La Covid-19 et la crise économique qui en résulte, changent drastiquement et en profondeur le quotidien économique, social et politique des organisations humaines. Avec elles, les marchés financiers, dont les crypto-monnaies, sont un exemple symptomatique. Tous les gouvernements ont dû relever le défi pandémique, à l’instar de la Chine, détenteur d’une grande partie de la capacité de minage de crypto-monnaies qui, par sa stratégie, semble vouloir créer des routes de la soie crypto-monétaires.
À l’annonce par l’Organisation Mondiale de la Santé que l’épidémie de coronavirus était requalifiée en pandémie le 12 mars 2020, les marchés boursiers ont subi une sévère correction. De Paris en passant par Wall Street, la journée est historiquement noire pour les places boursières mondiales. Ainsi, les indices boursiers ont subi un effondrement de leurs cotations (Paris – 12,28%, New York – 9,99%, Londres – 9,81%). Jamais depuis 1987 aucune place boursière n’avait connu un tel repli. Les crypto-monnaies ont, elles aussi, eu à pâtir d’une forte baisse, à l’exemple du Bitcoin qui, entre le 11 mars et le 12 mars 2020 a perdu près de 40%. Ce krach permet de comparer le marché cryptos avec le marché actions dans le sens où l’ordre de grandeur des variances des deux est du même acabit, contrairement au Forex (marché des changes de devises) . En effet, les « cryptos », bien qu’elles soient régies par d’autres règles, subissent les mêmes aléas et enjeux que les marchés boursiers.
Les crypto-monnaies réagissent bien à la crise sanitaire
Les crypto-monnaies, moins impactées que les titres boursiers par cette crise sanitaire, ont connu une reprise plus rapide que les marchés financiers conventionnels. En effet, le Bitcoin a vite repris des couleurs, tout comme les autres majors de la crypto-monnaie (XPR ex-Ripple et l’Ethereum). En août 2020 le Bitcoin est passé au-dessus de la barre des 10 000€ puis a continué à progresser pour atteindre le 13 janvier 2021 une valeur record de 36 000 €.
En effet, la crise sanitaire a eu un effet majeur sur le minage, c’est-à-dire la technique de création virtuelle monétaire ou « minage » qui regroupe l’ensemble des moyens humains et matériels qui permettent d’assurer la création, les transactions, la stabilité, et la sécurité des crypto-monnaies. Les confinements opérés de par le monde ont affaibli la logistique de ce processus ce qui a abouti à la panique des agents. Ainsi, de la même façon que pour un marché classique, l’offre et la demande ont été perturbées ce qui a entraîné une dévaluation des crypto-monnaies.
Cependant, ce problème a connu une résolution bien plus rapide que pour les actions et actifs conventionnels. Et pour cause, la Chine et la Corée du sud, détentrices de 70 % de la capacité de minage du Bitcoin, n’ont pas été confinées au même moment que les autres pays. Quand le reste du monde est entré en confinement, la Chine avait plus ou moins réglé (du moins temporairement) une partie du problème « Covid-19 » et avait commencé à relancer l’économie de son pays.
Il convient de rappeler que les mineurs dépendent de l’électricité, de la technologie en l’usage, des règles des plate-formes de minage et, d’une manière plus macroéconomique, des terres rares. Ces terres sont effectivement un élément vital à la fabrication des outils de minage et de la blockchain. Le coût d’accès de tous ces éléments détermine là où les fermes de minage ont des conditions plus favorables à leur installation. Elles sont concrètement dépendantes des points clés de la structure des marchés de production à l’international, des lieux de production des technologies et d’extraction des matières premières. La Chine et l’Asie sont donc des pays très prisés par les mineurs.
Ainsi, grâce à cette implantation géographique des fermes de minages, la situation s’en est vite vue améliorée et a même dépassé toutes les attentes des détenteurs de ces crypto-monnaies. Les récents records établis sur le Bitcoin s’expliquent donc aussi par l’avance prise par Pékin et Séoul dans la gestion de la crise sanitaire. En outre, depuis le début de cette crise sanitaire certaines crypto-monnaies comme le Bitcoin se sont même vues attribuer un titre officieux de « valeur refuge en temps de crise ». Pour autant ces monnaies virtuelles apportent leurs lots de risques.
