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Régulation des GAFA, le réveil européen ?

La nouvelle équipe de la Commission européenne portée par Ursula von der Leyen a décidé de taper du poing sur la table afin de faire exister l’Union Européenne (UE). En choisissant de moderniser le dispositif de régulation digital, l’UE s’attaque peut-être enfin à un ennemi qui mettra d’accord tous les membres ou presque. Première étape d’un réveil souverain européen ou coup dans l’eau?

Les GAFA sont devenus trop puissants économiquement et socialement pour être ignorés. Le problème de la sujétion ou non de ces entités au Droit et à l’UE a été pris à bras le corps par la nouvelle équipe de la Commission européenne qui a décidé d’en faire un partenaire à défaut de pouvoir les soumettre et d’éviter qu’ils deviennent un concurrent. Avec la volonté plus ou moins assumée de vouloir favoriser l’émergence d’un acteur européen, la voix des partisans d’une UE forte commence à se faire entendre. Pourtant le manque de consensus sur ce qu'est l’UE pourrait être un problème si l’activisme de l’équipe de la nouvelle présidente agace les États-Unis et la Chine. 

L’UE s’attaque à un ennemi tout en faisant de lui son partenaire

Promesse de campagne de l’actuelle présidente de la Commission Européenne, Ursula von der Leyen, la nouvelle réglementation sur les services numériques a été proposée en décembre 2020 après avoir été annoncée comme faisant partie intégrante de la stratégie de la nouvelle équipe. Publiés dès le 15 décembre, les projets de règlements Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) doivent permettre la mise en œuvre d’un nouveau cadre de régulation en modernisant la dernière directive en la matière qui datait de 2000, transposée en droit français via la loi de confiance dans l’économie numérique de 2004. La nouvelle équipe vise à mettre fin à l’irresponsabilité des géants du numérique, les GAFA.

La puissance financière des GAFA, avec une capitalisation boursière qui dépasse parfois le PIB annuel de certains pays membres, est dans le radar des régulateurs nationaux et internationaux depuis une dizaine d’années. Avec la digitalisation de l’économie, qui sera certainement accélérée par la pandémie de Covid, ces géants du numériques ont atteint une masse économico-sociale critique. Cette importance résulte à la fois de leur capacité à répondre aux besoins des consommateurs et utiliser la data et de l’environnement monétaire qui leur a permis de profiter de liquidités facilement jusqu'à devenir bénéficiaire.

La stratégie de la Commission européenne est donc plutôt pragmatique. Sachant qu’il est impossible en l’état actuel du secteur de se passer de ces acteurs, elle a décidé d’en faire des partenaires notamment dans la modération des comportements sociaux dans l’espace digital. Pour cela, plutôt que de passer par l’édiction d'une directive, l’équipe de Mme von der Leyen a décidé que ces “plateformes structurantes” devraient être responsables des actes commis grâce à leurs infrastructures via un règlement, d’application directe. Désormais les géants du numériques seront dans des tiers de confiance associés aux autorités de régulation dont ils assumeront certaines missions, à la manière d’un huissier ou d’un commissaire au comptes dès 2022.

Limiter le développement des GAFA pour favoriser l’émergence d’un géant européen?

Le second volet de l’initiative de la Commission européenne contre les géants du numérique est de permettre l’émergence d’acteurs européens dans le secteur. En effet, le vieux continent est bien pauvre en la matière contrairement à la Chine et les États-Unis. Afin de sortir de cet écueil, le Digital Market Act devrait permettre de poser un premier cadre afin de réaffirmer et favoriser les principes qui sous-tendent le bon fonctionnement des marchés: transparence, équité, concurrence, liberté d'entreprise. Pour cela la technostructure européenne, renforcée par des personnalités au profil “plus business” comme Thierry Breton, a décidé de protéger les acteurs européens via une procédure de notification de rachats et même la menace du démantèlement sur le ressort de l’UE. En lisant entre les lignes on comprend que cette technostructure est toujours divisée entre souveraineté européenne assumée et libre marché comme alpha et oméga.

Des manques qui révèlent les divisions de la technostructure européenne

Encore une fois, l’UE est confrontée à ses contradictions, divisée entre partisans d’une souveraineté européenne et d’un “super-État” fort et les défenseurs d’une organisation internationale sui generis dont le sacerdoce est l'avènement d’une zone économique de concurrence pure et parfaite. Si le rapport de force avec les GAFA à le mérite de créer une communauté d'intérêt entre les deux camps, il semble encore manquer une substance pour que l’UE puisse protéger les européens, comme elle semble en avoir l’ambition. Ce manque est révélé par l’inquiétude américaine concernant la maturité de l’Union concernant la cybersécurité et la compréhension des enjeux. En effet, la proposition américaine d’un taux d’imposition minimum mondial des sociétés qui vise directement les GAFA n’a pas été reçue avec beaucoup d’enthousiasme. 

Ce manque de substance est un problème stratégique pour l’UE tant il paraît improbable que Washington ou Pékin, qui ont plus ou moins repris la main sur ces mastodontes via le droit pour les premiers et la coercition pure et simple pour le second, les laissent se faire attaquer sans réagir.

 

Pierre-Guive Yazdani

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