Sur fond de guerre en Ukraine, Engie (et la France) opère un revirement dans le gaz de schiste

Lundi 2 mai, Engie et le producteur américain de GNL NextDecade ont annoncé avoir signé un contrat d’approvisionnement prévoyant la vente de 1,75 million de tonnes de GNL par an sur une durée de 15 ans. Le gaz importé par Engie sera produit au Texas, à Brownsville, qui doit sortir de terre en 2026.

Ce projet est d’abord un revirement pour la France dans sa politique vis-à-vis du gaz de schiste. En négociation depuis des années (estimée à près de 7 milliards de dollars, les discussions prévoyaient l'importation annuelle de volumes compris entre 1,9 et 2,9 millions de tonnes pendant une durée de 20 ans), ce contrat a été annulé par l’État français qui détient 23,6% du capital d'Engie en mettant en avant le coût écologique trop fort du gaz de schiste. Plusieurs associations de défense de l'environnement avaient fait pression sur le gouvernement, en soulignant que ce GNL était produit par fracturation hydraulique, un mode d'extraction interdit en France en raison de la pollution qu'il génère.

Cette décision peut se comprendre au regard des évolutions de la géopolitique mondiale et du besoin de réduire la dépendance de l’Europe à la Russie pour la fourniture d'énergie. Mais cette diversification peut apparaître comme une “américanisation” de nos énergies, où le GNL américain remplace le gaz russe. Ainsi, alors que l’Europe importait en janvier 2021 pas loin de 2 milliards de mètres cubes, les importations européennes de GNL américain ont doublé pour atteindre 4,4 milliards de mètres cubes, ce qui représente 44% du total du GNL importé en Europe. De même, la Commission européenne et les États-Unis ont signé un accord pour livrer 15 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié supplémentaires dès cette année… En mars 2022, 75% des cargaisons de GNL américain partaient pour l’Europe et la Turquie alors qu’en mars 2021, elles étaient seulement de 44%. Enfin, l'accord prévoit que dès l’année prochaine, l’Europe importera jusqu’à 50 milliards supplémentaires de GNL américain, et ce, jusqu’en 2030, permettant de combler un tiers des importations énergétiques en provenance de Russie. 

À la dépendance en ressources doit s’ajouter un manque criant en Europe d’infrastructures capables de transformer en gaz le GNL, ce qui nécessite de lourds investissements et enferme l’Europe dans une politique énergétique à long terme qui ne tiendrait pas compte des engagements des accords de Paris…

Dans le même temps, la France, qui est déjà dotée de quatre terminaux méthaniers terrestres, travaille sur une cinquième installation dans le port du Havre. La France deviendrait ainsi le 1er pays le plus important en termes de capacités d’importation de GNL en Europe. Enfin, alors qu’en 2019, seulement 14% du GNL importé en France venait des États-Unis, cette part devrait désormais plus que doubler (pour passer à 30 % de GNL importé en France en provenance des États-Unis). Autant d’investissements modifiant en profondeur la politique énergétique de l’Europe sur le long terme… pour le plus grand bénéfice américain. 

Alors que la souveraineté fait un retour en force, on peut s’interroger sur la dépendance profonde de nos économies aux énergies fossiles. Les mesures de sobriété, comme la réduction des températures de chauffage, et d’efficacité énergétique, telles que l’isolation des bâtiments, l’installation de pompes à chaleur, ou le développement d’un hydrogène souverain (à partir d'énergie verte ou nucléaire) contribuent à la réduction accélérée de notre dépendance  au gaz russe. Cela, sans déporter notre dépendance des Russes aux Américains. 

Étonnant paradoxe, où l’exploration de gaz de schiste est interdite en France pour des raisons écologiques, mais où l’importation du GNL explose et que la France tend à devenir la première plateforme d’importation de GNL en Europe.

 

Arnaud Sers

 

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