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Conférence du CSFRS de Henry Laurens « le Moyen-Orient comme système » (compte-rendu)

Le Professeur Henry Laurens, professeur au Collège de France, présentait la conférence de rentrée du Conseil Supérieur de la Formation et de la Recherche Stratégiques (CSFRS) le 11 Septembre 2018, « Le Moyen-Orient comme système » à l’Ecole Militaire.

Le professeur Laurens est un historien français qui s’est spécialisé dans l’expédition d’Égypte et sur le Moyen-Orient, étant notamment directeur de la collection « Moyen-Orient » à CNRS éditions de 2001 à 2005. 

Dans l’amphithéâtre des Vallières, il a cherché à présenter les évolutions politiques du Moyen-Orient. Il résume d’emblée que le Moyen-Orient est un espace géopolitique et un champ de rivalités des puissances. Les implications européennes ont été nombreuses et ce dès la découverte de la route maritime permettant d’atteindre les Indes Orientales. Mais c’est à partir de la Guerre de Sept Ans que les européens deviennent des acteurs politiques au Moyen-Orient. Cette capacité d’intervention des acteurs européens est liée à un développement technique supérieur, permettant d’augmenter leurs capacités de projection, et donc de s’impliquer dans la vie locale, notamment dans l’empire Ottoman. 

Différenciant ingérence, qui voit l’intervention unilatérale d’une puissance extérieure, et implication, où les populations locales appellent une puissance extérieure, les Occidentaux s’impliquent en Orient. L’empire ottoman, conscient de son retard, cherche à rattraper les Occidentaux en se modernisant à marche forcée. L’émancipation des non-musulmans devient effective, amenant des communautés confessionnelles tandis que l’autonomie des marges est réduite, amenant au nationalisme. 

Après la Première Guerre Mondiale, le Royaume-Uni est le seul acteur au Moyen-Orient, la France restant au Liban et en Syrie alors que les Soviétiques signent des traités de non-agression avec l’Afghanistan, l’Iran et la Turquie. La Seconde Guerre Mondiale amène à un développement industriel de la région pour remplacer les produits ne venant plus de la métropole. De plus, les puissances mandataires construisent les frontières et désignent les capitales, laissant les élites locales asseoir leurs pouvoirs. Cette prise de pouvoir au nationalisme et au communautarisme confessionnel a permis aux états de s’affirmer suffisamment pour refuser tout potentiel état panislamiste. 

Les États du Moyen-Orient ne sont toutefois pas des acteurs mais des enjeux entre les États-Unis et l’URSS. Le modernisme est autoritaire dans les dictatures tandis que les démocraties sont influencées par les états étrangers. Enfin ils n’arrivent pas à être acteurs à cause d’un modèle économique dépassé, se concentrant sur l’industrie de substitution et un dirigisme d’état. 

Après les révolutions nationales, le discours se modifie, vantant la stabilité afin d’établir des partenariats avec les Occidentaux face à un ennemi commun : l’islamisme. Leurs stabilités rentrent dans les intérêts occidentaux qui cherchent à sécuriser la route pétrolière et bloquer le phénomène migratoire. 

Les Révolutions arabes en 2011 ont cassé ce système. Durant celles-ci, l’islamisme s’est posé en contre-Occident, utopie luttant contre les normes occidentales. L’Occident est omniprésent dans la pensée puisque l’on cherche à cacher toutes les traces de celle-ci. Si les négociations sont possibles avec ces acteurs, le djihadisme sunnite ne permet pas l’instauration de dialogue. 

Le professeur Laurens a terminé sa présentation sur le système actuel au Moyen-Orient basé sur l’antiterrorisme, avec des systèmes politiques identiques à ceux qui ont été renversés, par l’arrivée 30 ans après des jeunes ayant contribué la révolution et par les revendications de droits sociaux et politiques qui amènent aux phénomènes migratoires. 

 

À la suite des discussions avec le public, le professeur Laurens a mis en exergue la volonté iranienne de protéger son territoire national après les multiples invasions durant le XXème siècle en créant des lieux de tensions loin de son territoire. Ils sont, pour cela, des acteurs au Moyen-Orient. 

Sur la question des tensions entre l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et le Qatar, il s’agirait de l’histoire de la « grenouille qui se veut plus gros que le bœuf » selon le Professeur Laurens. Pour comprendre l’origine de la crise, il explique que la quasi-totalité des médias arabes appartiennent à l’Arabie Saoudite sauf Al Jazeera se permettant de critiquer les politiques extérieures de ses voisins, à l’exception du Qatar. De plus il y a un problème de relation entre les frères musulmans et l’Arabie Saoudite. Le Qatar les a utilisés comme instrument de softpower. Le fait que les frères musulmans soient soutenus par lui et qu’Al Jazeera dise la vérité sur les régimes l’a rendu insupportable pour ses voisins. La position des Emirats aujourd’hui c’est « la grenouille qui se veut plus grosse que le bœuf » mais à la différence du Qatar, les Emirats ont une « vraie » armée « petite mais efficace », tandis que l’armée saoudienne est assez « lamentable ». Au Yémen ce sont les émiratis qui se battent efficacement, pas les saoudiens. 

 

Jérémy Baot