Un fournisseur (et non un client) qui annule une commande de 6,4 milliards de dollars au prix catalogue et un client qui diffuse en représailles une vidéo sur YouTube pour matérialiser des défaillances de son fournisseur : ce sont les derniers éléments d’une querelle qui remonte déjà à plusieurs mois, même si tout avait bien commencé. Revenons en arrière…
Juin 2007 : Qatar Airways devient la première compagnie aérienne à passer commande pour l’A350, dernière nouveauté de l’avionneur européen Airbus. La quantité est importante d’emblée : 80 appareils. Des trois variantes initialement prévues, deux seront in fine retenues, avec le détail suivant : 43 A 350-900 et 37 A350-1000. Quinze ans après, il reste encore un solde à livrer, en l’occurrence 23 exemplaires du modèle 1000, et Qatar Airways refuse d’en assurer la prise en charge.
Depuis juin 2021, Qatar Airways communique en effet publiquement sur l’existence de défauts au niveau du fuselage qui concernerait une partie des appareils déjà livrés. Ce problème a d’ailleurs été également évoqué par quelques autres compagnies (Lufthansa, Finnair, etc.), sans qu’elles ne décident d’immobiliser leurs appareils. Airbus, quant à lui, indique que ce problème n’a pas d’impact sur la navigabilité de l’appareil. Sur base des éléments communiqués par les parties, la position confirmée par différentes autorités de l’aviation civile (l’EASA, européenne et la FAA, américaine).
Malgré des échanges répétés, le litige n’est pas résolu. Et la prochaine étape, de ce qu’il faut bien appeler une guerre de l’information en complément du désaccord bien réel entre les parties, est prévue en avril 2022, à Londres, dans le cadre d’une cour d’arbitrage sollicitée par Airbus.
Les enjeux sont importants et multiples. Dans le duopole des avionneurs, où la réputation de Boeing a été sérieusement mise à mal par les deux accidents du 737-Max, et pour laquelle le constructeur a accepté de payer une amende fédérale de 2,5 milliards de dollars. Celle d’Airbus est très bonne et toute mise en cause de celle-ci est évidemment problématique. Dans sa communication, Airbus insiste sur l’impact sur sa réputation du discours relayé par Qatar Airways. Ensuite, dans le monde de l’aéronautique, la livraison d’aéronefs est un fait générateur clé pour le paiement d’une partie significative du prix. De fait, l’absence de prise en charge impacte négativement le niveau de trésorerie de l’avionneur européen, sachant que les coûts de production ont évidemment été supportés en intégralité. En complément de ce premier impact financier s’ajoute la demande de pénalités : 618 millions de dollars, plus 4 millions par jour. Enfin, l’annonce par Airbus de l’annulation de la commande de 50 A321-NEO (représentant au prix catalogue la bagatelle de 6,4 milliards de dollars) est une décision inédite dans l’histoire de l’aviation civile pour une commande de cette ampleur. Elle traduit cependant un rapport de forces clairement en faveur de l’avionneur :
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le carnet de commandes à date est supérieur à 7 000 aéronefs, à livrer sur un horizon de 10 ans (l’annulation ne représente donc que moins d’1 % du total),
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l’A321-NEO n’a, selon les spécialistes, pas d’équivalent véritablement disponible dans la gamme de Boeing, ce qui explique assez largement le gain très récent de commandes très importantes de la part de compagnies historiquement proches du constructeur américain (Qantas notamment). L’absence pour Qatar Airways de ces appareils, qui permettent une réduction significative de la consommation de carburant, ne constituerait pas un atout.
C’est à la suite de cette annonce d’Airbus qu’une vidéo sur les défauts de fuselage a été diffusée par Qatar Airways.
Il faut aussi garder en tête que :
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Qatar Airways, qui gère également l’aéroport international de Doha, est détenue à 100 % par l’État du Qatar, qui a bien sûr par ailleurs le contrôle de l’autorité locale de régulation ;
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Qatar Airways est le premier actionnaire d’IAG (qui regroupe notamment British Airways et Iberia) et un actionnaire important de LATAM ;
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le président et fondateur de Qatar Airways, Akbar Al Baker, est également le président de Oneworld, l’alliance qui regroupe également American Airlines, British Airways, Iberia, Qantas, Finnair, Japan Air Lines et d’autres encore ;
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il est enfin le président de l’association locale de promotion du tourisme, et il va sans dire qu’en 2022, le Qatar sera une destination phare, tout particulièrement en fin d’année !
Il se peut que d’autres épisodes surviennent avant la tenue de la cour d’arbitrage en avril 2022. Mais en matière de communication, la cohérence est toujours d’importance, et dans ce cadre, la lecture du site internet de Qatar Airways apparaît quelque peu contradictoire. On y lit notamment ce qui suit au sujet de l’A350, sans mention particulière correspondant aux seuls appareils en vol :
« Encore une longueur d'avance
Chez Qatar Airways, nous cherchons toujours à dépasser vos attentes en donnant à votre voyage une nouvelle dimension en terme d'innovation. En tant que compagnie aérienne de lancement du nouvel A350-1000, nous sommes fiers d'être la première compagnie aérienne au monde à exploiter l'avion le plus avancé technologiquement. Grâce à nos efforts permanents en matière d'innovation, nous continuerons à introduire de nouvelles technologies et à chercher de nouveaux moyens de proposer le voyage aérien le plus agréable au monde ».
Le litige en cours entre Airbus et Qatar Airways sera-t-il résolu avant le démarrage de la Coupe du Monde de Football ? Les prochains mois nous le diront peut-être.
François Guilbaud
Pour aller plus loin :