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Les données de vie réelle, la nouvelle ruée vers l’or

Depuis quelques années, industriels, start-ups et institutionnels de la santé initient une véritable ruée vers l’or avec comme objectif les données de santé et plus particulièrement les données de vie réelle. Malgré le caractère stratégique de ces données, la France reste en marge de cette course. Elle possède cependant des atouts qui pourraient lui permettre de retrouver sa place de numéro 1 en recherche clinique à l’échelle européenne.

Les données de santé (DDS) sont définies par la CNIL comme des « données à caractère personnel concernant la santé. Elles sont relatives à la santé physique ou mentale, passée, présente ou future, d’une personne physique (y compris la prestation de services de soins de santé) qui révèlent des informations sur l’état de santé de cette personne ».

Il existe aujourd’hui plusieurs typologies de DDS, dont les données de vie réelle (DVR). Elles sont définies par opposition aux données recueillies dans les essais cliniques interventionnels. Contrairement à ces dernières, elles sont générées à l'occasion de soins routiniers, via des objets ou dispositifs médicaux connectés (pacemakers, balances, bracelets, etc.), elles reflètent donc a priori la pratique courante du praticien.

 

Des données stratégiques ?

Aujourd’hui, les données de vie réelle se révèlent stratégiques pour l’ensemble de l’écosystème santé et plus particulièrement pour les industriels.

Pour ces derniers l’un des enjeux majeurs est l’obtention de l’AMM (autorisation de mise sur le marché) pour un médicament. Traditionnellement, cette autorisation est obtenue après que les essais cliniques randomisés contrôlés (ECR) aient démontré des résultats d'efficacité et de sécurité. Cette méthodologie est considérée comme apportant le meilleur niveau de preuve scientifique et constitue donc le gold standard pour obtenir l’AMM auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Cependant, ce qui fait la force de l’ECR fait également sa faiblesse : la rigueur de sa méthodologie ne permet pas de prédire les effets du médicament en vie réelle sur l’ensemble des patients. Les études faites à partir de l’analyse des données de vie réelle  permettent d’obtenir des informations complémentaires à l’ECR et ainsi d’observer dans quelle mesure les conditions des essais sont vérifiées en situation réelle.

L’analyse des DVR révèle son caractère stratégique à travers les gains financiers et les nombreuses utilités qu’elles apportent aux industriels : suivi de la sécurité des produits, rémunération en fonction de la performance ou des résultats, accélération de la recherche clinique, amélioration du parcours patient et du diagnostic, meilleur ciblage des actions marketing, gain de temps sur la partie essai clinique du dossier permettant l’obtention de l’AMM. Les DVR, source de compétitivité, sont également un vecteur d’innovation. On peut notamment les utiliser dans la phase de recherche d’un nouveau produit.

 

Accès aux données : le nerf de guerre

Ce nouveau marché en pleine croissance, valorisé à 4 milliards de dollars selon IQVIA, offre de nouvelles opportunités commerciales bénéficiant à l’ensemble de l’écosystème. L’enjeu réside aujourd’hui dans la collecte, l’analyse et l’accès à ces données, indispensable à la réalisation de ces études.

Les DVR sont soit directement issues des patients, soit de leurs dossiers médicaux (ou administratifs). Les premières peuvent être collectées via certains dispositifs médicaux connectés (saturomètre, tensiomètre…), des questionnaires PROMs et PREMs, et plus récemment à travers les réseaux sociaux. Les secondes proviennent des systèmes de santé  qui génèrent massivement des données cliniques issues du dossier médical du patient.

Pour rendre ces données exploitables, il faut être en capacité de les regrouper et de les faire communiquer. En France, le problème vient essentiellement de la multitude de sources (centres hospitaliers, laboratoires de ville ou cliniques de recherche) regroupant des DVR. Ces sources ne possèdent pas de modèles de données communs ni de niveaux de qualité standardisés. Ces manques font notamment apparaître des problèmes d’interopérabilité.

De ce fait, la France s’est retrouvée en marge de cette ruée vers l’or, accusant un retard face à de nombreux pays tels que les États-Unis et les pays nordiques qui possèdent par ailleurs une culture des registres beaucoup plus développée. La Food and Drug Administration (FDA), équivalent à l’ANSM, a créé le « FDA Real-World Evidence Program Framework » qui permet d'évaluer l'utilisation des études de vie réelle à tous les stades du processus de développement des médicaments afin d’accélérer la recherche.

En vue d’être compétitif et de pouvoir répondre aux critères d’exigences demandés par la recherche clinique, les laboratoires français utilisent majoritairement les DVR issues des États-Unis où des fournisseurs de données comme IBM Watson Health ou des CRO comme IQVIA commencent à se positionner. Or, l’utilisation de ces DVR pose problème à long terme. Tout d’abord cela compliquerait l’analyse de ces données, collectées dans un autre pays. Ces dernières comprennent un niveau de détail qui peut varier d’un système de santé à un autre. De plus, ne pas utiliser les données récoltées en France serait une erreur car « plus on utilise la donnée, plus on améliore sa qualité et sa production », confie Jean-Marc Aubert, président d'IQVIA France à Mind Health.

Cependant, la France dispose de plusieurs atouts qui pourraient lui permettre de retrouver sa place de numéro 1 en Europe en matière de recherche clinique. La principale force de la France réside dans le nombre élevé de bases de données qu’elle possède à travers le monde. Par exemple, le Système National des Données de Santé (SNDS) chaîne et regroupe les données de l’Assurance Maladie (base SNIIRAM), des hôpitaux (base PMSI), des causes médicales de décès (base du CépiDC de l’Inserm) et relatives au handicap (en provenance des MDPH – données de la CNSA).

Toutes ces bases sont aujourd’hui intégrées au Health Data Hub (HDH), une infrastructure lancée en 2019 consistant en une base de données qui a pour objectif de créer et faciliter l’accès à un patrimoine de données collectif, respectueux de la vie privée (anonymisation des données), pouvant être utilisée par les acteurs de la recherche publique et privée présentant un intérêt public. Le HDH regroupe également des sources « catalogues » c’est-à-dire une collection de bases de données non exhaustives.

Ces initiatives permettent aux industriels de croiser leurs données de vie réelle avec les données médico-administratives du SNDS dans le but de réaliser des études médico-économiques qui peuvent faciliter la fixation du prix des produits de santé ou leur réévaluation. De fait, ce croisement multiplie la valeur de ces données. Le fait d’intégrer le SNDS dans la recherche est un enjeu majeur. Cela permettait de chaîner les données lors de la phase 3 d’un essai clinique, réduisant le temps d’attente et conduisant plus rapidement à l’obtention de l’AMM.

La recherche clinique nécessitera d’avoir de plus en plus de données issues de la vie réelle. On peut espérer que le HDH accélèrera massivement ce rapprochement en utilisant des données collectées en France et que l’Union Européenne se positionnera rapidement pour structurer les différentes initiatives des pays membres.

 

Lucas Raymond pour le club Data Intelligence de l'AEGE

 

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