Drone iranien : armement low cost à l’ombre de l’embargo

Les attaques de drones ne cessent d’augmenter depuis ces derniers mois au sein du Moyen-Orient. L’exemple du Shahed-136, un drone iranien à bas coût, inspiré et fabriqué en grande majorité avec des composants américains, un tournant dans l’importance de la supériorité technologique sur le terrain.

Les tensions montent depuis ces dernières semaines entre Israël et l’Iran. Depuis 2021, les deux nations ne cessent de se livrer à des attaques. En mai dernier, Téhéran tenait responsable Tel-Aviv de la destruction d’une base militaire abritant plus d’une centaine de drones. En réponse, l’armée israélienne a dénoncé le tir de deux drones iraniens envoyés depuis l’Irak. Les deux armées ne cachent plus leurs objectifs, comme le déclare le général iranien Kiomars Heidari « Nous développons un drone à longue distance spécialement conçu pour attaquer des villes israéliennes ». Bien loin du Queen Bee, le drone iranien est une véritable arme de guerre. Utilisé par les Russes depuis peu dans le conflit avec l’Ukraine, le Shahed-136 s’est distingué pour ses dégradations matérielles et ses prouesses technologiques avancées. La cible étant au préalable visée avec l’assistance d’un drone d’analyse GPS, le Shahed-136 est ensuite lancé comme missile suicide. Sans pilote, avec une portée de 2000 km et une vitesse pouvant atteindre les 180 km/h, le drone est rarement repéré par des radars antiaériens. Fabriqué par l’Iran Aircraft Manufacturing Industrial Company ou HESA, il s’apparente à une aile delta (voilure en forme de triangle) qui mesure 3,5 mètres de long avec une envergure de 2,50 mètres, pour un poids d’environ 200 kilogrammes. Tirés en rafales, les drones peuvent être lancés depuis un camion. Cependant, ces avantages technologiques ne sont pas inconnus de l’Occident. De fait, une étude de l’institut des Sciences et de l’international Sécurité a révélé l’étrange chaîne de production des drones iraniens suite aux fuites de documents ukrainiens provenant d’une expertise de la commission anti-corruption indépendante (NAKO). La moitié des composants est fabriquée par des entreprises basées aux États-Unis, au Japon et en Israël pour la lentille infrarouge télescopique. Malgré un embargo mené contre l’Iran, le pays du Moyen-Orient parvient à se fournir à travers des sociétés écrans chinoises. C’est plus de 200 composants étrangers qui assemblent les drones iraniens, dont deux tiers états-uniens et un tiers japonais. De nombreuses pièces ne sont pas soumises aux contrôles à l’exportation et sont accessibles simplement sur internet, mettant en lumière l’idée que la guerre technologique est également d’ordre commercial. Les sociétés internationales n’étant toujours pas en mesure de retracer leurs chaînes de production vers l’exportation. Mais par ailleurs, l’Iran détourne la norme pourtant intangible, ITAR, illustrant les premières des failles de ces réglementations états-uniennes. Il semble alors plus difficile de respecter l’embargo américain, malgré leurs restrictions internationales mises en place. 

En parallèle, la Chine est accusée de transmettre aux iraniens des copies de technologies occidentales afin qu’elle s’en inspire et tente de reproduire certains éléments du missile suicide. Par suite, les autres nations citées dans l’enquête, comme l’Allemagne, révèlent les similitudes des composants qu’elle produit mais démentent la reproduction exacte du produit fini. 

Source : INSTITUTE FOR SCIENCE AND INTERNATIONAL SECURITY

 

Après l'examen des débris du Shahed-136, le moteur du drone semble être basé sur le design du moteur d’avion allemand, le Limbach L550 conçu par Limbach Flugmotoren GmbH & Co.KG. Le moteur, une pièce couramment utilisée dans l’aviation civile, est produit par une société chinoise basée à Pékin, Beijing MicroPilot Flight Control Systems depuis 2012. L’entreprise mère allemande a ouvert une filiale chinoise pour produire la série des moteurs L550. Cependant, nul ne sait si Limbach a vendu la conception L550 à la Chine ou si la société asiatique est toujours sous licence allemande. Alors même que, la revente des moteurs à l’Iran reste imprécise, les drones paraissent avoir la même exactitude de conception que les pièces chinoises proposées sur le marché public. Le principal avantage des drones kamikaze pour ce pays du Moyen-Orient est leur faible coût (à partir de 20 000 dollars l’unité) facilitant une production en masse. À l’inverse des missiles de croisières russes à plus de 2 millions de dollars l’unité. Le drone bouleverse ainsi les tactiques opérationnelles militaires classiques. Les champs de bataille ne sont inévitablement plus des mises en scène de prouesses technologiques. 

Leur réputation équivoque s’est construite sur le front ukrainien, après une série d’attaques réussies pour les Russes. Le modèle Shahed-136 a immédiatement attiré l'attention lorsqu’il a été observé dans le ciel ukrainien. La Russie, en les utilisant, a révélé ne plus se contenter de ses propres systèmes technologiques pour frapper des infrastructures critiques. Dorénavant, Moscou les a renommés  “GERAN-2” illustrant le soutien militaire de Téhéran à Moscou et réciproquement. Le nombre de ces drones livrés aux forces russes s’estiment entre 500 et 600 par semaine, selon les estimations américaines. En réponse, Volodymyr Zelensky a demandé à Tel-Aviv de contrer ces offensives en rejoignant le champ de bataille européen, mais l'État du Proche-Orient a décliné cette demande par peur d'éventuelles représailles russes. La technologie iranienne ne cesse de progresser, illustrée par la présentation du dernier drone The Fotros. Avec une portée de 2000 kilomètres et une autonomie jusqu’à 30 heures, il peut transporter plusieurs missiles. L’alliage de la technologie d’armement aux  liens commerciaux tente de compenser l’infériorité iranienne face aux Israéliens qui disposent d’une des meilleures défenses aériennes au monde avec notamment les batteries d’interception de type Dôme de fer. 

De la sorte, la guerre redistribue les cartes sur la scène technologique internationale  lorsque l’Iran, se basant sur un mode de production low cost à la chinoise, tente de contourner son incapacité à développer des armements technologiquement équivalents aux produits occidentaux. S'insérant dans une stratégie de saturation tactique via la quantité, il semblerait que l'Iran se positionne peu à peu comme un utilisateur et exportateur de drones ; contournant la bataille technologique à laquelle se livrent les pays occidentaux.

 

Lucie Calonne pour le club Sûreté de l'AEGE

 

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