Le mardi 09 novembre, General Electric (GE) a annoncé sa décision de se scinder en trois entreprises distinctes, toutes cotées en bourse. Le conglomérat américain, qui ne s’est jamais véritablement remis de la dernière crise financière et de médiocres opérations de rachat, avait jusque-là réussi à repousser l’échéance d’une réorganisation massive, enchaînant plans sociaux et restructurations. Que cela indique-t-il sur l’état du business model du nucléaire ? Quels peuvent être les impacts sur la France ?
Dans un premier temps, à l'horizon 2023, GE se séparera de toutes ses activités liées à la santé et plus précisément aux équipements de santé, regroupées dans une nouvelle entreprise où GE gardera tout de même une participation de 19,9%. A l'horizon 2024, GE compte fusionner toutes ses filiales énergie (GE Renewable Energy, GE Power et notamment GE Steam Power, nouveau nom d'Alstom Power Systems, dont les activités avaient été vendues à GE en 2015). Enfin, une fois toutes les transactions et fusions effectuées, une troisième entité, qui gardera le nom GE, sera spécialisée dans l'aéronautique.
Cette mort à petit feu du géant de l'industrie américaine atteignait son paroxysme en 2018 avec une perte enregistrée de 21 milliards de dollars et une chute de 56% du cours de l'action. La séparation de la plupart de ses activités devrait donc permettre à GE de réduire massivement sa dette (réduction de 75 milliards de dollars sur les 162 milliards enregistrés en juin 2021) et concentrer ses efforts de conquête de nouveaux marchés dans des domaines plus précis, avec des moyens uniquement consacrés à ces domaines.
La scission du conglomérat pose également question quant au maintien de la relation privilégiée que GE semblait entretenir avec le DOJ. Il y a matière à s’interroger lorsque l’on sait que cinq entreprises (américaines, britanniques et françaises) ont été rachetées par le conglomérat alors qu’elles étaient sous la menace du DOJ. C’est le cas de la branche énergie d’Alstom mais aussi d’Amersham, entreprise britannique dont le rachat entraînera la création de GE Healthcare, et dont les activités sont le pilier de la nouvelle entité qui se constituera en 2023. Néanmoins, les effets d'annonce n'ont pas forcément eu l'effet escompté. L'action GE n'a pris que 3% sur la journée de mardi et les agences de notation, notamment S&P, comptent baisser encore la note de GE.
Aux racines de cette scission, une dette colossale qui remonte à la crise financière de 2008. La branche de finance immobilière de GE (GE Real Estate) avait, à l'époque, fait des investissements risqués dans l'immobilier commercial américain. Néanmoins, ce sont certaines acquisitions majeures opérées par le conglomérat qui ont terminé de l’achever. C'est le cas du rachat de la branche énergie d'Alstom. L'absorption de ces activités était beaucoup trop lourde lorsque l'on considère que GE devait mettre en place une transition énergétique et numérique en plus d'intégrer le nouveau venu. L’ouverture des négociations entre EDF et GE Steam Power pour le rachat par le français des anciennes activités nucléaires d’Alstom est une indication dans ce sens.
Côté EDF, peut-on imaginer que les erreurs de GE ne soient répétées par l’entreprise française ? Le géant français est mal en point. Sans atteindre le niveau de GE, sa dette est considérable et s’élève à 42 milliards d’euros. Avec elle et le retard de certains chantiers, notamment l’EPR de Flamanville, la situation du groupe n’est pas au beau fixe. En outre, depuis le début de l’année 2021, des rumeurs de restructuration (presque sur le même modèle que GE) circulent. Le projet, anciennement baptisé « Hercule », puis renommé « Grand EDF », a été reporté après la présidentielle de 2022.
Certes, racheter les activités d’Alstom redonnerait à la France un peu plus d’autonomie stratégique, mais la question centrale de ce rachat sera de savoir si les brevets qu’avait déposés Alstom lorsque ses activités nucléaires étaient encore sous pavillon tricolore feront partie de l’offre. Car racheter une coquille vide (c’est-à-dire une activité dont la capacité d’innovation serait nulle sans les brevets) à un moment aussi critique pourrait mettre EDF en danger. En conséquence, au vu du mix énergétique français composé à 70% d’énergie nucléaire et au vu de la place prépondérante d’EDF dans la filière nucléaire française, une grande partie de la souveraineté énergétique française serait également en péril.
Guilhem Garnier
Pour aller plus loin :