Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

L’essor de l’industrie du divertissement ou le soft power coréen par la Hallyu [Partie 1/2]

Depuis quelques années, les séries et les films coréens gagnent en visibilité sur les plateformes de streaming. Cet essor de l’industrie du divertissement s’inscrit dans une stratégie établie dans les années 1990 par le gouvernement coréen. Retour sur une vague qui a subjugué le monde…

La récente sortie sur la plateforme de streaming Netflix de la deuxième partie, très attendue, de la série The Glory, le 10 mars 2023, a eu le succès escompté. Le 14 mars 2023, elle a pris la tête du classement mondial de la plateforme dans 38 pays. Ce thriller évoque la vengeance d’une architecte victime de harcèlement et d’abus. Malgré la cruauté de certaines scènes, la série a été très appréciée par les internautes.

 

L’explosion du visionnage des dramas

Les premières séries coréennes sont arrivées en France en 2016. Depuis cette date, le visionnage des séries coréennes et des dramas (terme utilisé pour désigner les séries asiatiques et particulièrement coréennes) sur les plateformes de streaming ne cesse d’augmenter. Face à la demande des consommateurs, les sociétés de vidéo à la demande investissent dans la production de séries coréennes et proposent un choix de plus en plus vaste. Netflix, par exemple, proposait plus de quatre-vingts films et séries coréennes le 22 juillet 2022. Son concurrent direct Disney + s’était engagé à proposer 12 nouvelles séries et films coréens et une vingtaine d’émissions pour 2022 et, devant le succès rencontré, a prévu d’en produire d’autres pour l’année 2023.

Le succès des séries coréennes s’explique par l’emploi d’acteurs idols (chanteurs, rappeurs et danseurs coréens) célèbres issus de la k-pop (musique pop coréenne). Le chanteur Yook Sung-Jae du groupe BtoB, par exemple, joue dans de nombreuses séries dont Goblin : The Lonely and Great God, 2016. Ces idoles sont suivies par des dizaines voire des centaines de milliers de fans qui visionnent les séries de leurs célébrités préférées pour les soutenir. De fait, la communication sur ces produits culturels est axée autour du nom des acteurs, de leur groupe de k-pop et de leurs précédents films et séries pour faire monter l’attente des internautes. Les thèmes abordés par les séries coréennes sont très vastes : séries historiques, fantastiques, romantiques, policières (où la corruption est très souvent abordée), adaptations, etc. Ces séries courtes de 16 épisodes, qui durent en moyenne de 50 à 60 minutes, ne font généralement qu’une seule saison, mais enchaînent les rebondissements, ce qui attire les spectateurs.

 

Le phénomène Hallyu

Les origines du phénomène Hallyu ou « vague coréenne » remontent aux années 1990 avec l’énorme succès en Chine du drama coréen What is love ?, 1991 (deuxième meilleure audience de l’histoire de la chaîne de télévision d’État CCTV). Elle se caractérise par le renforcement de l’exportation des produits coréens qui a accompagné l’essor économique du pays. En effet, la Hallyu est un élément stratégique de développement pour le gouvernement coréen. Dans les séries coréennes, sont mis en avant le hangeul (alphabet coréen), la nourriture (comme le kimchi ou encore le tteokbokki), le hanbok (costume traditionnel), les maisons traditionnelles coréennes, la musique, etc. 

La Hallyu s’est répandue par vagues, d’abord avec le développement des DVD et d’Internet puis avec celui des plateformes en ligne comme YouTube, Deezer, Amazon Prime, etc.

 

Remonter l’histoire des stratégies de soft power coréen

Au lendemain de la guerre (1950-1953), la Corée du Sud change de stratégie et se tourne vers les exportations pour relancer son économie. Rapidement, le gouvernement lance des politiques de soutien et de protection de la diffusion des produits coréens pour contrer l'influence culturelle japonaise et américaine. Ces politiques visent à promouvoir les produits culturels coréens et à encourager leur consommation, notamment à travers des quotas de diffusion à la télévision et au cinéma, ainsi que des subventions pour les industries culturelles locales. Elles ont permis de favoriser le développement de l'industrie culturelle locale et ont eu un impact significatif sur la popularité de la culture coréenne au Pays du Matin calme et à l'étranger.

À partir des années 1990, l’État incite la diffusion de créations audiovisuelles à l’internationale et renforce la promotion des industries culturelles. Dès lors, les émissions et séries coréennes se révèlent à la Chine, au Japon, et progressivement au monde sous la forme de la Hallyu.

Les années 1990 marquent un tournant pour le développement de l’industrie de divertissement coréenne grâce à un partenariat public-privé pour fabriquer et mettre en avant les produits culturels coréens. En effet, la crise financière de 1995 pousse le gouvernement à développer ce secteur pour des raisons socio-économiques et politiques. Ainsi, de nombreuses réformes sont introduites pour favoriser l’exportation de la culture coréenne et limiter la dépendance de la Corée du Sud vis-à-vis de la Chine. La loi pour la promotion du cinéma de 1995 et la loi pour la promotion de l’industrie culturelle de 1999 incitent fiscalement des investissements de grands conglomérats dans ce secteur. D’après Pauline Petit, « entre 1999 et 2003, le poids économique de l’industrie du divertissement est multiplié par cinq ». Durant cette période, la plupart des acteurs institutionnels contribuent au développement des produits culturels coréens et à leur diffusion. Ces exportations permettent de renforcer l’image nationale de la Corée du Sud et favorisent sa croissance économique.

