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L’intelligence campus, nouveau vecteur du renseignement militaire

Mardi 5 février 2019, s’est tenu, à l’Innovation Defense lab (IDL), l’atelier « source ouverte » organisé par Intelligence Campus. Cet atelier avait pour but d’échanger entre experts de la Direction du Renseignement Militaire (DRM) et divers spécialistes issus du secteur civil. Le Portail de l’Intelligence Économique a assisté aux échanges qui ont eu lieu autour des problématiques liées à la recherche et au traitement de l’information en Open Source.

C’est à la suite des attentats de 2015, qu’en mars 2017 est né le projet Intelligence Campus initié par l’ancien ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian. Initialement, ce projet devait rassembler chercheurs, universitaires, militaires et start-ups, au sein de la base aérienne 110 de Creil, pôle de renseignement de la DRM. Une initiative unique en Europe.

 

Un nouvel aiguillage pour 2018

Eric Garandeau, haut fonctionnaire et ancien président du Centre National du Cinéma (CNC), avait été choisi à l’origine pour conduire le projet, avant d’être remplacé début 2018 par Caroline Gervais, ingénieur général de l’armement. Diplômée de l’École polytechnique et de l’École nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace, la générale Gervais était auparavant en charge du programme Source Solde pour la Direction Générale de l’Armement (DGA), logiciel de paie des militaires français, venant succéder au logiciel unique à vocation interarmées de la solde (Louvois).

Ce changement de direction d'Intelligence Campus marque une nouvelle dynamique, recentrant le projet sur les objectifs de la DRM. En effet, un contrôleur général des armées avait alors expliqué que « le campus tel que défini dans sa première version a été jugé trop important, avec trop d'activités ». La générale Caroline Gervais estime, pour sa part, que le projet est certes "ambitieux", "mais aussi vertueux".

Effectivement, la dimension militaire rend « le rapprochement avec le monde universitaire et civil compliqué » même si « l’ambition est bonne », affirme la générale. Intégrer à la direction un ingénieur militaire permet de structurer le projet de manière plus adéquate, compte tenu des objectifs attendus du renseignement militaire.

A ce titre, les projets ROSO (renseignement d'origine source ouverte), dont fait partie cet atelier, s’inscrivent dans une nouvelle stratégie innovante : « Intelligence campus est la structure innovation de la DRM […] l’innovation aux fins d’intérêt militaire ».

Un rapide sentiment de confiance s’est fait ressentir lors des ateliers. En effet, les experts répondaient à une logique d’intérêt forte, notamment après les attentats de 2015, « d’où le nombre important de personnes présentes lors de cet évènement », nous a confié un responsable sur place. 

Par ailleurs, Jean-François Ferlet, directeur du renseignement militaire, s’exprimait fin 2018 sur la transformation numérique de la DRM d’ici 2030 : « par ses capacités augmentées, [la DRM] sera pleinement investie dans les nouveaux espaces, cyber et spatial».

Un officier participant au projet note que « le visage (de la DRM) nécessite d’être tourné vers le haut et vers le bas ». De ce fait, la DRM se doit d’examiner tous les espaces et prendre en considération tous les capteurs pour faire face aux menaces futures. L’énorme enjeu de la massification de la donnée est un réel challenge pour les services de renseignement. Si la DRM dispose de multiples capteurs de données, la source ouverte reste un moyen nécessaire. Il existe cependant le risque d’obtenir des informations biaisées, à l’exemple des fake ou deep news.  

La DRM fait face à plusieurs défis. Sur des temps relativement courts, les informations provenant des différents capteurs doivent être recoupées et synthétisées, demandant une grande réactivité des analystes : « nous devons être plus profonds que les notes de l’AFP ou encore de BFM », ironisa un analyste présent lors de la journée. La recherche d’un outil simple et ergonomique est une nécessité pour ces exploitants, mais le risque de s’enfermer dans celui-ci et sa granularité reste omniprésent.

Intelligence Campus veut donc susciter « le croisement des regards aussi bien en science sociale, qu’en science dure », selon les mots de la Générale Gervais. Ce type d’atelier et d’évènement est justement là pour apporter « un éclairage sur les besoins et outils pouvant répondre aux attentes des opérateur et utilisateurs finaux ».

