Les Twitter Files : dans les coulisses de l’État américain [Partie 1/2]

Elon Musk a diffusé, en décembre 2022, une série de documents internes montrant les rouages du réseau social du temps de l’ancienne direction. Des élections américaines de 2020 à la pandémie de Covid-19 en passant par le rôle du renseignement américain, les révélations des pratiques internes de Twitter affichent une culture d’entreprise de contrôle arbitraire ainsi qu’une collusion systématique avec le gouvernement américain.

Les réseaux sociaux sont devenus de nouveaux moyens et terrains pour la conquête et l’influence des esprits. Le politique l’a bien compris et cherche à catalyser ce phénomène. Les campagnes électorales se font désormais en grande partie sur les réseaux sociaux, les personnalités politiques cherchent à devenir des « influenceurs » et sont suivies, pour certaines, par des millions de personnes. L’exemple le plus probant de l’utilisation des réseaux sociaux comme outil d’influence politique est lié à l’élection présidentielle américaine de 2016. L’achat, par la société Cambridge Analytica, des données de 50 millions d’utilisateurs américains de Facebook pour leur proposer des contenus ciblés en faveur du candidat Donald Trump illustre le poids des réseaux sociaux dans le débat public. S’il demeure impossible d’établir l’importance exacte du rôle de Cambridge Analytica dans la victoire du candidat républicain, le cas des élections de 2016 révèle sans aucun doute l’enjeu d’influence derrière le contrôle des réseaux sociaux et leur poids sur les démocraties. Six ans plus tard, les Twitter Files viennent dévoiler une culture d’entreprise axée sur un contrôle idéologique et politique soumis à l’influence d’instances gouvernementales. À la manière de Cambridge Analytica, Twitter a été utilisé à maintes reprises pour manipuler le débat politique américain avec une politique de modération liée à certaines agences étatiques et para-étatiques.

 

Twitter Files, entre modération de contenu et censure politique 

Suite à la saga des nombreux retournements du rachat de Twitter par Elon Musk, ce dernier a annoncé vouloir révéler « les secrets les plus noirs » du réseau social en décembre 2022. L’initiative a permis, en diffusant des documents internes à Twitter, de braquer les projecteurs sur les opérations d’influence américaines soutenues par l’oiseau bleu, parfois même en complicité avec le gouvernement américain. Cette exposition des actions de l’ancienne direction de Twitter permet à Elon Musk, par la même occasion, de présenter son acquisition de l’entreprise comme nécessaire pour favoriser la liberté d’expression et la démocratie. Le réseau social a longtemps permis le débat d’idées et le partage d’informations en instantané, mais des barrières ont progressivement été ajoutées pour combattre spams et arnaques. Cependant, il ressort des documents diffusés que l’ancienne direction de Twitter a utilisé ces outils de censure pour influencer l’opinion publique et les débats politiques américains au fil du temps.

Ces révélations (compilées ici par un internaute) mettent en lumière plusieurs échanges d’emails internes à Twitter, laissant apparaître que les équipes de campagnes de plusieurs candidats politiques américains ont utilisé les canaux directs de communication avec les équipes Twitter mis en place lors des présidentielles de 2020 pour formuler des requêtes de censure. À la suite de celles-ci, la firme a utilisé à plusieurs reprises le principe du Shadow Banning (blocage total ou partiel d’un utilisateur ou de sa production, à l’insu de celui-ci), rendant les interventions de l’utilisateur invisibles (ou moins visibles) pour les membres de la communauté.

