Territoire unique par rapport à sa place dans le droit international, l’Antarctique, longtemps laissée de côté, revient aujourd’hui sur le devant de la scène. Entre luttes d’influence au sein des instances de décision communautaire et appropriation de territoire, les mécanismes internationaux seront-ils suffisant pour protéger le contient blanc ?
L’Antarctique, continent dédié à la paix et à la science
Véritable ovni dans le droit international, l’Antarctique est un territoire au cadre légal bien particulier. En 1959, la France, le Royaume-Uni, l’Australie, la Norvège, le Chili et l’Argentine et la Nouvelle-Zélande revendiquent différentes parties du continent glacé. Pour éviter un conflit et préserver la région, un accord est passé entre les sept États revendicateurs et cinq autres ayant des activités scientifiques en cours dans la région. Le traité sur l’Antarctique est né.
Acte fondateur, il établit quatre principes majeurs : le gel des revendications territoriales, l’interdiction de militariser la zone, l’interdiction des essais et du dépôt de matériel nucléaire et l’obligation de partage des résultats des expériences scientifiques menées sur le continent. Aujourd’hui, le traité sur l’Antarctique compte 54 États membres, 29 parties consultatives qui peuvent prendre part aux votes et 25 parties non consultatives. Le statut de partie consultative s’obtient en fonction de l’importance de l’activité de l’État dans la recherche scientifique sur place.
Pierre angulaire du droit international autour de l’Antarctique, le traité de 1959 a été complété par d’autres accords et en particulier le protocole de Madrid de 1991. Plus axé sur l’écologie que son prédécesseur, il met en place de nouvelles réglementations : l’interdiction d’exploiter les ressources minérales, de dégrader l’environnement et l’obligation de réaliser une étude d’impact écologique avant chaque projet de construction. D’un point de vue plus symbolique, le protocole proclame l’idée que l’Antarctique est un continent « dédié à la paix et à la science ».
Enfin, la Commission pour la conservation de la faune et la flore marine de l’Antarctique a été créée en 1982 pour répondre aux menaces qui pesaient à ce moment-là sur le krill, ces petits organismes vivants constituant la base du réseau alimentaire des écosystèmes marins. Cette réunion internationale est notamment responsable des aires marines protégées dont la mise en place est aujourd’hui l’objet de luttes d’influence entre protection de l’environnement et intérêts économiques.
Un continent aux ressources pour le moment théoriques et difficilement exploitables
Si le sous-sol de l’Antarctique est en théorie aussi riche en matières premières que le reste de la planète, son exploitation semble encore lointaine.
On relève sur le continent la présence de la plupart des minerais nécessaire à l’industrie (zinc, uranium, titane, cuivre, cobalt ou encore chrome) mais aussi, selon l’Institut de recherche polaire chinois, de 500 milliards de tonnes de pétrole et d’environ 400 milliards de tonnes de gaz. Cependant, cette apparente abondance est à relativiser. D’une part, il est difficile de se faire un aperçu des réserves en raison de la difficulté pour les experts de se rendre sur place et d’effectuer des relevés. D’autre part, les coûts qu’engendreraient l’exploitation de ces minerais seraient colossaux pour quiconque voudrait s’implanter dans la région. Les épaisses couches de glace, les technologies à déployer et le transport de ressources posent d’importants problèmes logistiques.
Toutefois, si pour le moment l’exploitation paraît impossible ou peu rentable, la situation pourrait évoluer dans les années à venir. Le réchauffement climatique et la fonte des glaces faciliteraient à la fois l’exploitation et le transport des produits miniers. De plus, la demande grandissante et la réduction des stocks ailleurs sur la planète rendraient rentable à terme les minerais du pôle Sud.
Le krill, minuscules crustacés au centre de luttes d’influence entre les grandes puissances
Si les terres antarctiques paraissent encore inexploitables, les mers sont déjà le terrain de jeu des pêcheurs. En particulier celui des pêcheurs de krill. Ces petites crevettes deviennent depuis les années 2010 de plus en plus importantes pour l’alimentation mondiale. Sous forme d’huile, elles servent de compléments alimentaires semblables aux oméga-3. On les retrouve aussi dans l’alimentation des poissons d’élevage et dans les préparations pour animaux domestiques. La demande mondiale augmente rapidement et de plus en plus de bateaux viennent des quatre coins du monde pour profiter des ressources encore importantes de la région. L’exploitation du krill vient menacer l’écosystème local qui repose sur la consommation de ce crustacé par les manchots et les baleines.
L’exploitation des icebergs, un projet controversé
Pour pallier le manque d’eau douce dans les zones en situation de stress hydrique, une idée déjà ancienne consiste à acheminer des icebergs pour qu’ils soient ensuite transformés en eau douce et potable. Cependant, le statut juridique des icebergs n’est pas encore bien défini par la communauté internationale. Plusieurs pistes sont à l’étude comme donner à ces morceaux de banquise le statut d’île ou de navire. Pour le moment, la question reste en suspens, mais face à la baisse générale des ressources en eau douce à travers le monde, nul doute que la solution des icebergs revienne sur le devant de la scène dans les années à venir.
Le jeu des puissances pour détourner le droit de l’Antarctique
Si la région semble pour le moment épargnée par les jeux géopolitiques des grandes puissances, des mouvements de fonds sont déjà à l’œuvre.
En premier lieu, la pêche au krill est un sujet de tensions entre la Russie et la Chine d’un côté et le reste des partenaires antarctiques de l’autre. Les pêcheurs chinois sont présents dans ces eaux et pêchent déjà du krill. Néanmoins, face aux besoins croissants de son marché intérieur, la Chine souhaite augmenter fortement ses prises dans la région. Avec la Russie, ils s’opposent donc à la création de nouvelles zones marines protégées qui auraient pour conséquence la réduction drastique de la pêche au krill dans la région. La situation est bloquée depuis 6 ans et les deux pays ont maintenu le statu quo lors de la dernière réunion de la CCAMLR le 4 novembre 2022 en Nouvelle-Zélande.
Ensuite, la Russie est aussi pointée du doigt pour avoir effectué des prospections sur le potentiel minéral de la région en transgression complète du traité sur l’Antarctique. Les ambitions de la Russie en la matière ne sont pas nouvelles puisque des rapports sur une volonté de développement russe du continent apparaissent dès le début des années 2000.
De nouvelles bases voient le jour régulièrement ce qui montre l’attrait grandissant de la région. À ce titre, on peut citer la Turquie qui par des expéditions scientifiques et sa volonté de devenir membre conseiller du traité tente d’intensifier sa présence sur le continent.
En conclusion, malgré un cadre juridique unique et strict, l’Antarctique commence à être investi par les grandes puissances du globe. Ses ressources potentielles et les diverses activités qui pourraient y être menées à l’avenir posent question pour l’avenir de ce territoire. De nouveaux pays décident de regarder vers le pôle Sud pour s’y développer au détriment des membres historiques et potentiellement de l’environnement. Nul doute que l’Antarctique sera au centre de conflits futurs. Face à de nouvelles menaces, reste à savoir si le droit international pourra endiguer la marche des empires sur le décor de la marche de l’empereur.
Colin Guyon pour le club Droit de l’AEGE
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