« Dix ans du Portail de l’IE » : entretien avec Hervé Séveno

Il y a 12 ans, Hervé Séveno était interviewé comme parrain lors du lancement du Portail de l’Intelligence Economique. A l’occasion du Gala de l’IE, le 30 juin 2022, qui célèbre cet anniversaire, il a bien voulu nous accorder un nouvel entretien.

Portail de l'Intelligence Economique (PIE) : M. Séveno, il y a de cela une petite décennie, vous étiez interviewé par le tout jeune Portail de l’Intelligence Économique (PIE) de l’EGE sur la thématique des praticiens de l’intelligence économique et du rôle de la Fépie. Pouvez-vous en quelques mots nous décrire votre ressenti 10 ans après ? La problématique sur laquelle vous étiez à l’époque interviewé a-t-elle changée ?

Hervé Séveno : Notre secteur a continué à se normaliser. Les lieux communs et les caricatures de l’IE ont laissé place à une structuration de nos métiers.

PIE : Qu’est-ce que le Portail de l’Intelligence Économique vous inspirait il y a 10ans ? Aujourd’hui que vous inspire-t-il aujourd’hui ? Considérez-vous qu’il se soit professionnalisé dans le temps ? Trouvez-vous ses publications pertinentes ?

Hervé Séveno : Il y a 10 ans, le Portail de l’IE m’apparaissait comme le vecteur utile de la structuration que j’évoque. J’étais en deçà de la réalité du Portail de l'Intelligence Économique aujourd’hui : plus qu’un outil, ce dernier est une référence et une vitrine, un espace sans équivalent. Les publications sont riches et variées, l’interface fluide, j’y fais de nombreuses découvertes, il me permet aussi de prendre du recul ou d’avoir un autre éclairage sur des sujets ou thèmes divers. J’y trouve des analyses auxquelles j’adhère totalement.

PIE : Vous êtes considéré comme un « Ancien » dans la diffusion de cette doctrine qu’est l’Intelligence économique de par vos années d’expériences dans le domaine. Que faisiez-vous il y a dix ans ? Comment votre carrière a-t-elle évoluée ?

Hervé Séveno : La demande s’est élargie, elle est devenue multiforme. De fait, nous devons nous adapter toujours davantage non seulement aux défis et enjeux de ce monde en perpétuelle mutation, mais aussi aux besoins élargis de nos clients, notamment dans ce contexte de crises de natures différentes. Chez i2F, nous avons fait le choix de persévérer dans des prestations haut de gamme et sur-mesure en écartant les standards qu’imposent les lois Sapin 1 et 2 qui mènent à livrer du volume sous forme de copier-coller de moteurs de recherche et de bases de données, de manière superficielle et cosmétique, sans valeur ajoutée, sans analyses ou préconisations, sans intérêt pour nos clients et sans enjeu pour nous, même si j’appréhende qu’il y a un marché et du volume pour ce type de prestation.

PIE : Trouvez-vous que l’IE se soit démocratisée en France dans le domaine public / privé ? Selon vous la doctrine est-elle assez répandue/comprise ?

Hervé Séveno : “Démocratisée” ne me paraît pas le terme le mieux approprié… le meilleur test auquel je confronte la perception de l’IE est d’en parler de manière élargie avec des interlocuteurs de tous horizons : je dois souvent développer, décliner et me muer avec humilité l’espace d’un instant en enseignant à l’EGE avec un auditoire parfois moins réceptif…! Il y a encore du chemin à parcourir pour que l’IE soit explicite pour le plus grand nombre. En revanche, pour des interlocuteurs confrontés à des problématiques spécifiques, l’IE a désormais davantage de visibilité, même si les contours n’en apparaissent pas toujours suffisamment déterminés. Vous parlez de doctrine… mais quelle doctrine ? il nous faut commencer par là : enrichir une doctrine et la porter. Christian Harbulot et d’autres experts d’excellent niveau mettent depuis des années une matière consistante à notre disposition pour cela.

PIE : Quelle vision portez-vous sur l’IE au moyen terme (sur les 10 prochaines années) ?

