« Paris Dakar » : intérêts financiers et course mythique en Arabie Saoudite

Le royaume Saoudien s’est offert pour la première fois en 2020 le mythique rallye « Dakar ». Une réussite en termes de soft power qui donne de l’oxygène à un pays qui s’enlise dans une guerre au Yémen, dont le blocus sur le Qatar est un échec et qui voit son allié américain de longue date abandonner son rôle traditionnel de gendarme du monde. En 2020, le « Dakar » est donc un « Jeddah-Qiddiya ».

Mohammed ben Salmane (MBS), prince héritier du royaume saoudien, souhaite sûrement sa revanche automobile sur le Qatar : le « Dakar » 2019 a vu Nasser Al-Attiyah, un qatari ambassadeur sportif de l’Émirat Qatari, s’offrir la première place au classement général, les drapeaux du Qatar flottants dans l’air péruvien en prime. MBS comptait sûrement sur Yazeed Al Rahji ou encore sur Yasir Seaidan, tous deux coureurs saoudiens, pour doubler le trouble-fête qatari, second au classement général course de 2020. Pour rappel, l’Arabie Saoudite est le pays meneur dans le blocus imposé au Qatar depuis juin 2017. Pensé comme une véritable offensive déstabilisatrice, ce blocus est aujourd’hui vu comme un échec par la majorité des observateurs.

Cela ne doit pas gâcher la fête : le « Dakar » est avant tout un événement sportif, où « tout le monde [est] amical, tout le monde [est] prêt à aider », une façon de découvrir une culture et  une population, lit-on chez Arab News. La Saudi Gazette vante les mérites du royaume, le premier pays du « continent asiatique » hôte du Dakar. Un « royaume d’Asie » qui semble bien loin de la Péninsule Arabique et des tensions qui y règnent.

La réalité est plus amère : l’Arabie Saoudite est en retard sur ses voisins, tant en termes de diversification économique que d’image de marque. Des associations pour la défense des droits de l’Homme comme Human Rights Watch dénoncent « [l’]opération de communication visant à faire oublier les crimes du régime » et ainsi, un retard du point de vue de la démocratie.

 

Plan Vision 2030 et diversification saoudienne

Avec le plan Vision 2030, MBS a vu les choses en grand. L’objectif affiché est de diversifier l’économie saoudienne en investissant dans des secteurs nouveaux ou délaissés. La réduction de la dépendance au pétrole est un objectif crucial : on se rappelle de l’introduction en bourse de Saudi Aramco comme le véritable début de l’après-pétrole pour MBS. C’est toutefois le pétrole qui finance en grande partie ce plan Vision 2030. 

L’Arabie Saoudite se distingue dans la péninsule Arabique par sa population jeune dont la moyenne d’âge est de 27 ans, affirme Fatiha Dazi-Héni, politologue et chercheuse à l’IRSEM, dans l’émission de France Culture « Cultures Monde » intitulée « Dakar Saoudien, Mondial Qatari : un cap pour la péninsule ». Accueillir des événements sportifs c’est s’offrir une vitrine internationale, mais c’est surtout, dans le cas de l’Arabie Saoudite, un moyen de vendre une image de royaume moderne auprès des saoudiens mêmes. La population saoudienne est estimée à environ 33 millions d’habitants (dont un tiers d’étrangers), soit plus de deux fois celle des Émirats Arabes Unis et du Qatar réunis. Dazi-Héni affirme également que beaucoup de Saoudiens vont à Dubaï pour les vacances et les loisirs notamment : un phénomène qui tend à se réduire avec les efforts déployés par MBS auprès de sa population.

 

Le sport est un moyen et non un but : Turki al Sheikh, directeur de l’autorité générale des sports en Arabie Saoudite, est l’un des plus proches conseillers de ben Salmane. Jeunes tous les deux, 38 et 34 ans respectivement, ils ont en commun la vision du soft power du royaume par le sport. Dans un pays où le sport avait été interdit à la jeunesse, tout reste à faire et tous les moyens sont bons. Un exemple, récemment dévoilé, est la préparation par l’Arabie Saoudite d’un grand prix de Formule 1 en 2023 dans la banlieue de Riyad.

La diversification de l’économie arabe se fera notamment via sa politique des « valises de dollars » qui lui permettent d’acheter à grands frais. Les coûts estimés pour l’obtention du Dakar sur cinq années sont de 15 millions d’euros par an, selon Wladimir Andreff (chez France Culture). En parallèle, la crise économique qui touche l’Amérique du Sud et notamment ceux qui organisaient les rallyes « Dakar » depuis 2009 a été une aubaine pour l’Arabie Saoudite, qui débourse désormais près de trois fois ce qui était dépensé par les pays organisateurs précédents (Wladimir Andreff chez France Culture).

 

Saudi Arabia, une marque crédible ?

Les exemples du Qatar et des Émirats ont de quoi faire des envieux du côté saoudien : bien plus que des pays pétroliers riches, ce sont de véritables marques que l’on voit arborées sur des maillots de football, des compagnies aériennes ou encore des fondations à visée éducative et sociale notamment.

Les Émirats accueillent en 2020 une Exposition à caractère international, où les sponsors de renom comme Nissan, PepsiCo, Siemens ou MasterCard se bousculent pour être à l’affiche. Le Qatar a accueilli les très controversés mondiaux d’athlétisme en 2019 et sera l’hôte des mondiaux de football de 2022. 

A contrario, l’Arabie Saoudite se doit d’être proactive dans sa recherche de légitimité internationale : le pétrole ne suffit plus. L’affaire Khashoggi, la guerre au Yémen, le nombre d’exécutions record en 2019 (184, soit plus du double qu’en 2014) sont autant de faits que la société civile étrangère n’oublie pas… En tout cas pas après quelques événements sportifs ou touristiques.

 

Un point conclusif énigmatique : d’un « Dakar » qui quitte le continent africain pour des raisons de sécurité, nous passons à un « Dakar » qui s’installe dans un pays récemment touché par des actes de malveillance et qui est en guerre au Yémen voisin. La diplomatie du chéquier Saoudien reste une marque de fabrique qui est plus dure à vendre, mais qui achète beaucoup.

 

Adam Thongsavarn