À l’heure du big data, le volume de données échangées explose. Les datacenters, qui permettent leur stockage et leur traitement, tiennent une place centrale dans ce processus. Ils sont donc appelés à se multiplier au cours des années à venir, ce qui interroge au point de vue environnemental, car la consommation énergétique de ces infrastructures est exponentielle. Les pays scandinaves se démarquent grâce à leur avance en matière d’énergies vertes et leur expertise dans le domaine des nouvelles technologies. Cette stratégie les rend particulièrement attractifs pour les géants du numérique qui cherchent à implanter de nouveaux centres de données. À plus d’un titre, leur stratégie mérite d’être analysée.
L’alliance de l’éolienne et du datacenter : telle peut être définie la stratégie des pays scandinaves à l’heure de la mondialisation numérique. Alors que les critiques s’élèvent contre les nouvelles technologies, qui s’avèrent extrêmement polluantes et gourmandes en électricité en dépit de leur caractère immatériel, la prise en compte de ces nouveaux enjeux représente une aubaine pour les États qui s’affirment dans le domaine de l’économie verte. C’est notamment le cas des pays scandinaves (Danemark, Suède, Norvège) qui ont su déployer une stratégie les rendant particulièrement attractifs pour les géants du numérique cherchant à implanter leurs datacenters. En combinant efficacement ses deux principaux leaderships, l’écologie et la technologie, la région parvient à accroître son influence et pourrait devenir un carrefour de la mondialisation digitale.
Les datacenters, catastrophe écologique ?
En ce début de 21ᵉ siècle qui marque l’avènement d’internet, les datacenters sont un des piliers du système de connexion global qui relie le monde. Le datacenter est un lieu qui regroupe des ordinateurs et des serveurs dans lesquels sont stockées des données de toutes sortes. Il permet d’entreposer, d’organiser et de traiter les informations et est indispensable pour les entreprises, qui reposent de plus en plus sur ces infrastructures.
On dénombre 8 000 datacenters dans le monde en 2021. Ce chiffre est en augmentation croissante et l’explosion du big data devrait encore accentuer la tendance. C’est là que le problème de l’environnement survient : les datacenters sont des infrastructures très gourmandes en électricité. On estime qu’ils représentent actuellement 3 % de la consommation électrique mondiale, chiffre qui pourrait monter à 12 % d’ici à 2030. Ils comptent pour 17 % de l’empreinte carbone totale des nouvelles technologies du numérique. Près de la moitié de l’électricité utilisée dans les datacenters sert à alimenter les systèmes de refroidissement, tandis que l’activité même de stockage de données par des ordinateurs fonctionnant 24h/24 représente une consommation considérable. Le sujet est plus que jamais d’actualité, et les critiques s’élèvent de toutes parts ; néanmoins, certains pays parviennent à capitaliser sur ces nouvelles problématiques pour devenir des acteurs influents du secteur.
Une montée en puissance des pays nordiques
En effet, si aujourd’hui, les États-Unis concentrent le plus de datacenters (2 600 en 2021), une nouvelle tendance semble néanmoins se dessiner. Les enjeux environnementaux sont devenus trop importants pour être mis de côté. Dans ce contexte, la Scandinavie parvient à tirer son épingle du jeu.
La région présente des avantages notables pour l’implantation de datacenters : stabilité, rapidité et fiabilité du réseau, haut degré de numérisation, personnel qualifié. Mais l’argument écologique place plus que jamais la Norvège, le Danemark et la Suède au centre des attentions. D’abord, ces pays présentent un fort potentiel en ce qui concerne les énergies vertes : ils produiront 60 % de leur électricité grâce aux énergies renouvelables en 2020, contre 38 % en moyenne au niveau européen. Ils ont ainsi la capacité d’alimenter les centres de données avec un impact environnemental bien moindre que la plupart des autres pays. Mais c’est la possibilité de recourir au « free cooling », c’est-à-dire au refroidissement naturel, grâce au climat froid de la région, qui est particulièrement intéressante pour ces infrastructures générant une forte chaleur. De même, la possibilité de pomper de l’eau à des températures quasi-polaires pour alimenter le système de refroidissement constitue un atout.
Parmi les projets notables figure le datacenter construit et installé par l’entreprise Green Mountain sur l’île de Rennesoy, en Norvège. Ce dernier puise dans les profondeurs de la mer du Nord pour faire fonctionner sa station de refroidissement. La Suède, de son côté, a créé le Stockholm Datapark, une initiative regroupant la ville de Stockholm, le fournisseur de chauffage Stockholm Exergi, l’opérateur de réseau électrique Ellevio et le fournisseur de fibres noires Stokab. L’objectif est de permettre l’installation de centres de données dans la ville et ses environs, et d’utiliser la chaleur émise par ces centres afin d’alimenter le système de chauffage urbain. L’objectif affiché est d’atteindre 10 % du chauffage de la ville généré par les datacenters d’ici à 2035. Le Danemark n’est pas en reste : les GAFAM au grand complet ont, ou projettent d’y installer des datacenters dans les prochaines années. En 2020, Microsoft annonçait son plus lourd investissement en trente ans d’activités dans le pays, avec le projet d’un datacenter géant fonctionnant à 100 % grâce aux énergies vertes.
Une stratégie d’intelligence territoriale qui porte ses fruits
La Scandinavie s’illustre ainsi par sa capacité à bâtir un système qui lie habilement les acteurs locaux et la géographie. La région a su mettre en place une stratégie efficace et cohérente, reposant sur la combinaison de ses avantages comparatifs traditionnels (qualité des infrastructures, haut degré de compétences humaines) et sur la prise en compte d’enjeux devenus incontournables ces dernières années, à savoir l’écologie et l’économie verte. À ce titre, les pays nordiques offrent un exemple remarquable d’intelligence territoriale : ils mobilisent tout à la fois leurs atouts géographiques et climatiques, leurs entreprises de l’énergie et leurs acteurs du numérique afin d’assurer le développement du territoire tout en apportant des solutions à des problèmes sociaux et environnementaux.
Cette stratégie s’avère payante, comme en témoignent les exemples cités précédemment ainsi que les classements internationaux qui placent régulièrement les pays nordiques en tête des emplacements idéaux pour l’implantation de centres de données. En devenant un pôle d’attractivité pour l’implantation de datacenters, la Scandinavie s’affirme donc comme l’une des zones clefs de l’économie mondiale de demain, au sein de laquelle la place du numérique est appelée à croître à marche forcée.
Alexandre Jeandat pour le club Data Intelligence de l'AEGE
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