Ordinateur quantique et cybersécurité : risque ou opportunité ?

Les multinationales investissent massivement sur le développement de l’ordinateur quantique qui permettra de résoudre rapidement des calculs jusqu’ici impossibles. Il pourra aussi casser en quelques minutes les systèmes de sécurité informatique les plus complexes. Il reste donc une menace pour la cybersécurité. Ses acteurs pourront-ils s’adapter face à cette future révolution numérique ?

La ruée vers le quantique

D’après un article du Figaro paru en mars 2022, plus de 23 % des grosses entreprises mondiales travaillent actuellement sur les technologies quantiques. Un rapport du Forum économique mondial de septembre 2022 montre que plus de 50 % des entreprises informatiques embauchent dans ce secteur. Les gouvernements et les entreprises investissent donc massivement dans la recherche et le développement quantique. En outre, les grandes puissances mondiales ont, par leur taille et leur économie, un avantage considérable qui leur permet d’être à la pointe de la recherche dans le domaine quantique.

En raison du potentiel de rupture technologique, les pays développés – États-Unis, Chine, pays membres de l’Union européenne, etc. – engagent une compétition remarquée dans les investissements visant la suprématie quantique.

 

En octobre 2014, les États-Unis ont ainsi déclaré que la recherche et le développement des technologies quantiques étaient une priorité nationale. Sur cette lancée a été adopté en 2018 le National Quantum Initiative Act qui définit leur stratégie quantique. Cette loi implique la création d’un comité dédié à l’informatique quantique auquel participent des membres du National Institute of Standard and Technology et de la NASA. De plus, les grandes entreprises américaines progressent dans le secteur : 

  • La collaboration de Google avec la NASA en août 2020 a permis la réalisation des premières simulations quantiques sur l’ordinateur de Google ;

  • IBM produit la puce informatique quantique la plus puissante au monde avec 433 qubits ;

  • Microsoft a développé son propre langage de programmation open source.

La Chine n’est pas en reste et a lancé en 2016 son projet de recherche Quantum Experiments at Space Scale. L’année suivante, le gouvernement a investi dans la construction d’un laboratoire d’informatique quantique. En décembre 2020, l’ordinateur Jiuzhang a résolu en 200 secondes le problème d’échantillonnage de bosons. Une récente version de ce calculateur est en développement et devrait utiliser 113 photons détectés. L’entreprise Alibaba a affirmé en 2015 sa volonté de s’imposer sur ce marché en créant son propre laboratoire de recherche.

De son côté, l’Europe prévoit des investissements colossaux : en 2021, le Conseil européen a annoncé une aide de 7 milliards d’euros pour la recherche quantique. De plus, les pays membres investissent dans des organismes de recherche ; à travers le CEA, la France ambitionne de devenir la troisième puissance mondiale dans le quantique et met en place une stratégie nationale dédiée aux technologies quantiques.  Le Royaume-Uni a défini, en 2013, sa stratégie quantique qui a conduit à la création d’un centre national d’informatique pour le quantique. Les gouvernements investissent aussi dans les entreprises prometteuses. L’Allemagne a ainsi investi 67 millions d’euros dans l’entreprise britannique Universal Quantum. En 2019, la Russie prévoyait d’investir 50 milliards de roubles dans le secteur quantique.

 

Le calculateur quantique : une aubaine pour de nombreux domaines

L’ordinateur quantique est semblable à l’ordinateur classique mais il utilise des qubits et est soumis aux lois de la physique quantique : superposition (considérer qu’une particule est simultanément dans des états différents), intrication (deux particules, qui partagent les mêmes propriétés, sont dites intriquées et prennent la même valeur lorsqu’on mesure l’état de l’une d’entre elles ; elles peuvent s’influencer malgré une distance de séparation) et non-localité. Ce qui signifie que l’ordinateur quantique réalise en même temps une quantité de calcul.

L’intérêt des ordinateurs quantiques résulte dans le fait qu’ils peuvent résoudre des calculs encore inaccessibles à la puissance de calcul classique (ordinateurs classiques) en un temps décisif. Ils offrent ainsi de nombreuses opportunités : traiter d’énormes masses de données et faire des calculs colossaux en quelques minutes, inventer des molécules (pharmacie et médecine), optimiser la logistique, etc. Au service de la lutte anti-corruption, l’ordinateur quantique s’engage à collecter, traiter et analyser en temps réel des données massives, améliorant le contrôle financier notamment.

