Dans cet épisode d’Openbox TV, Alain Juillet et Claude Medori reçoivent Jacques Hogard, ancien colonel de légion et chef d’entreprise, pour évoquer la situation dans les Balkans et l’impact que pourrait avoir la guerre en Ukraine dans la région. Dans l’éventualité où la Russie en sortirait victorieuse, l’OTAN pourrait être affaiblie au point de ne pas pouvoir empêcher la Serbie de reprendre le Kosovo par la force.
Depuis les guerres de Yougoslavie dans les années 1990 et l’éclatement de la République fédérale, suivies par l’amputation du Kosovo à la Serbie en 1999, les tensions ne sont jamais vraiment retombées. Selon Jacques Hogard, les ferments d’une nouvelle explosion sont là. Les conditions sont les mêmes qu’à l’époque et les tensions sont particulièrement vives depuis un an. Comme le rappelle l’invité d’Alain Juillet, la création de « l’État mafieux » du Kosovo est le fruit de l’intervention de l’OTAN en faveur des velléités sécessionnistes de cette ancienne région serbe, peuplée majoritairement de musulmans albanais. Aujourd’hui, au Kosovo, les quelque 100 000 Serbes restants font face à environ 1 200 000 Albanais dont le gouvernement s’évertue à les chasser.
Les Russes sont très proches des Serbes. La Serbie, petite sœur orthodoxe et slave de la Russie, a bénéficié, pendant la guerre, du soutien de Moscou, de la même manière que la Bosnie et le Kosovo ont reçu de l’aide des Émirats arabes unis. Est-ce que la Russie interviendrait au côté de la Serbie si la situation dégénérait de nouveau ? Difficile à dire. En revanche, ce qui est sûr pour Jacques Hogard, c’est que l’embrasement des Balkans, sur initiative de la Serbie, est improbable, car l’idée d’une seconde déconvenue face à l’OTAN n’est pas très attrayante pour Belgrade. Néanmoins, la Serbie soutient fortement la Russie face à l’Ukraine. Non seulement en raison d’une proximité ethnique et religieuse, mais aussi du fait de considérations stratégiques. Le raisonnement est le suivant : si la Russie gagnait en Ukraine, l’OTAN serait pulvérisée, ce qui signifierait que la Serbie pourrait reprendre le Kosovo sans être entravée par l’Alliance atlantique, qui aurait plié bagage comme au Vietnam ou en Afghanistan.
Si l’instabilité règne dans les Balkans, cela n’empêche pas un certain nombre d’acteurs d’investir des capitaux dans la région. La Chine, les Émirats et la Turquie y sont très actifs. Les Émirats ont, par exemple, financé le water front de Belgrade et détiennent la compagnie aérienne Air Serbia. Quant aux Chinois, ils surinvestissent dans la région qu’ils considèrent comme un porte-avions au milieu de l’Europe. L’Agence sino-serbe pour le rapprochement culturel et économique entre les deux pays est, dans cette perspective, un excellent véhicule pour faire avancer les intérêts chinois (agricoles, BRI, etc.).
Pour Jacques Hogard, le Kosovo est « une épine plantée dans le talon de la construction européenne. »
La reconnaissance, en 2008, du Kosovo comme État indépendant est une erreur monumentale, selon Jacques Hogard. Pour ce dernier, le Kosovo est « une épine plantée dans le talon de la construction européenne. » Bruxelles insiste pour que Belgrade reconnaisse le Kosovo. Or, jamais la Serbie ne renoncera au Kosovo, creuset culturel de la nation serbe. Selon les mots du premier président de la République yougoslave non-communiste, Vojislav Kostunica, « la Serbie a mis 400 ans à récupérer le Kosovo aux Turcs, la France 50 ans pour récupérer l’Alsace-Lorraine et nous nous mettrons 100 ans, 200 ans ou 400 ans s’il le faut, mais nous récupérerons le Kosovo. » Dès lors, le processus d’intégration de la Serbie dans l’UE stagne, frustrant ainsi une majorité de Serbes qui nourrissent du ressentiment à l’égard de l’Union, proportionnel à la sympathie qu’ils ont pour la Russie.
En définitive, « les Balkans n’ont jamais mieux mérité leur nom de poudrière qu’aujourd’hui », selon les mots de Jacques Hogard. Il s’agit d’une zone instable, avec de profondes divisions ethnico-culturelles, qui regarde avec beaucoup d’attention le conflit en Ukraine. La guerre russo-ukrainienne n’a pas de prise directe sur l’évolution des tensions régionales. En revanche, si la Russie sort victorieuse de sa guerre, cela pourrait ouvrir une fenêtre d’opportunité pour que la Serbie récupère le Kosovo sans que l’OTAN, affaiblie, ne puisse l’en empêcher.
Rémy Carugati
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