Les clubs Droit et Intelligence économique et Relations Publiques de l’AEGE ont eu la chance de s’entretenir avec Maître Jean-Baptiste JUSOT, avocat et représentant d’intérêts. Au travers de cette interview, il revient sur l’originalité de cette double activité, ses avantages et ses contraintes.
Le Club Droit & IE et le Club Relations Publiques : Quel est votre parcours ?
Maître Jusot : Après une formation au Centre de Formation des Journalistes (CFJ), j’ai été reporter pendant plusieurs années, dans différents médias en France ou envoyé spécial à l'étranger pour couvrir des conflits au Moyen-Orient, en Afrique ou en Asie du Sud-est. Devenu directeur de cabinet et de la communication de collectivités territoriales (de 20 000 à 120 000 habitants), j’ai conseillé et accompagné des élus locaux au niveau local ou national pendant 10 ans. Homme de réseaux et de relations publiques, j’ai été membre de plusieurs associations de collaborateurs d'élus (administrateur et membre du bureau de l’association nationale COLLCAB, devenue DEXTERA). Cette expérience m’a apporté une expertise dans le domaine du droit des collectivités, du droit administratif et du droit public.Côté formation, je suis diplômé d’une école de journalisme et d’un M1 en droit, sciences politiques et un M2 en géopolitique. J’ai complété ma formation en suivant le cursus HEC-executive education des dirigeants de sociétés publiques locales.
Après une riche expérience de conseil et d'accompagnement des élus locaux et des collectivités territoriales, je suis devenu avocat, inscrit au Barreau de Lyon. J’ai prêté serment le 21 janvier 2021. Parallèlement, à mes activités d’avocat, je participe régulièrement à des missions extérieures dans des zones géopolitiques sensibles, comme analyste et expert en action d'influence.
Le Club D&IE et RP : Dans quel cadre juridique s’inscrivent vos activités d’avocat et de représentant d’intérêts ? Comment s’articulent vos deux professions ? Quelle valeur ajoutée l’une apporte-t-elle à l’autre ?
M.J : J’ai créé un cabinet d’avocats, la SELARL CONVICTIO legal afin de pouvoir développer une activité de lobbying comme le permet le Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat. En effet, depuis 2011, à l’initiative du barreau de Paris, la profession d’avocats s’est ouverte à de nouvelles activités : fiduciaire, mandataire d’artiste et d’auteur ou mandataire sportif, ou encore représentant d’intérêts/lobbyiste.
En m’appuyant sur mes réseaux et sur ma connaissance du travail parlementaire et réglementaire, en tant qu’avocat lobbyiste, je représente les intérêts de mes clients pour influencer l’élaboration des politiques et des processus décisionnels des élus et des institutions, aussi bien au niveau international (Bruxelles, Washington) que national (Parlement) et local (collectivités territoriales, EPCI, syndicats professionnels).
Concernant mon domaine d’activité, j’ai quelques obligations particulières. Sachez par exemple que j’ai dû informer mon bâtonnier, j’ai aussi fait une déclaration auprès de la HATVP (Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Politique) et ma comptabilité est distincte entre le conseil et le contentieux d’une part et le lobbying d’autre part. Les avocats lobbyistes, comme tous les avocats, sont soumis à des obligations déontologiques très importantes afin d’assurer aux clients qu’ils ont à faire des professionnels sérieux, transparents et compétents.
A la différence des cabinets de conseil en influence ou en relations publiques, faire appel à un avocat, professionnel du droit, permet de protéger ses interventions par un secret professionnel absolu. En cas de manquement à cette obligation ordinale, les sanctions peuvent aller jusqu’à la radiation du barreau. Les contrôles sont pointilleux et réguliers par notre Ordre. Je dirais, que ce respect du secret et de la déontologie est la raison d’être de notre profession car c’est ainsi que l’on conservera la confiance qui nous unit à nos clients.
Le Club D&IE et RP : Pour quels types de clients opérez-vous au titre de votre profession d’avocat (particuliers, ETI, grands groupes, etc.) ? Quels sont, en parallèle les entités ou organisations auprès desquelles vous exercez votre influence ?
M.J : J’interviens dans tous les domaines, éducation, vie politique, collectivités, concurrence… mais il y a des secteurs pour lesquelles j’ai une affection comme la défense de la ruralité (agriculture, chasse, pêche, montagne) ou une compétence particulière comme la sécurité et l’univers de la défense.
Prenons un exemple. Récemment, le directeur d’une école privée sous contrat m’a sollicité car la commune dont sont issus ses élèves refuse de verser le « forfait scolaire », pourtant obligatoire aux termes de la loi dite Carle. Le directeur a estimé le manque à gagner à hauteur de 80K€/an. Deux solutions s’offrent à lui : soit porter l’affaire devant le tribunal administratif avec une procédure longue et coûteuse ; soit faire appel à un lobbyiste pour tenter de trouver un terrain d’entente avec le maire récalcitrant. J’ai d’abord étudié la réglementation (loi, décret, débats parlementaires, amendements, etc.) et consulté d’autres élus locaux pour connaître les contraintes et les enjeux pour les communes. Ensuite, j’ai établi une cartographie des acteurs influents sur ce dossier : le maire, son adjointe aux affaires scolaire, son directeur de cabinet, le directeur des services de la ville, etc. Enfin, j’ai proposé une stratégie d’intervention à mon client. Parallèlement, j’ai mobilisé des journalistes locaux et nationaux de mon réseau qui sont prêts à « dégainer » si la situation ne bouge pas, afin d’alerter l’opinion publique, à laquelle les élus sont très sensibles. Aujourd’hui, moins de 15 jours après la demande de l’école, les premières discussions ont débuté avec la mairie, qui nous a offert une oreille attentive.
