Ce mardi 3 janvier, Taïwan a réclamé auprès de l’OMC un statut d’observateur dans l’arbitrage des sanctions entre la Chine et les États-Unis sur la question des semi-conducteurs. Alors que la guerre économique fait rage, comment appréhender le devenir du petit territoire insulaire aux forts enjeux géostratégiques ?
En octobre 2022, le gouvernement Biden dévoilait une série de directives pour limiter l’exportation de semi-conducteurs et d’outils de fabrication vers la Chine. Washington soulignait alors la menace que faisaient planer les potentielles utilisations de ces technologies sur sa sécurité nationale. Au même titre que l’uranium, les usages des semi-conducteurs ne se confinent, en effet, pas au seul domaine civil. Washington en a donc interdit l’exportation vers la Chine, dont le retard dans le domaine est estimé à trois ans.
Deux mois plus tard, Pékin portait réclamation devant l’OMC pour questionner le bien-fondé des mesures prises par Washington, qu’elle accusait de suivre une ligne protectionniste et d’ainsi bafouer les règles du commerce international.
Le différend entre les deux géants se répercute avec pertes et fracas sur l’ensemble des acteurs de la chaîne, et notamment Taiwan. En 2021, les industries des semi-conducteurs taïwanaises contribuaient à 26 % des revenus mondiaux de la filière. Ce chiffre s’élevait à 61 % pour les technologies les plus avancées, c’est-à-dire mesurant moins de 16 nanomètres. L’abandon du marché chinois est une nécessité pour maintenir la pérennité des partenariats avec les États-Unis.
Si les géants de la filière tels que Taïwan Semiconductor Manufacturing (TSMC), Samsung ou SK Hynix bénéficient d’une exemption d’un an avant l’application des sanctions par Washington, ces dernières pourraient toutefois constituer un manque à gagner colossal pour les industries taïwanaises.
Taipei fait donc valoir son « grand intérêt à savoir comment le différend affectera l'offre et la demande de produits semi-conducteurs dans [ses] échanges bilatéraux et sur le marché mondial ». Notons aussi la présence de Moscou aux abords du ring, elle aussi sous le coup de lourdes sanctions américaines et qui a manifesté son intérêt pour le déroulement du match entre les deux « coopétiteurs ».
Comment appréhender l’immixtion du minuscule état insulaire dans ce combat de titans ?
D’aucuns estiment que la position hégémonique taïwanaise en amont de la chaîne de valeur des semi-conducteurs, couplée à la proximité entre Taïwan et Washington, pourrait mener à une reconnaissance graduelle de Taïwan par une multitude d’acteurs, à commencer par l’Europe occidentale. La dépendance européenne aux importations taïwanaises et aux technologies et brevets américains amènerait, hypothétiquement, le Vieux continent à prendre parti pour Taïwan contre la Chine, générant une cascade normative et diplomatique d’ampleur.
Dans ce sens, on peut souligner la note du département d’État américain, publiée dans le sillage de la rupture des relations entre Taïwan et le Nicaragua, et encourageant « tous les pays qui accordent de l'importance aux institutions démocratiques, à la transparence, à l'État de droit et à la promotion de la prospérité économique pour leurs citoyens d'accroître leurs liens avec Taïwan. »
Il n’en demeure pas moins que, pour l’heure, Taïwan n’existe au sein de l’OMC que sous le libellé de « Taipei Chinois », qu’elle n’est reconnue que par 14 des 193 États membres de l’ONU, dont elle ne fait d’ailleurs plus partie depuis 1971 et le transfert de souveraineté à la République Populaire de Chine (RPC).
La construction, initiée en 2022, d’une usine de fabrication TSMC en Arizona et le transfert subséquent d’une partie des technologies taïwanaises vers les États-Unis laissent entrevoir un avenir potentiellement plus alarmiste pour le Taipei chinois.
La proximité entre Taïwan et les États-Unis, qui se manifeste notamment par la forte présence militaire de ce dernier en mer de Chine méridionale, s’entend d’abord comme un investissement stratégique. La ligne de conduite américaine peut se lire avant tout comme la conservation d’un avantage technologique sur son premier rival. Il s’agit, pour Washington, de renforcer ses propres technologies tout en empêchant Pékin de rattraper son retard.
On pourrait subodorer qu’au terme du transfert technologique sur son territoire, qui participe aussi de la stratégie America First entamée sous Donald Trump et maintenue par Joe Biden, l’Amérique se désengage ensuite progressivement de la région.
Après Hong-Kong et la question des Ouïghours, Taïwan représente le prochain obstacle sur la voie du Parti dans sa politique de la Chine unique. D’une alliance avec les États-Unis découlent deux scénarios probables, bien qu’antithétiques, qui représentent le prochain grand chamboulement des affaires internationales.
Simon Renard
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