Source : la Banque mondiale

 

Aujourd’hui, le gouvernement maintient sa politique active en favorisant le développement de ce secteur et sa diffusion à l’internationale, de sorte à ce que le soft power coréen soit une combinaison entre puissance économique et expansion culturelle

Finalement, le soft power coréen repose sur l’attractivité de son modèle économique et démocratique. De fait, la Corée a connu un redressement économique très important depuis les années 1960. Le pays a su aussi faire face à la crise socio-politique de 1997 grâce à son modèle qui repose sur les chaebols (groupes d’affaires coréens). En moins d’une cinquantaine d’années, les grandes marques coréennes comme Samsung ont su trouver une place sur la scène internationale et jouissent désormais d’une excellente réputation. Enfin, l’essor de l’industrie du divertissement a des retombées positives sur l’économie coréenne.

 

L’implication des célébrités dans la diplomatie

Si la Corée du Sud a su promouvoir une image de marque nationale par la Hallyu, elle doit encore renforcer son soft power en profitant de cet attrait pour la vague coréenne pour changer et faire évoluer à long terme la façon dont les populations et les investisseurs étrangers pensent et interagissent avec le pays. Pour ce faire, le gouvernement profite du succès de la Hallyu pour renforcer sa diplomatie politique. 

Les célébrités sont ainsi régulièrement sollicitées par le président coréen pour participer à des événements diplomatiques ou pour représenter la Corée du Sud. Le groupe EXO a, par exemple, été invité à la Maison Bleue pour rencontrer le président américain Donald Trump lors du dernier jour du sommet du G20 le 29 juin 2019 à Séoul. Lors de la visite du président coréen Moon Jae-in, à Paris le 14 octobre 2018 pour célébrer l’amitié entre la France et la Corée du Sud, le groupe BTS s’est produit devant des représentants français, le président Emmanuel Macron et des fans. De plus, les membres du groupe sont devenus des ambassadeurs de l’ONU. Lors du sommet inter-coréen de septembre 2018, le groupe Red Velvet s’est produit devant le dictateur nord-coréen Kim Jong-Un qui a affirmé avoir été profondément ému par leur performance.

Malgré les succès de la diplomatie par les célébrités, cette dernière possède des vulnérabilités qui peuvent avoir un impact sur l’économie coréenne. De fait, l’influence des célébrités coréennes dépasse leur succès commercial. Tout ce qu’ils portent provoque un véritable engouement chez leurs fans. En 2018, Jimin, membre de BTS, a ainsi provoqué une polémique au Japon en portant un T-shirt représentant le bombardement atomique du pays par les États-Unis et des slogans sur l’indépendance coréenne. En réaction, l’émission télévisée japonaise M Station a annulé une performance du groupe.

De plus, l’industrie coréenne du divertissement devient une cible pour sanctionner le Pays du Matin calme. En effet, elle a subi des pertes lors de la restriction chinoise des exportations culturelles et du tourisme sud-coréen. Il s’agissait d’un moyen pour Pékin de condamner l’installation de systèmes antimissiles américains en Corée du Sud.

 

Les séries coréennes comme moyen de promotion de la Corée du Sud

Les adaptations coréennes reprennent le même scénario que la série originale mais mettent toujours en avant leur culture à travers la nourriture, l’alcool (soju ou bières coréennes), les bandes sonores, les décors et l’histoire de la Corée, les caractéristiques du peuple coréen et mode de vie (langue, modèle économique avec les chaebols, cours du soir pour les lycéens, etc.), la culture, etcMoney Heist Korea – adaptation coréenne de La Casa de Papel, succès de 2017 produit par Netflix –, qui a accumulé 33,7 millions d'heures de visionnage lors de ses trois premiers jours sur la plateforme de streaming, reprend ainsi l’histoire de la série espagnole dans un futur dystopique suite à la réunification des deux Corées. Si la trame narrative reste similaire, la série met en avant des marqueurs de la culture coréenne comme l’utilisation de masques Hahoetal qui remplacent les masques de Salvator Dali. Ces masques traditionnels, considérés comme trésor national, datent du XIIe siècle. Ils étaient portés lors de la cérémonie chamanique Pyolshin-gut t'al nori. Dans la série, le masque Yangban est mis en avant. Dans les représentations de théâtre, ce masque se moque de l’aristocratie.

 

Tiphaine de Rauglaudre

 


La seconde partie de cette analyse paraîtra le 21 mars. La popularité des dramas coréens ne cesse d’augmenter, renforçant le soft power du pays et contribuant à son développement économique. Les industries du divertissement coréennes ont développé des stratégies efficaces pour toucher un public plus large et diversifié, lui offrant des perspectives de croissance importantes.


 

Pour aller plus loin :