La relance récente de production de terres rares aux États-Unis, face à la pression du potentiel monopole chinois, s’inscrit dans une démarche de souveraineté énergétique étasunienne. Le pays souhaite exploiter ses propres ressources et le cas concret du Texas en fait un exemple expérimental en matière d’indépendance énergétique. Son système pour l’instant territorial, permet d’appréhender les failles existantes à cette hégémonie de l’énergie auxquelles le reste du pays sera amené à faire face s’il devient totalement autosuffisant.
Les États-Unis vers l’indépendance énergétique ?
Les nord-américains, grands consommateurs d’énergie et plus particulièrement d’énergie fossile, ont vu leur consommation augmenter ces dix dernières années. En effet, le secteur de l’énergie aux États-Unis est dominé par les combustibles fossiles dont le pays dispose de vastes ressources sur son territoire. Les trois principaux combustibles fossiles sont le pétrole, le gaz naturel et le charbon, qui combinés, représentaient en 2017 environ 77,6% de la production d'énergie primaire aux États-Unis : 31,8% pour le gaz naturel ; 28% pour le pétrole ; 17,8% pour le charbon et 12,7% pour les énergies renouvelables.
Un des points importants du programme de l’ex-président Donald Trump, était d’ailleurs de faciliter l’exploitation des carbures fossiles afin de conduire le pays à une indépendance énergétique. Et pour cause, l’indépendance énergétique est le fer de lance de la souveraineté d’un territoire réduisant son exposition aux vulnérabilités. De plus, cette politique visait également à réduire le coût de l’énergie pour les habitants, classés premiers consommateurs d’énergie au monde.
Le Texas : Étude de cas d’un territoire indépendant énergétiquement
Si les États-Unis disposent sur son territoire d’importantes ressources d’énergies, le Texas en est le cœur de la production énergétique, produisant à lui seul plus de 16% de l’énergie totale du pays. Riche en combustibles fossiles, mais également en énergies renouvelables, comme les éoliennes qui représentant plus de 25% de l’énergie de l’état, l’État n’importe aucune énergie du reste du pays. Par ailleurs, l’état possède son propre réseau électrique en termes d’infrastructure, aujourd’hui majoritairement exploité par ERCOT. Ce réseau a été créé pendant la Seconde Guerre mondiale lorsque plusieurs services publics Texan se sont alliés dans le but de rester hors de portée des régulateurs fédéraux. Fonctionnant comme une entité distincte et ne passant pas les frontières des autres états, le réseau électrique Texan est éloigné de toute surveillance fédérale et n’a aucune obligation d’aider les autres états du pays. Ainsi, le Texas, deuxième état le plus peuplé du pays, peut-il être un modèle gagnant pour les États-Unis en tant que territoire autosuffisant.
Une indépendance source de vulnérabilité
Néanmoins, ce système, autonome et affranchi de toute influence extérieure sur la gestion de son réseau, a montré ses limites à diverses reprises ces dernières années et plus particulièrement à l’hiver 2021 lors d’un évènement météorologique inédit. En février 2021 le Texas a été touché par une vague de froid historique, amenant des températures fortement négatives auxquelles cet état du sud des États-Unis est très peu habitué. Dû à la chute des températures et malgré sa position de premier producteur d’énergie du pays, le Texas a laissé 4,5 millions de ses habitants sans électricité pendant plusieurs jours. En effet, le pic énergétique a eu lieu en plein hiver alors que celui-ci a généralement lieu à la fin de l’été par l’utilisation des climatisations, dû aux vagues de chaleurs. Par conséquent, les réseaux n'étaient pas préparés à cet évènement inhabituel, à cette période. L’organisation chargée de l’exploitation du réseau électrique, ERCOT, a été contrainte d’interrompre le fonctionnement de plusieurs réseaux afin d’éviter une surchauffe. Des millions de Texans se sont alors vu privés d’électricité et de chauffage lors de températures particulièrement glaciales.
Outre les conditions météos qui ont rendu difficiles l’approvisionnement des centrales en gaz, cette interruption des activités souligne un problème structurel. En effet, les infrastructures se sont montrées peu résilientes face aux changements climatiques. Ainsi, le manque de générateur prévu pour l’hiver en termes d’électricité et les infrastructures disponibles ne permettent pas de faire face à une crise. Pointant du doigt les éoliennes, qui représentent 25% de l’énergie de l'État, qui dû au froid ont gelé et cessé de fonctionner, cela a entraîné un affrontement politique entre démocrates et républicains. Ces derniers, peu favorables aux énergies renouvelables, ont dénoncé l’obsolescence des éoliennes face à des températures extrêmes. Il existe pourtant des dispositifs qui permettent aux éoliennes de faire face au gel, mais ceux-ci n’ont pas été mis en place au Texas, car le risque de température négative y est très peu élevé ; ainsi, ERCOT n’a pas investi dans les équipements adaptés pour faire face aux crises.
Toutes ces vulnérabilités ont contribué à un scénario presque dystopique alors même que des fonctionnaires texans avaient été alertés en amont de la crise de la pauvreté des infrastructures, notamment celles des centrales électriques. En outre, le système électrique texan est déréglementé contrairement à d’autres États. Entièrement axé sur le marché, les services publics texans achètent l’électricité aux fournisseurs qui exploitent les centrales électriques. La majorité de l’énergie de l’État est contrôlée par ERCOT. C’est un marché aux prix compétitifs. Les entreprises tentent de mettre sur le marché la forme d’énergie qui sera la moins chère, néanmoins cela se fait au préjudice de la construction des infrastructures qui sont moins fiables. Victime d’un sous-investissement financier, le réseau a montré ses failles à diverses reprises face à des chutes de température. Notamment en 1989 et plus récemment en 2011, depuis cette dernière coupure hivernale le Texas a vu sa population passer de 4 millions à 30 millions. Cette expansion démographique n’a fait qu’accroître les demandes en énergie et a ainsi accru les risques de coupures et leurs conséquences. Le fonctionnement en vase clos du Texas, et le manque d’anticipation malgré des signaux concordants, ont empêché cet état d’importer de l’énergie des autres états du pays et a rendu difficile la gestion de cette crise.
À la suite de cette crise, les autorités texanes ont tout d’abord blâmé les pannes d’éoliennes et les panneaux solaires gelés. Néanmoins, c’est principalement les équipements au gaz naturel qui ont montré leurs failles face au surplus de demande en énergie. Cette crise a eu une résonance nationale, comme un signal d’alarme. Même si le réseau électrique Texan est unique à bien des égards, le problème du sous-investissement des infrastructures est très répandu dans plusieurs états. La majorité du réseau a souvent été établie il y a plusieurs années. Outre l’usure due aux années, le réseau doit également à l’accroissement constant de la population et des besoins de cette dernière en énergie. Cette crise a mis en avant l’importance des évènements climatiques et les risques qui en résultent sur des infrastructures vulnérables et par conséquent d’adapter ces dernières à tous types de vulnérabilité. De plus, dans un marché déréglementé, où une entreprise produit de l’électricité, une autre la fournit et une autre la vend, ainsi les entreprises qui fournissent l’énergie n’ont pas l’obligation de restaurer les infrastructures puisqu’une autre compagnie les possède.
Caroline Lair pour le club Risques de l’AEGE
Pour aller plus loin :
- [JDR] Les banques face au risque climatique
- [JDR] : La transition énergétique : un casse-tête pour l’industrie de l’énergie