Nutri-Score : outil d’influence nutritionnel, catalyseur des tensions à l’échelle européenne

La nutrition est un déterminant majeur de la santé, qui favorise ou réduit les risques de maladies chroniques comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires. En 2017, la loi de modernisation du système de santé a introduit l’utilisation du Nutri-Score en France. Ce logo doit permettre aux consommateurs de comparer la qualité nutritionnelle des produits, mais ne fait pas l’unanimité dans toute l’UE. La lutte informationnelle se poursuit.

Le Nutri-Score, un logo pour faciliter la comparaison des produits agroalimentaires 

En novembre 2013, le Professeur Serge Hercberg publie un rapport à destination de la Ministre de la Santé, où il suggère l’utilisation du Nutri-Score. Ce logo nutritionnel prend la forme d’un indicateur coloré qui permet de comparer l’apport nutritionnel des produits d’une même catégorie en un clin d’œil. La note est attribuée selon un ensemble de paramètres favorables (teneur en protéines, fibres, fruits, légumes et noix) et défavorables (teneur en sucre, graisses saturées et sel). 

Après la publication du rapport, plusieurs industriels s’emparent de la question du Nutri-Score. Ce système de notation pourrait impacter leur modèle économique. Pour une entreprise spécialisée dans la fabrication de produits sucrés, gras ou salés, la mauvaise note du Nutri-Score à l’avant de l’emballage pourrait provoquer une baisse de consommation de leurs produits et donc une baisse du chiffre d’affaires. Les industriels et les lobbies opposés au Nutri-Score mènent donc des actions d’influence pour limiter son utilisation dans les pays de l’Union européenne (UE). Il aura fallu, à ce titre, 4 ans avant la signature du décret français autorisant l’utilisation du Nutri-Score en octobre 2017.

L’opposition des industriels : tentative de déstabilisation sur le plan scientifique

La stratégie d’influence adoptée par les anti-Nutri-Score s’est en grande partie reposée sur la critique scientifique du logo et du travail initial du Professeur Serge Hercberg. Ils ont en particulier dénoncé la non prise en compte de certains éléments tels que le taux de pesticides, les additifs ou encore le degré de transformation des aliments. Cependant, un logo prenant en compte tous les paramètres nutritionnels est peu réalisable par manque de consensus sur la dangerosité de certains additifs, ou encore la difficulté à effectuer des contrôles sur tous les paramètres. Donc pourquoi faire cette critique ? Il pourrait s’agir d’une stratégie visant à montrer les limites du logo, pour rouvrir le débat sur la pertinence du Nutri-Score.

C’est ce qu’ont fait les multinationales telles que Coca-Cola Company, Mondelez International, Nestlé, PepsiCo et Unilever, en s’alliant pour proposer leur propre logo : le Evolved Nutrition Label (ENL). Celui-ci a pour particularité de prendre en compte la taille des portions, au lieu par exemple, de faire un ratio pour 100g. Ils créent le site « evolvednutritionlabel.eu » pour promouvoir les avantages de leur alternative, mais ce dernier est supprimé en 2019 (mais est encore visualisable via archive.org). Sa suppression coïncide avec l’annonce de Nestlé qui s’est finalement engagé à afficher le Nutri-Score sur ses emballages dans 8 pays de l’UE avant la mi-2022.

Ce changement de positionnement pourrait s’expliquer par l’accumulation d’études scientifiques montrant une infériorité de l’ENL par rapport au Nutri-Score sur le comportement des consommateurs. Les attaques répétées d’associations de consommateurs comme UFC-Que Choisir ont probablement également eu un impact, puisque 90% des Français seraient favorables au Nutri-Score. Nestlé s’est donc adapté à l’opinion publique en intégrant le logo à sa nouvelle politique de « transparence au service du consommateur ».

Sur le volet scientifique, la marge de manœuvre des anti-Nutri-Score s’est donc considérablement affaiblie. Chaque tentative de déstabilisation est systématiquement contrée par la communauté scientifique qui reste mobilisée. Le site internet nutriscore.blog s’inscrit notamment dans cette démarche, recensant les articles scientifiques liés à la pertinence de l’utilisation du Nutri-Score. Des scientifiques prennent également régulièrement la parole dans les médias. Début 2021, le Docteur Pilar Galan (Directrice de recherche en épidémiologie nutritionnelle) répond aux interrogations concernant l’huile d’olive qui est notée C et non A, malgré ses nombreuses vertus. Elle explique que la notation « C » correspond aux recommandations de la santé publique et ne pénalise pas le produit, « C » étant la meilleure note attribuée aux huiles végétales. Cette occupation du terrain scientifique permet de faire barrage aux critiques, une stratégie de contre-influence qui s’inscrit dans la durée.

L’UE, nouveau théâtre des opérations d’influence contre  le  Nutri-Score 

Comme la France, certains pays de l’UE ont également officialisé le Nutri-Score, tels que la Belgique ou l’Allemagne. Cependant, un sondage réalisé en 2020, montre que de nombreux pays de l’UE sont encore indécis sur la question du Nutri-Score, voire opposés (ex. : Bulgarie, Grèce, Roumanie, Slovaquie). Les raisons sont multiples. Dans certains pays, l’étiquetage nutritionnel ne fait pas partie des priorités de la politique de santé publique. D’autres pays estiment que les coûts d’instauration du logo sont trop élevés. Pour convaincre les membres les plus réticents à adopter le Nutri-Score, des études scientifiques ont été réalisées par pays, pour démontrer l’impact positif du logo sur le comportement des consommateurs. Cette démarche, visant à convaincre chaque pays d’adopter le Nutri-Score, s’annonce compliquée. La législation actuelle ne permet pas à l'Union européenne d’imposer un logo nutritionnel aux États membres. C’est là un enjeu majeur pour les opposants au Nutri-Score, pour qui la législation ne doit pas changer. 

Parmi les lobbies européens qui agissent en ce sens, on trouve le lobby du sucre (CEFS), la Copa qui défend les intérêts des fermiers et la Cogeca qui soutient les coopératives agricoles. Ces lobbies sont parmi les plus importants à Bruxelles. Leur stratégie est différente de celle utilisée par les industriels en France. Au lieu de se focaliser sur l’aspect scientifique, ils se concentrent sur l’aspect commercial, social et législatif. Ils mettent par exemple l’accent sur la stigmatisation de produits du terroir qui sont certes très caloriques, mais ont une importance culturelle et ont même des vertus pour la santé (ex. : miel, huile d’olive…). L’enjeu sous-jacent est l’impact négatif que pourrait avoir le Nutri-Score sur les fermiers et les producteurs européens. Le logo pourrait également porter un coup à l’économie de certains pays exportateurs. 

Ainsi, le Nutri-Score reste un objet de tensions car il influence le comportement des consommateurs et impacte toute la chaîne de production alimentaire. Plusieurs industriels et lobbies ont essayé de limiter son utilisation en France et dans le reste de l’UE. La lutte sur le plan scientifique n’ayant pas porté ses fruits, les opposants au Nutri-Score ont adapté leur stratégie en se focalisant sur les limites du Nutri-Score sur le plan économique, législatif et culturel. Alors que la Belgique, la France, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Espagne et la Suisse se sont engagés à faciliter le déploiement du Nutri-Score, sera-t-il possible de généraliser son utilisation à toute l’Union européenne ?

 

Benjamin Vanhoutte pour le Club Influence de l'AEGE

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