Les technologies quantiques intéressent particulièrement le secteur de la défense. De fait, il améliore les systèmes de détection, de calcul et de communication : remplacer les systèmes de géolocalisation par satellites GPS grâce au calculateur quantique qui repère les variations. Le renseignement (déchiffrement de données confidentielles), la surveillance et la reconnaissance seront favorisés avec l’arrivée de l’informatique quantique.

En santé, l’intérêt de l’ordinateur quantique réside dans la description et le calcul de nouvelles molécules qui serviraient à la création et à l’amélioration de médicaments : traitement de l’Alzheimer, du cancer, recherches sur l’inflammation, etc.

 

« L’intérêt des ordinateurs quantiques résulte dans le fait qu’ils peuvent résoudre des calculs encore inaccessibles à la puissance de calcul classique (ordinateurs classiques) en un temps décisif »

 

Toutefois, l’un des plus grands risques de l’ordinateur quantique concerne sa potentielle utilisation de l’algorithme quantique de Peter Shor, dit algorithme de Shor, qui permet de décomposer en nombres premiers (utilisés pour l’algorithme RSA, découvert par Ronald Rivest, Adi Shamir et Leonard Adleman) de très grands nombres. Il peut ainsi factoriser ces derniers en un temps record. Si cet algorithme est implanté dans un ordinateur quantique, ce dernier pourra déchiffrer de nombreux systèmes comme la confidentialité d’une carte bancaire et deviendra une véritable menace pour la cryptographie RSA, la cybersécurité, et pourra avoir un impact direct sur la sécurité nationale.

La majorité des systèmes de sécurité utilise cette cryptographie RSA, suffisamment robuste pour résister à un calcul classique. Maîtriser l’informatique quantique offrira des capacités de déchiffrement qui pourront faire rapidement sauter de nombreux verrous : sites internet protégés (HTTPS), chiffrement des bitcoins, documents secrets, etc. 

 

Un danger pour la cybersécurité ?

Le chiffrement asymétrique permet d’assurer la confidentialité, l’intégrité et l’authentification. L’ordinateur quantique, si les systèmes de cryptographie ne sont pas améliorés en systèmes post-quantiques, pourra avoir accès aux données critiques d’entreprises très rapidement en cassant tous les mots de passe. C’est pourquoi l’ANSSI et de nombreux consultants en informatique mettent en garde contre ses dangers.  

La protection des données est vitale pour une entreprise, une personne, une institution, etc. De fait, les ordinateurs quantiques déchiffreront facilement des transactions cryptées. Les hackers auront facilement accès aux systèmes de paiement sécurisé et pourront les détourner. Les autres menaces portent aussi sur l’authentification des connexions SSL (Secure Socket Layer) ou TLS (Transport Layer Secure) qui concernent les transactions commerciales sur Internet, l’authenticité des signatures électroniques, la confidentialité des protocoles d’enveloppes digitales, le minage de cryptomonnaie, etc.  

Les nombreuses cyberattaques mettent en lumière le rôle indispensable des acteurs de la cybersécurité. Avec le développement d’outils de cryptographie post-quantique, les chercheurs espèrent maintenir une bonne sécurité des systèmes informatiques malgré l’apparition des calculateurs quantiques très puissants. L’ordinateur quantique pourra aussi servir de test de fiabilité pour ces nouveaux outils. 

Pour le moment, la commercialisation d’un ordinateur quantique est encore lointaine, notamment en raison de contraintes techniques. À titre d’exemple, les qubits ne se stabilisent que dans des températures proches du zéro absolu (soit proche de -273°C). Il semble alors évident que les premiers calculateurs quantiques seront des machines très encombrantes. De plus, les entreprises lancées dans cette aventure font face à une pénurie de talents car la recherche et le développement industriels requièrent des spécialistes universitaires (physique quantique, astronomie, etc.), souvent docteurs ou doctorants. 

 

Si l’ordinateur quantique n’est pas encore accessible sur le marché, les recherches sur le quantique et le post-quantique sont toujours en cours. Bien que  la cryptographie post-quantique semble être nécessaire pour garantir une sécurité, il reste évident que les hackers tenteront de contourner ces systèmes. L’ordinateur quantique semble représenter à la fois une menace et une opportunité pour la cybersécurité. Les acteurs de la sécurité des systèmes informatiques ne seront sans doute pas dépassés par l’arrivée des supercalculateurs quantiques, mais devront continuer de détecter les failles des systèmes de sécurité pour mieux les renforcer. 

 

Tiphaine de Rauglaudre 

 

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