Ce serait à travers ce genre d’actions que Twitter aurait biaisé le débat autour du Covid-19 aux États-Unis, notamment en censurant des informations incommodantes pour le gouvernement américain ou pour Pfizer, mais aussi en supprimant des comptes d’utilisateurs critiques des politiques sanitaires ou des « lanceurs d’alertes » en désaccord avec les déclarations officielles. Une différence de modus operandi apparaît ici clairement entre Républicains et Démocrates : le gouvernement Trump aurait forcé certaines plateformes (Twitter, Google, Facebook, Microsoft et d’autres) à mettre en avant certains contenus pour éviter les achats panique aux supermarchés au début de la pandémie. À l’inverse, l’administration démocrate autour de Joe Biden se serait concentrée sur la censure régulière des utilisateurs critiques de la politique sanitaire et vaccinale. Le procès entre l’antivax Alex Berenson et Twitter a d’ailleurs prouvé que la suspension de son compte avait bien été provoquée par des pressions de la Maison-Blanche.

 

Outre le sujet du coronavirus, les deux partis ont utilisé des requêtes de censures à des fins d’influence politique sur l’opinion publique américaine. La publication de Matt Taibbi sur des conversations internes à Twitter, datant d’octobre 2020, démontrerait que ce système aurait plus largement favorisé les Démocrates que les Républicains au cours des dernières années. Cela est cohérent avec le fait que les équipes de Twitter semblent avoir un fort penchant politique démocrate, comme le soulignent les 189 308 dollars de donations de Twitter vers le Parti Démocrate représentant 98,7 % des donations totales contre 1,28 % pour le Parti Républicain

En octobre 2020, alors que le New York Post publie les fameux courriels secrets de l’affaire Hunter Biden et expose des informations sensibles contenues dans  son ordinateur, Twitter participe activement à l’étouffement du scandale pour limiter son influence sur l’élection présidentielle, à trois semaines du scrutin. Le réseau social retire alors tous les liens hypertextes couvrant le leak, avertit ses utilisateurs quant à la dangerosité de ces contenus et bloque leur transmission par messages privés, outil généralement réservé aux cas extrêmes de pédocriminalité. La porte-parole républicaine de la Maison-Blanche, Kaleigh McEnany, voit également son compte Twitter bloqué suite à l’évocation de l’article du New York Post. Le service de sécurité de l’entreprise se justifie alors par une violation de la politique de l’entreprise vis-à-vis du matériel hacké. L’affaire, très dérangeante pour le Parti Démocrate, n’a finalement pas pris d’ampleur dans les médias américains et les réseaux sociaux, notamment grâce aux interventions des entreprises Twitter et Facebook pour censurer la diffusion de l’information.

Ce parti pris flagrant se poursuit après l’élection de Joe Biden à la Maison-Blanche, lorsque Donald Trump, encore président des États-Unis, voit son compte Twitter suspendu de manière permanente après l’écriture d’un tweet où il annonce son absence à l’investiture de Joe Biden et les mots suivants : « personne ne manquera de respect aux 75 millions de patriotes américains qui ont voté pour moi ». Twitter justifie cette censure par des risques de débordement et une violation d’une règle contre la glorification de la violence. Il faut admettre que Twitter subissait une pression aussi bien externe, de la part de l’administration Biden, qu’interne, avec ses équipes pro-démocrates ; en témoigne la lettre envoyée par des employés au PDG de Twitter, Jack Dorsey, demandant la suspension du compte de Trump. Bien que la décision ait fait débat, l’entreprise a effectué cette suspension sans contredire les lois américaines en matière de liberté d’expression, puisque les entreprises privées peuvent modérer leurs plateformes comme elles le souhaitent.

 

Ambre Barria, Gabriel Ginioux, Axel Pouillart pour le club Influence de l’AEGE

 


La seconde partie de cette analyse paraîtra le 17 février. Au-delà des dérives de l’administration et du personnel de l’entreprise, les Twitter Files s’avèrent également révéler le jeu trouble qu’est celui de l’administration politique américaine. L’usage systématique de points d’entrée auprès de médias, en l’occurrence Twitter, par des agences étatiques ou para-étatiques interroge, tout comme l’intérêt d’Elon Musk à divulguer ces leaks. Coup de communication ou stratégie d’influence économique… ? Les hypothèses sont ouvertes.


 

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