Une autre grille de lecture des partenariats signés par l’Iran

Les récents partenariats que l’Iran a signé avec ses partenaires asiatiques apparaissent comme une aubaine pour un régime en danger. En grandes difficultés pour contrôler sa population, répondre à la pandémie et protéger ses personnalités, le régime des mollahs a grand besoin d’aide extérieure tant la situation économique et sécuritaire vire à la catastrophe. Si ces partenariats constituent un grand bol d’air pour un régime au bord de l’asphyxie, les leçons de l’Histoire du pays indiquent qu’une simple grille de lecture économiste de la situation ne suffit pas.

Depuis plusieurs années, la Chine et l’Iran se rapprochent. Si l’Empire du Milieu est devenu le rival des États-Unis depuis le mandat de Donald Trump, Téhéran est, depuis la prise d’otages de l’ambassade américaine de Téhéran en 1981, dans le viseur du Capitole. Est-ce l’ennemi commun qui a permis la création d’un axe commun? En tout état de cause, l’isolement de l’Iran est une aubaine pour la Chine qui profite d’un régime en manque crucial d’investissements étrangers depuis 1979. A cet égard, les deux puissances asiatiques ont signé un accord de coopération stratégique et commerciale sur 25 ans le 27 mars dernier. Cet accord est vraisemblablement  le moyen pour le régime de Téhéran de gagner du temps tant il semble en perte de vitesse, cependant il ne faudrait pas oublier le patriotisme de la population, peu enclin à voir les richesses du pays bradées à l’étranger.

Un régime en position de faiblesse lors de négociations commerciales 

Avec une inflation à près de 50% qui ferait frémir d’horreur n’importe quel banquier central, le rial transformé en monnaie de singe qui a perdu près de 500% de sa valeur, l’Iran est un pays exsangue économiquement. Outre un niveau de corruption endémique qui ne rassure pas les investisseurs étrangers, l’embargo américain empêche les multinationales de s’implanter dans le pays. Cet embargo est extrêmement strict comme le prouve les amendes reçues par Total ou BNP Paribas pour l’avoir violé. D’ailleurs, entre 2018 et 2019, les investissements étrangers, déjà bas, ont continué de reculer passant de 2,4 milliards de dollars à 1,5 milliard, soit une baisse de 36% en 1 an: la Banque mondiale classe l’Iran à la 127ème place des pays recommandés pour faire des affaires. Pour rappel, le pays dispose pourtant de sérieux atouts dans le domaine de l’énergie avec les 4ème plus grosses réserves de pétrole et 2ème de gaz naturel. Pourtant, le pays ne dispose pas des technologies pour exploiter correctement ses réserves. Contacté par le Portail de l’IE, un spécialiste du secteur pétrolier souligne que les produits vendus par l’industrie pétrochimique iranienne sont de très basse qualité et peu rentables ce qui ne leur permet pas d’investir. Le partenariat avec la Chine arrive donc à point nommé pour le régime de la République islamique et les deux sont d’ores-et-déjà partis à l’assaut du plus grand gisement du monde de gaz naturel, South Pars, dans le détroit d’Ormuz. La Chine est donc en position de force par rapport à l’Iran qui n’hésite pas à menacer la rentabilité de ses partenaires de l’OPEP en bradant son pétrole et son gaz à -32% de sa valeur réelle contre un investissement de 400 milliards sur 25 ans. 

Pourtant cet accord ne signifie pas pour le régime que l’avenir est assuré. Il ne faudrait pas conclure trop vite via une grille de lecture économiste que le pays va retrouver un semblant de stabilité. Cela pourrait être même exactement le contraire.

