Malgré la récente crise de l’énergie en Europe et de nombreuses controverses outre-Rhin, les trois derniers réacteurs nucléaires allemands se sont définitivement éteints le 15 avril dernier. Cet épisode est l’épilogue de vingt ans d’abandon progressif de l’atome chez notre voisin et marque le début d’une nouvelle ère énergétique.
Initialement prévu au 31 décembre 2022 mais repoussé au printemps par crainte de problèmes d’alimentation électrique, l’arrêt des trois derniers réacteurs nucléaires allemands – Isar 2 (sud-est), Neckarwestheim 2 (sud-ouest) et Emsland (nord-ouest) – a été effectif le 15 avril dernier à minuit. Ils produisaient 6 % de l’électricité consommée dans le pays. Ces fermetures marquent la fin d’une sortie progressive de l'atome voulue par les autorités allemandes dès le début des années 2000 et accélérée en 2011 suite à la catastrophe de Fukushima. Pour l’énergéticien RWE, cette journée marque « la fin d’une ère ».
Alors qu’une part importante de la population allemande est de longue date opposée à l’énergie issue du nucléaire, l’arrêt de ces derniers réacteurs ne s’est pas fait sans controverses politiques. En effet, la crise énergétique qui a découlé de la guerre en Ukraine a mis en lumière la trop grande dépendance du continent européen à des sources d’approvisionnement extérieures – et particulièrement de l’Allemagne, qui a basé son succès économique sur un gaz russe abondant et peu cher. Dès lors, s’est opéré un retour en grâce de l’énergie nucléaire au sein de l’Union européenne qui permet d’être autonome, de produire beaucoup et à prix intéressant et surtout de produire de l’énergie décarbonée. Ce dernier point est un atout majeur alors que les pays développés affichent des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, à Berlin, certains affirment, comme le député écologiste Jürgen Trittin, que la sortie allemande du nucléaire « arrive trop tard et non trop tôt ».
La volonté de sortir du nucléaire est en effet un des fers de lance du combat politique mené par les Verts allemands. Cette décision va aujourd’hui à contre-courant de la politique énergétique de certains pays européens, dont la France, alors même que l’opinion publique allemande et certains partis politiques comme le FPD (libéral) et la CDU/CSU (droite chrétienne) ne s’alignent plus sur cette vision. Sur la scène européenne, la France est d’ailleurs à l’initiative d’une « alliance du nucléaire » fédérée autour de 12 pays pour peser sur les débats en faveur de l’atome à Bruxelles face au très organisé lobbying allemand. François Goulard, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et actuel vice-président de l’Association de défense du Patrimoine Nucléaire et du Climat (PNC France), dénonce ces actions d’influence anti-nucléaire allemandes menées de front et dont l’objectif est d’empêcher que la France soit favorisée par une énergie moins chère et ainsi permettre à l’Allemagne de maintenir la compétitivité de son économie.
De plus, selon François Goulard, l’influence allemande s’appuie sur des relais présents au-delà de Bruxelles pour diffuser les idées anti-nucléaires. Ils prennent principalement la forme de fondations implantées dans plus d’une vingtaine de pays, parmi lesquelles les fondations politiques Rosa Luxemburg et Heinrich Böll. Cette dernière a su se faire une place de choix dans le militantisme parisien, notamment auprès du parti Europe Écologie Les Verts qui a déjà reçu son président sur le sujet du nucléaire. Tous ces liens et toutes ces actions sont ainsi exposés dans un rapport d’investigation sur les stratégies d’influence menées par ces acteurs, publié courant avril par le média Souveraine Tech. Le mouvement anti-nucléaire allemand ne semble donc pas vouloir s’arrêter aux seules frontières de la République fédérale.
Berlin joue pourtant un double jeu sur le long terme. En effet, alors que Greenpeace – aussi vociférante contre le nucléaire que silencieuse sur le gaz ou le charbon – a proclamé que « enfin, l'énergie nucléaire appartient à l'histoire ! », il semblerait qu’en réalité l’Allemagne ne se soit détournée de la fission que pour mieux se concentrer sur la fusion. Bien que cette technologie n’en soit encore qu’à ses balbutiements, l’avancée allemande sur le sujet pourrait, le moment venu, donner à notre voisin d’outre-Rhin un avantage stratégique substantiel qui rendrait obsolète la filière nucléaire française. À moins que nos propres recherches dans le domaine puissent prendre de court les Allemands…
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