Un avocat lobbyiste est d’abord un juriste qui analyse et sait interpréter la loi. C’est ensuite, un plaideur qui doit arriver à convaincre et argumenter et c’est enfin un médiateur qui doit trouver un terrain d’entent pour défendre l’intérêt de son client.
Le Club DI&E et RP : Le lobbying et les groupes d’intérêts sont aujourd’hui assez largement critiqués par l’opinion publique. Ils sont accusés de mettre à mal le processus de décision politique et par voie de conséquence, la démocratie. Quelles critiques (positives ou négatives) faites-vous de cette affirmation ?
M.J : Comme nous aimons le rappeler à nos détracteurs, la « représentation d'intérêts », ou le « lobbying », est une composante légitime de tout système démocratique auquel elle participe. Le lobbying recouvre les activités qui visent à informer, pour le compte d'intérêts privés ou publics, individuels ou sectoriels, les décideurs publics. Nous cherchons donc à influencer les décisions susceptibles d’être prises par ces décideurs de tous niveaux, sur l'élaboration des politiques et des textes créateurs de droit et de règles, aussi bien au niveau local que national ou européen.
Nous portons la voix des entrepreneurs, des entreprises, des porteurs de projets auprès de ceux qui font les lois pour qu’ils soient sensibilisés aux contraintes du terrain et de la « vraie vie des vrais gens ». Dans une société où nous constatons chaque jour un décrochage entre les politiques et les citoyens, il est important que ces derniers se fassent entendre, aussi bien au niveau local que national.
Je suis très attaché au principe de subsidiarité que l’on retrouve dans l’article 3 du Traité de Maastricht et comme socle fondamental de la Doctrine sociale de l’Église. Au-delà des références européennes ou théologiques, l’idée de la subsidiarité est de donner la responsabilité de ce qui peut être fait au plus petit niveau d’autorité compétent pour résoudre le problème. Faisons confiance au terrain, écoutons-le avant de prendre des décisions technocratiques et ubuesques. La crise actuelle du Covid nous fournit de nombreux exemples quotidiennement.
N’oubliez pas que chez les Grecs, lorsque les citoyens se réunissaient sur l’Agora, ils débattaient, ils argumentaient, ils s’influençaient. Toutes les décisions étaient précédées de discussion où les différents points de vue se faisaient entendre. On demandait leurs avis aux stratèges, aux magistrats et aux experts. Les philosophes en avaient même développé un art : la rhétorique… l’ancêtre du lobbying en quelques sortes !
Le Club DI&E et RP : Votre cabinet s’inscrit dans une démarche de « lobbying inclusif », comment définiriez-vous cette notion et de quelle manière l’appliquez-vous à vos activités ?
M.J : Lorsque j’ai créé mon cabinet, j’ai beaucoup réfléchi au sens que je voulais donner à mon activité. Bien sûr, j’ai entendu comme vous les critiques sur le lobbying : « les vilains méchants qui menacent la démocratie par l’argent et la corruption ». Je comprends ces réactions épidermiques mais elles ne permettent pas de réfléchir sur les questions de fond concernant cette activité.
De manière pragmatique, si certains tentent d’influencer pour de mauvaises causes, il faut pouvoir les empêcher de nuire. Sans contre-lobbying, nous n’aurions jamais pu faire interdire les mines anti-personnelles, prohiber le travail des enfants ou obliger au respect de certaines normes sociales et environnementales. Le lobbying est donc nécessaire, voire éthique dans ces cas précis…
Pour répondre précisément à votre question, je pense que nous pouvons avoir une autre approche du métier en l’expliquant comme une volonté d’apaiser les relations entre les parties, de trouver un terrain d’entente, en établissant une médiation entre les parties prenantes. « Lobbying inclusif », est un oxymore qui doit interpeller, intriguer et renouveler la sémantique admise… et ça marche, semble-t-il (rires).
Le Club DI&E et RP : « L’avocat lobbyiste est celui qui valorise les intérêts particuliers pour servir l’intérêt général et le bien commun » : les deux sont-ils vraiment conciliables ? L’association de vos deux activités ne soulève-t-elle pas des problématiques éthiques ?
M.J : Mon ambition est de réussir à défendre et représenter les intérêts de mes clients en rassemblant en toute transparence les parties prenantes dans le respect du bien commun, et non pas favoriser dans l’ombre les privilèges d’une des parties. L'avocat lobbyiste est donc l’intermédiaire entre les citoyens, les entreprises, la société civile d'une part et les décideurs publics locaux, nationaux et transnationaux d'autre part.
Le plus important c’est de ne pas oublier que l’avocat lobbyiste est avant tout un avocat comme les autres, spécialisé dans un domaine particulier. En effet, il est soumis aux mêmes principes déontologiques essentiels à la profession contenus dans le règlement intérieur national (RIN), comme tous ses confrères, qu’ils soient spécialisés en droit pénal, droit de la famille, droit des affaires ou droit public.
Je vous rappelle, pour finir, que tous les avocats prêtent le même serment : “Je jure comme Avocat d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité”.
Propos recueillis par le Club Droit & IE et le Club Relations Publiques
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