L'indéfectible âme Perse

Le roman national iranien puise ses mythes fondateurs dans l’histoire de la Perse. Des conquêtes grecque et arabe aux invasions mongoles, les Iraniens considèrent qu’ils n’ont jamais été conquis mais que c’est la culture persane qui a conquis l’envahisseur barbare, reparti du pays civilisé. Ainsi, le peuple iranien se soulève dès lors qu’il sent que sa culture et sa souveraineté sont menacées. C’est ce sentiment patriotique qui a été le moteur des révolutions iraniennes au cours du XXème siècle. La première d’entre elles, dite révolution constitutionnelle persane, a été motivée par l'octroi pour soixante ans d’une concession pour toutes les réserves pétrolières à l'Anglo-Persian Oil Company en 1901. Plus tard, pendant l’entre deux guerres, Reza Shah s'attire le ressentiment de la population à cause de sa politique de modernisation du pays qui bouleverse les traditions du pays. En 1946, c’est encore sur un programme de nationalisation des ressources pétrolières que Mossadegh obtient le soutien de la population. Enfin, c’est ensuite l’omniprésent appui américain au régime de Mohamed Reza Shah Pahlavi qui motivera, entre autres, sa destitution et l'avènement du régime des mollahs. Or, en cherchant l’appui de l’étranger (Chine et Russie), le régime réactive potentiellement dans la population le sentiment patriotique qui a toujours été un des moteurs révolutionnaires en Iran. S'ajoute à cela le fait que le régime est en perte de vitesse depuis quelques années, accentuée par la pandémie de Covid-19.

Un régime en perte de vitesse depuis la pandémie

Le pays au bord de la faillite, exclu des organisations internationales comme l’OMC, est d’abord dans une impasse comptable. Le régime, certes, dispose d’actifs mais n’est pas en mesure de les exploiter et doit donc les brader à l’étranger contre la promesse d’investissement en infrastructures au risque de réactiver un patriotisme qui s’appuie sur 3 000 ans de civilisation.

Ainsi, cet accord avec la Chine semble arriver un peu tardivement. A l’image des révolutions arabes, les insurrections en Iran sont portées par les réseaux sociaux. En effet, la population très jeune, utilise beaucoup les réseaux sociaux que le régime peine à contrôler. La République islamique n’arrive pas à trouver des solutions à cette jeunesse si ce n’est le martyr via les milices chiites en Irak et en Syrie ou l’éternelle bataille contre le "grand satan américain". La génération précédente, qui avait fait la révolution, est de plus en plus inaudible pour ces jeunes qui rêvent de s’exiler en Californie, au Canada ou en Allemagne et qui voit dans leurs aînés la raison de leur malheur.

En outre, le régime autoritaire semble de moins en moins performant au niveau de sa sécurité. En février denier, outre un partenariat commercial avec l’Union économique eurasienne, Téhéran a décidé de reformer son contre espionnage qui reste sur 3 échecs cuisants: l'assassinat du chef de la Force Quds, Qassem Soleimani, à Bagdad, le meurtre du numéro 2 d'Al-Qaïda en pleine capitale et l'assassinat du leader du programme nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadeh. Après de tels échecs, l’Iran est allé demander l’aide de la Russie, ce qui devrait également nourrir la perception de faiblesse et de traitrise du gouvernement vis-à- vis de sa population. D’autant plus qu’avant la pandémie de Covid-19, le pays était secoué par une vague de contestation que la gestion politisée de la pandémie par le régime de mollahs n’aura pas apaisée ; le pays étant le plus touché au Moyen-Orient.

La République islamique, depuis 1979, survit cahin-caha au rythme des affrontements militaires, des insurrections et de la guerre économique qui l’oppose aux États-Unis. Ainsi, les récents deals que Téhéran a signé avec Pékin et Moscou peuvent apparaître comme une aubaine pour le régime qui a subi de plein fouet la pandémie. Néanmoins, derrière la façade de la République islamique persiste une nation, qui revendique son existence malgré les invasions mongoles, arabes et grecques et les déstabilisations venues de l’étranger pour s’arroger les ressources naturelles. Plus qu’une capacité de résilience, la Perse, l’Iran d’aujourd’hui, possède un instinct de survie qui la pousse à se soulever lorsque l’élite dirigeante est perçue, à tort ou à raison, comme celle qui vend les richesses du pays à l’étranger. Le régime devra donc s’assurer de contrôler la perception de ses partenariats avec l’étranger, surtout si une puissance étrangère venait à favoriser l’émergence d’un discours patriotique révolutionnaire en Iran.

 

Pierre-Guive Yazdani

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