Les risques liés aux cryptomonnaies, pendant de leur caractère spéculatif et décentralisé
Tout d’abord, l’origine du risque crypto-monétaire est fiduciaire car elles n’ont pas de valeur intrinsèque contrairement à une action, titre de propriété d’une société et dont la valeur dépend essentiellement des performances de la société qui l’a émise. Pour les crypto ce qui fait leur valeur est le nombre d’investisseurs qui s’y intéressent (pour leur intérêt technologique ou spéculatif); il existe donc un risque important de bulle spéculative. De plus, les crypto-monnaies ont une disponibilité limitée, le bitcoin par exemple, atteindra son plafond de verre à 21 millions d’unités (actuellement 18,86 millions environ). Cela génère donc des tensions à l’achat et des spéculations à la vente. Ensuite, elles échappent au contrôle des États, des Banques centrales ou commerciales et ne sont actuellement visées par aucune norme permettant un règlement des différends. En effet, elles ne sont pas reconnues comme des instruments financiers à part entière. Enfin, l’opacité de leur fonctionnement permet leur utilisation pour des trafics, notamment pour du blanchiment d’argent, et plus globalement, pour le financement indirect du terrorisme. Enfin, elles sont volatiles ce qui veut dire que leurs valeurs changent très vite et peuvent subir des erreurs de transactions en plus des possibles piratages. Il y a des risques qui ne sont pas évoqués quand on parle de la crypto-monnaie : on peut noter les risques liés au « minage ». Comme la consommation d’énergie importante, la maîtrise des outils nécessaires au minage ou encore l’envie d’imposer des normes et législations par les pays étant en pointe dans ce domaine. Sans oublier les risques inhérents à la blockchain même.
La blockchain peut-être visualisée comme un grand livre numérique, entretenu par un réseau d’ordinateurs, écrivant numériquement sur le livre blanc des données, en temps réel et publiquement visibles par les utilisateurs. L’inscription d’une donnée équivaut à ce que l’on appelle le « minage ». Toutefois, les mineurs sont une composante de la blockchain mais n’en restent pas moins qu’un petit échelon.
Toutefois, ces risques sont largement à mettre en balance avec les avantages procurés par la grande liberté inhérente aux crypto-monnaies et à la blockchain, tant du point de vue de leur contrôle que de la création même des devises qui y sont associées. Elles ont donc un potentiel de relance plus vif, plus rapide comme la crise sanitaire l’a prouvé malgré le fait que leur volatilité est accrue. Les problématiques liées au minage sont de futur enjeux stratégiques majeurs que plusieurs gouvernements, tels que la Chine, les États-Unis ou la France, ont décidé de prendre en compte.
Les pays qui détiennent le plus d’actifs en termes de capacité (production, ingénierie, outils et devises) sur ce sujet posent de nouveaux jalons sur l’avenir des monnaies virtuelles, au travers de normes et de lois. Force est de constater que des projets de loi apparaissent pour encadrer ce secteur décentralisé, notamment en Chine, ce qui participe à la complexification du quotidien des mineurs et les oblige à revoir leur stratégie.
La possibilité d’une route de la soie chinoise ou le risque de la fin de l’hégémonie du dollar
La guerre économique entre la Chine et les États-Unis prend un tournant crypto-monétaire. Pékin commence à attaquer des paramètres stratégiques de la crypto-monnaie: les brevets et les licences. Son but est de briser l’influence et le monopole du dollar sur les monnaies fiduciaires ce qui permettrait une internationalisation du Yuan par l’arrivée d’une crypto-monnaie 100% chinoise contrôlée par le parti communiste Chinois.
Pékin a effectivement des vues particulières sur le sujet: la banque centrale de Chine est en train de proposer un projet de loi sur le Yuan numérique. Ce projet stipule que cette crypto-monnaie deviendrait la monnaie numérique officielle du pays, faisant de la Chine l’un des premiers pays à avoir sa propre crypto-monnaie, devant les États-Unis. Ce projet s’inscrit dans une stratégie de monopole de l’État sur ce marché. Effectivement, aucun acteur national n’aurait le droit de concurrencer cette nouvelle monnaie d’État sous peine de sanctions civiles ou pénales. En réalité, elle permettrait également d’exclure l’emprise du dollar américain sur les crypto-monnaies chinoises; la valeur des crypto-monnaies étant en général exprimée en dollars, ce qui ne sera pas le cas pour cette nouvelle crypto-monnaie qui le sera en Yuan. Pour aller plus loin, la Chine a pris une certaine avance sur ces homologues occidentaux en investissant massivement sur la recherche, notamment à travers des rachats de brevets, licences, et droits sur la blockchain. À titre d’exemple, la Chine possède 1 100 brevets, les États-Unis en cumulent 600. Cette stratégie s’inscrit dans un rapport de force avec l’Occident en se dotant d’armes permettant la défense de la souveraineté nationale chinoise tout en développant une influence sur les enjeux stratégiques qui s’incarnent dans cette nouvelle forme de monnaie.
Ce projet de monnaie numérique verrait le jour pour les Jeux Olympiques d’hiver de Pékin en 2022. Les mineurs et concurrents vont devoir faire extrêmement attention au risque « Chine » et à une éventuelle route de la soie numérique. Les États-Unis bousculent également le monde de la crypto, en proposant un projet de loi permettant aux crypto-monnaies stables d’être référencées comme des actifs financiers. Plus largement, les États sont au cœur de cette virtualisation des devises et il paraît essentiel de le garder à l’esprit afin de comprendre et anticiper les mouvements futurs sur l’échiquier stratégique et de puissance au niveau mondial.
Camille Badaire du Club Risques de l’AEGE