, la nouvelle génération d’agriculteurs est peut-être plus apte à comprendre ses codes et défendre leur image comme peut le faire Marco sur le réseau social TikTok.

Le monde agricole est donc à une croisée des chemins, le caractère protéiforme de ce milieu l’implique dans des questions environnementales, de santé, de souveraineté mais également des problématiques sociales qui en font une carte maîtresse dans la transition écologique à venir, à la France de s’en saisir.

 

Nathan Crouzevialle 

 

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