« C’est une part toute assumée de la DRM et d’Intelligence Campus de se tourner vers le monde civil, là où se situe l’innovation, apportant ainsi son soutien à nos services. Le secteur civil porte l’innovation de l’armée ». A ce titre, il est bon de noter qu’Intelligence Campus répond à d’autres attentes que les divers clusters, comme GENERATE du GICAT. « Intelligence Campus ne conduit pas de projet à but commercial ou autre, nous recueillons les besoins et les applications possibles sur les systèmes eux même ». Le but étant de diffuser l’innovation au sein du renseignement militaire. « L’idée habile peut venir d’une analyse en interne, notre rôle est de la diffuser à l’ensemble de la communauté du renseignement si cela peut améliorer la performance des services ». De surcroit la DRM s’embarque ainsi dans l’innovation, souligne la générale Gervais en reprenant les mots du général Ferlet.

 

Une feuille de route pour la DRM

Premier évènement de ce type et sous cette forme – l’atelier « source ouverte » d’Intelligence Campus a pour objectif de préparer une « feuille de route » pour la DRM afin de rester « à la pointe de l’innovation » notamment en réduisant « le cycle d’acquisition de nouveaux outils », mais surtout pour faire face à la massification des données et aux nouveaux outils et techniques qui remontent d’innombrable flux et échos. En effet, le directeur adjoint d’Intelligence campus, lors de sa présentation aux experts civils qualifiait l’OSINT (Renseignement d’origine source ouverte) de capital pour la DRM. « La DRM à besoin de rapidement trouver l’information à haute valeur, pertinente et traçable », poursuivit un analyste de l’agence présent.

Le général Ferlet revenait également sur ce défi de la donnée : «aujourd’hui, mon défi est l’exploitation et l’analyse des informations qui nous arrivent. Nous faisons face à une courbe exponentielle de données à traiter et ce ne sont pas des analystes supplémentaires qui résoudront le problème. Il y a le risque d'être submergé. Nous réfléchissons aux outils qui nous permettront d'exploiter ces données et de contrer les technologies utilisées par nos adversaires. Corréler des données en libres accès avec celles collectées par les différents autres capteurs de l’agence (humain, satellite, électronique, ect…). »

Intelligence campus intervient donc en appui face à cet objectif, par le biais de ces ateliers. En réunissant des experts du monde civil sur la recherche d’information afin d’identifier les meilleurs outils et systèmes de traitement de l’information. Cela s’inscrit dans l’ambition d’Artemis, projet de la DGA visant à doter le ministère des Armées d’une infostructure souveraine de stockage et de traitement massif de données en captant l’innovation des PME, start-ups. Ainsi, les spécialistes civils issus de grand groupes du secteurs réunis lors de l’atelier ont put participer à différentes sessions et échanger autour de leurs thématiques. Résumé automatique, exploitation des informations textuelles, visualisation des outils de veille, IA au service de la veille sur internet et les réseaux sociaux, sont autant de sujets abordés par les différents participants.

La direction du renseignement militaire est une « agence discrète, pas secrète » a-t-il été rappelé sur place. En effet, a l’inverse de la DGSI et la DGSE eux aussi confrontés à la problématique de la massification et l’exploitation des données, les missions de la DRM ne sont pas considérées comme « secrètes », ce qui permet une collaboration plus ouverte avec le monde civil. A ce titre, nous notons une ouverture de ces milieux qui pouvaient paraître très fermés du monde civil. La DGSE travaillant majoritairement en interne pour son développement, tend à s’ouvrir peu à peu vers l’extérieur tout comme la DGSI.

La France ne faisant pas partie de la communauté des « Five Eyes » ; alliance des services américains, britanniques, canadiens, australiens et néo-zélandais, investissent eux-aussi massivement dans ce type de programmes, elle dispose d’un vrai poids. Nous ne sommes ainsi pas dépendant de services tiers tels qu’américains dans l’analyse et le traitement de la donnée, ces derniers dominant cet écosystème. De plus, c’est un enjeu ici très stratégique qui est servi outre l’imminente contribution à conserver une supériorité opérationnelle en anticipant et s’adaptant en permanence.