La conquête spatiale dans le viseur de l’Europe

Le 11 septembre 2020, l’Armée de l’Air a été renommée Armée de l’Air et de l’Espace, non sans raison, considérant l’enjeu que représente la conquête spatiale. Si depuis la création du Centre National d’Études spatiales (CNES) en 1961, le Général de Gaulle a inscrit la France dans l’art de la guerre interstellaire, le XXIᵉ siècle et ses défis poussent le continent européen vers un champ de bataille à 10 000 km de la planète bleue.

La création du Commandement de l’Espace (CDE) en septembre 2019 permet d’unifier les services dédiés au domaine, mais également de muscler l’arsenal spatial de la France. Emmanuel Macron explique que ce projet s’ancre dans une volonté «d’assurer notre défense de l’espace et par l’espace», mais face à quelles forces ?

Les grandes puissances en guerre astro-économique

En novembre 2020, la Chine a déployé un satellite 6G, bien que le projet serve l’optimisation d’une 5G encore futuriste, Pékin souhaite par ce biais affirmer sa présence dans l’espace face aux américains. Elon Musk travaille par le biais du projet Starlink à l’étude et l’éventuelle colonisation de la planète Mars d’ici 2024. Il n’est pas seul, trois États convoitent la planète rouge, avec parmi eux la Chine et les Émirats Arabes Unis. De son côté, Amazon prévoit pour l’horizon 2029 de déployer plus de 3000 satellites. Jeff Bezos souhaite via le projet Kuiper créer une constellation de satellites dédiée à l’internet haut débit. Parallèlement aux quêtes spatiales américaines, chinoise et arabe, Moscou se démarque en se focalisant sur la planète Vénus. Le déploiement des réseaux pour les standards téléphoniques est tributaire du développement des satellites, faisant de la domination de l’espace un levier d’influence considérable. Le développement de la cinquième génération (5G) a réaffirmé la conquête numérique menée par les grandes puissances économiques. Les géants comme Nokia, Ericsson, Samsung et Huawei livrent en ce moment même une bataille pour le développement intercontinental de leur réseau. Les diverses nations souhaitent par le monopole de l’espace s’implanter dans les structures réseaux du globe, engendrant un mécanisme de dépendance et d’influence inégalable.

L’Europe place ses pions

En 2017, le satellite franco-italien Athena-Fidus a été approché par un satellite russe. Cette visite n’étant pas courtoise, elle a rappelé à l’Europe le danger planant sur son patrimoine informationnel. Stéphane Israël, PDG d’Arianespace, précise que l’Europe doit, face à de rudes concurrents tels que SpaceX et Amazon, entrer dans la danse et ne pas subir cette course à l’armement contemporaine. Via le projet Ariane 6 et avec l’appui de Thierry Breton, commissaire européen, l’Agence Spatiale Européenne (ASE) souhaite créer une constellation européenne. Cette démarche se veut autonomiste afin d’esquiver toute dépendance à une force étrangère. Le monopole de Huawei concernant la mise en place de la 5G a révélé le retard américain sur le sujet, fait confirmé par la volonté de Donald Trump de s’approprier les géants scandinaves afin de pallier cette défaillance. Par le projet spatial européen, les dirigeants souhaitent ne montrer aucun signe de faiblesse laissant penser que l’Europe sera dépendante de satellites étrangers. Dans une même mesure l’ASE se protège face aux risques d’ingérence en ne cantonnant ses partenariats qu’aux membres de l’agence.

Contrairement aux américains bénéficiant davantage de lancements institutionnalisés, l’Europe spatiale doit compter sur un consortium avec les acteurs intéressés par la constellation. La fragilité du continent réside dans son manque de souplesse, c’est-à-dire sa nécessité de réunir bon nombre d’acteurs avant de prendre une décision de cette ampleur. En outre, J. Bezos et E. Musk bénéficient davantage de liberté de mouvement, expliquant en partie leur avance considérable. L’analyse concurrentielle offre au président d’Arianespace un levier de poids pour convaincre ses partenaires de le suivre dans cette démarche. Le projet dynamise par ailleurs l’industrie de défense française puisque d’importantes entreprises comme Thalès ou Airbus seront sollicitées pour le programme. À ce jour, aucune opération militaire ne se soustrait à l’usage de satellites. La géolocalisation permet de guider les navires, blindés et missiles, mais également de limiter l’utilisation des canaux de communication terrestres, plus simples à intercepter. C’est d’ailleurs pour cela que deux satellites ont été développés par Arianespace pour le Ministère des Armées, l’un servant à l’écoute électromagnétique (CERES), le second à la télécommunication. Les risques d’agressions forcent la France à se tourner vers des systèmes de défense plus subtils que les missiles. L’utilisation du cyber comme arme permet non seulement de prendre le contrôle de satellites ennemis, mais également de les brouiller. L’apparition de satellites «butineurs» comme le russe Luch Olymp, incite également à se munir d’outils plus radicaux comme les lasers et les armes à impulsions électromagnétiques.

La dangerosité du citoyen lambda

Si à l’aube de leur développement les outils numériques étaient à disposition d’organismes régaliens, leur démocratisation donne la possibilité à un individu armé d’un ordinateur, d’un décodeur et de quelques logiciels d’inquiéter toute une nation. Cette inversion du rapport de force du faible au fort est appuyée par la démonstration d’Adam Laurie en 2009. Auparavant, les logiciels employés par les satellites reposaient sur un code propriétaire, distribué sous forme binaire et donc sans source. Or, sont aujourd’hui souvent utilisés des codes libres dits open source. Cette différence joue un rôle crucial dans la sécurité des informations. Lors d’une conférence Black Hat, A. Laurie a démontré la «facilité» avec laquelle un individu agile peut piller un satellite. Les attaques de cette nature existent depuis le début des années 1990, mais à ce jour, les moyens mis à disposition des assaillants les rendent de plus en plus dangereux. En l’occurrence, l’affaire NotPetya a montré la vulnérabilité du système économique de par son informatisation. Avec l’internet des objets (IoT), l’omniprésence du satellite dans le quotidien de l’Homme en fait à la fois un allié précieux et son talon d’Achille.

Finalement, la France et plus généralement l’Europe affirment leur volonté de conquérir l’espace et de ne pas faire partie des derniers de la course. Là où planent les dangers chinois, russe, américain et émiratie se placent également des assaillants à l’apparence moins intimidante. Les agressions pouvant survenir de tous horizons poussent les nations ouest-européennes à se munir de systèmes de défense et d’attaque à la hauteur de la menace. Conformément à la doctrine «s’adapter pour vaincre» de Michel Goya, les grandes puissances s’inscrivent dans une guerre économique tournée vers un désir de souveraineté et de supériorité numérique.

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