Nucléaire : La France et ses alliés pris à revers par la DG concurrence

L’inclusion du nucléaire dans la taxonomie verte est une victoire en demi-teinte pour la France et ses alliés. Elle y est considérée comme une simple énergie de transition et pourrait être exclue du nouveau régime « d’aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie ». Ce qui reviendrait presque à la condamner. Une décision difficile à comprendre, alors que le nucléaire est essentiel à la transition énergétique selon le GIEC.

Sur la base d’un rapport de mars 2020 du service scientifique de la Commission européenne, l’énergie nucléaire avait d’abord été exclue du premier acte délégué de taxonomie verte du 4 juin 2021, alors même que d’autres sources — pourtant plus émettrices comme le gaz naturel (490 g de CO2 émis par kWh produit contre 12 g/kWh pour le nucléaire) — y étaient incluses. 

Les défenseurs du recours au nucléaire (la France et ses alliés) avaient ainsi dû peser de tout leur poids à la fin de l’été 2021 pour influer sur la Commission. « Pas de green deal sans nucléaire », avait prévenu Thierry Breton, le Commissaire européen chargé du marché intérieur, le 26 août dernier. Pourtant, malgré l’inclusion de l’énergie nucléaire par la voie d’un acte délégué complémentaire présenté fin décembre 2021, la victoire du « camp français » (pro nucléaire) face au « camp allemand » (antinucléaire) est loin d’être totale.

 

Énergie décarbonée

L’enjeu est de taille : la taxonomie verte consiste en une classification des activités économiques. Elle ambitionne de fournir un cadre commun pour définir quelle part de ces dernières est véritablement durable afin de moduler leur niveau de taxation (pour faire simple, plus l’activité sera durable, moins l’investissement de départ sera taxé). L’alignement avec cette taxonomie avait même été envisagé pendant un temps comme condition préalable à l’obtention des aides du plan de relance européen. 

L’enjeu est avant tout écologique : les experts du GIEC rappelaient en 2018 qu’il serait impossible de se passer du nucléaire pour atteindre les objectifs de décarbonation prévus par les accords de Paris. En effet, cette énergie reste, selon eux, une des moins émettrices de gaz à effet de serre (12 g/kWh), après l’éolien (11 g/kWh), mais bien avant l’hydroélectrique (24 g/KW), le photovoltaïque (41 g/kWh) et bien évidemment le charbon (820 g/kWh). Autres avantages : elle est pilotable en fonction de la demande, contrairement à l’éolien ou au photovoltaïque — des énergies dites « intermittentes » — et est également le meilleur marché. Un paramètre qu’a finalement pris en compte la Commission, en ces temps de crise de l’énergie et du climat.

 

Victoire en demi-teinte

Un acte délégué complémentaire à la taxonomie verte a, au dernier moment, été proposé par la Commission européenne le 31 décembre 2021. Il intègre désormais le gaz et le nucléaire qui ont, selon cette dernière, « un rôle à jouer pour faciliter le passage aux énergies renouvelables ». Les États membres et les experts de la finance durable avaient jusqu’au 12 janvier pour apporter leur contribution avant que la Commission ne présente l’acte délégué d’ici à la fin du mois. Le texte sera ensuite transmis au Parlement et au Conseil, qui auront quatre mois (jusqu’à fin mai 2022) pour exprimer leurs éventuelles objections, après quoi l’acte délégué entrera en vigueur.

Si l’inclusion du nucléaire dans le projet final peut être considérée comme une victoire, cette dernière est tout sauf totale pour les défenseurs du nucléaire. Les mots choisis par la Commission ont leur importance : selon elle, c’est une simple énergie de transition, pas une énergie durable. Or, qui dit transition, dit temporaire. Et la Direction générale de la concurrence a, parallèlement, enfoncé le clou : le nucléaire pourrait également être exclu des « aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie ».

 

Mauvais coup de la DG concurrence

Au sein de l’Union européenne, les subventions et autres aides d’État sont un vaste sujet qui influence toutes les politiques publiques économiques nationales et qui a fait naître une importante jurisprudence. Le nouveau régime « d’aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie », qui a pour but de faciliter l’atteinte des objectifs climatiques de l’Union en autorisant les subventions pour toutes les technologies contribuant à la transition énergétique, a été présenté, fin décembre 2021, par la DG concurrence de la Commission. 

Sans consultation des gouvernements (conformément à la procédure), la DG concurrence a ainsi travaillé à la réforme des « lignes directrices » de la Commission qui définissent les règles selon lesquelles les États membres peuvent octroyer des aides d’État aux entreprises sans que leurs activités ne soient surtaxées. D’après Dominique Finon, Directeur de recherche émérite au CNRS, « le nucléaire, technologie bas-carbone par excellence, ne sera pas couvert par ces nouvelles lignes directrices, ce qui signifie aussi qu’il y a une bonne probabilité pour qu’il soit finalement exclu de la taxonomie ». Résultat : les contrats concernant les projets de centrales ne pourraient être autorisés qu’au cas par cas et leur rentabilité largement réduite du fait de leur non-éligibilité vraisemblable au régime favorable de l’aide d’État. Ce qui reviendrait à les condamner systématiquement, ou presque. 

La partie d’échecs entre la France et l’Allemagne n’est pas terminée.

 

Pierre-Guive Yazdani

 

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