Le président paternaliste Alexandre Loukachenko sort décrédibilisé par sa gestion de la Covid-19. Aussi, les élections de 2020 marquent un tournant dans la vie publique biélorusse. Pour la première fois depuis 26 ans, le débat politique a mis en avant un rapport de force en faveur de l’opposition au pouvoir de Loukachenko. L’encerclement cognitif et la stratégie d’utilisation pragmatique des réseaux sociaux de l’opposition ont pu permettre de déligitimer le pouvoir dictatorial de Loukachenko.
Le fondement de la stratégie de contre influence menée par l’opposition est la délégitimation du pouvoir de Loukachenko. “Caractérisé” par une personnalisation du pouvoir politique et la mise en place d’un culte de la personnalité du dirigeant au pouvoir depuis 1994. Loukachenko a fondé son pouvoir en se positionnant comme le protecteur des intérêts du peuple et garant de la stabilité à la fois politique et économique du pays. Cependant, d’après l’analyse d’Alexandra Goujon, politologue spécialiste des conflits politiques en Biélorussie et en Ukraine, la personnalisation du pouvoir politique de Loukachenko a pour base la verticalité s’expliquant par la toute-puissance des décrets présidentiels (suite à la modification de la constitution en 1996) et un clientélisme omniprésent. Cette stratégie est particulièrement efficace puisque la majorité des emplois dépendent de l’État et sont peu pérennes, renforçant l’assujettissement des fonctionnaires par rapport au pouvoir présidentiel. L’opposition a donc tenté de contrebalancer cette omnipotence présidentielle par la voie politique, grâce à la création d’outils politiques tels que le conseil de coordination de l’opposition (CC) et en faisant appel à la communauté européenne comme moyens de faire pression sur le pouvoir. Ce conseil a pour but : « d'organiser le processus de sortie de crise politique et d'assurer l'harmonie dans la société, ainsi que de protéger la souveraineté et l'indépendance de la République de la Biélorussie. Le Conseil agit sur la base des principes fondamentaux de la Constitution». Imposant donc une opposition fondamentale entre le modèle politique personnel du président et le modèle participatif proposé par le CC. Pour renforcer son discours, l’opposition va instrumentaliser les violences policières pour s’imposer comme le représentant d’un peuple opprimé par un régime violent. Par ce processus, le storytelling imposé par Loukachenko, mettant en un homme providentiel disant représenter les intérêts de son peuple est dès lors rompu. La stratégie d’arrestation de la majorité des leaders de l’opposition, tels qu’Olga Kovalkova et Sergueï Dilevski, menée par Loukachenko, a finalement joué en sa défaveur. L’opposition a pu bénéficier d’une médiation inédite qui a permis à Tikhanovskaya de rencontrer des dirigeants de l’Union européenne tels qu’Emmanuel Macron, Angela Merkel et Charles Michel.
Enfin, lors des manifestations, un drapeau blanc à bande rouge a souvent été aperçu. Ce dernier était l’ancien drapeau de la Biélorussie d’avant la présidence de Loukachenko et plus particulièrement celui de 1918. De ce fait, en plus de contester la manière dont gouverne le président, l’opposition, accompagnée par les manifestants, ont aussi pour ambition de mettre en place un nouveau storytelling, venant contrebalancer celui imposé par la présidence.
Les réseaux sociaux, l’outil choisi pour happer la jeunesse
La stratégie de communication affichée par l’opposition biélorusse peut être analysée de différentes manières. Les réseaux sociaux ont une place prépondérante dans la stratégie de communication de Svetlana Tikhanovskaya. En effet, les médias traditionnels sont tous verrouillés par le régime. La candidate a donc dû se baser sur deux principales plateformes : Twitter et Instagram. Ces deux plateformes sont très utilisées par la jeunesse biélorusse qui constitue la majorité des manifestants. Ces canaux sont la garantie d’atteindre un public ciblé et stratégique pour l’opposition. Ils servent aussi l’efficacité du discours de l’opposition, car ils permettent de fédérer autour du profil de l’opposante les sympathisants du mouvement et donc de constituer une base populaire solide à son mouvement politique. A l’heure actuelle où la stratégie du mouvement est en pleine mutation, ces outils numériques permettent une coordination non négligeable. Ces outils numériques sont Telegram et le réseau Nexta, messageries aussi utilisées par les manifestants hongkongais qui ont fait de la plateforme leur grand atout de communication. En effet, Telegram offre une garantie de sécurisation des messages qui sont chiffrés, ceci pour contrer la politique de censure du régime qui fait appel au service de Scandive pour exercer sa censure. La stratégie de communication de l’opposition est donc basée sur une digitalisation de l’information. Cette innovation permet, dans un contexte de désobéissance civile, d’améliorer la discrétion des échanges, la réactivité et l’adaptabilité. L’utilisation de ces mêmes méthodes à Hong Kong montre l’influence du numérique sur la structure intrinsèque des nouveaux mouvements de contestation.
Ces élections constituent donc un événement historique notable dans l’histoire politique de la Biélorussie. Pour la première fois, l’opposition mène une stratégie de contre influence se basant sur un encerclement cognitif et l’utilisation pragmatique des réseaux sociaux, utilisés comme outils de communication et de coordination. Les réseaux sociaux sont aussi utilisés pour happer la jeunesse dans le mouvement de contestation. Cette stratégie a eu pour effet de déplacer le rapport de force dans la sphère numérique, donnant un avantage considérable à l’opposition menée par Svetlana Tikhanovskaya.
Pierre-Léon Michel pour le Club Influence de l’AEGE
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