Hervé Séveno : Par essence, l’IE va continuer de s’adapter aux mutations, aux défis et aux enjeux auxquels sont confrontés les entreprises comme les Etats. Elle va sans cesse s’enrichir de vocations, de talents et d’expertises et sera reconnue comme un secteur d’activité à part entière. En France, il est nécessaire de maintenir les efforts pour que la doctrine de l’IE, sa visibilité et son périmètre soient mieux appréhendés : je regrette que le thème de la guerre économique et de la compétitivité de nos entreprises exposées à l’international ait été absent une fois de plus de cette élection majeure qu’est l’élection présidentielle, il en est de même quant aux législatives de la semaine du 13 juin : depuis la proposition de loi du Député Bernard Carayon en 2012 sur le secret des affaires, aucun parlementaire n’a porté de proposition de loi ou de projet relatif à l’IE. En transformant la Fédération des Pressionnels de l’IE – FéPIE – d’association en syndicat professionnel avec la fondation du Syndicat Français d’Intelligence Economique -SYNFIE- , j’ai voulu qu’une convention collective de nos métiers soit définie et instituée, ou plutôt qu’une partie relative à nos métiers soit intégrée à une convention existante comme Syntec, ou autre. Avec l’approbation du C.A, j’avais ainsi pris des contacts en ce sens auprès d’organisations dédiées et de parlementaires, j’avais évoqué ce projet à mes deux successeurs, je formule le vœu d’un aboutissement, cela constituerait à la fois une avancée et un symbole. Pour tout dire, c’était pour moi l’objectif et la cohérence de cette mutation d’association en syndicat professionnel.

PIE : Le Club Gala de l’EGE organise en coopération avec le Portail de l'IE qui fêtera cette année ces 10 ans d’existence son traditionnel Gala annuel le 30 Juin 2022 à la rotonde de l’École Militaire sur le thème suivant : « Servir la France ». En ces temps politiques et géopolitiques tendus que nous traversons, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Hervé Séveno : Où que je sois allé, à l’antiterrorisme, à la brigade financière – différemment – et toujours à i2F depuis 22 ans, servir la France a été une constante et à regarder l’état d’esprit de mes trois fils, je me dis que c’est probablement une question d’ADN… ! Servir la France, l’expression est belle et noble, elle rappelle tant de références et de performances célèbres ou méconnues… ! Servir la France bien sûr, avant tout et surtout toujours ! En ce qui concerne nos métiers, la question c’est : comment ? Nous avons d’excellents experts, des valeurs de connaissances et d’analyses transversales, des praticiens dont je suis honoré de faire partie. De fait, ce thème que vous avancez et qui s’impose plus que jamais est à la fois riche dans ses développements et ambitieux pour ce qu’il pourra apporter en termes de préconisations et de développements, notamment au plan politique, parce qu’il faut une politique de l’IE, au-delà d’une doctrine qui en constitue le support.

PIE : Aujourd’hui selon vous, comment sert-on la France au sein du secteur privé/public dans le domaine de l’IE ?

Hervé Séveno : On ne sert pas la France de la même manière au sein du secteur privé ou public. Je regrette qu’il n’y ait pas de passerelles concrètes et opérationnelles entre notre secteur privé et l’État. Maintes fois l’idée d’un guichet unique – ce qui veut à la fois tout et ne rien dire – a été avancée, comme un serpent de mer. Je crois que cet échange privé-public pour servir la France en matière d’IE continue à se heurter à une résistance culturelle conjuguée aux effets d’intérêts particuliers, de réseaux et d’influences. C’est une hypocrisie entretenue qui aboutit à répandre par des lettres confidentielles, presse ou autres vecteurs que telle ou telle entreprise d’IE est tour à tour dans les petits papiers ou dans le collimateur de tel ou tel service de renseignement de l’État, qu’une autre voit ses méthodes protégées au plus haut niveau de l’exécutif… : entre part de réalité, fantasmes ou fiction, tout cela est indécent et en vrai décalage avec le « servir la France ». Servir la France, c’est poser les bases d’un échange construit et efficace entre les acteurs privés que nous sommes avec les pouvoirs exécutif et législatif. Servir la France en matière d’IE, c’est mettre en place une machine de guerre à la hauteur des enjeux entre les acteurs public/privé, dans le respect des obligations légales, réglementaires ou contractuelles qui s’imposent à chacun, c’est mettre fin à ce schéma pervers et contre-productif de réseaux, de règlements de compte et d’influences croisées qui freinent l’élan et la dynamique de notre secteur incontournable. Servir la France, c’est servir l’intérêt général, c’est être ambitieux et responsable, en matière d’IE aussi.

PIE : Ce gala, qui s’articulera donc autour du thème « Servir la France », rassemblera environ 800 acteurs et entreprises françaises, civils et militaires évoluant au sein de domaines privés et publics. Cet événement clôturera ainsi une année riche d’enseignements et d’échanges. Aurons-nous le plaisir de vous y croiser ?

Hervé Séveno :  J’y serai sauf empêchement, avec le plaisir de retrouver Charles Pahlawan, acteur inépuisable et essentiel de votre réalisation, dont la discrétion et l’humilité souffriront de le citer ainsi ! Mais aussi Christian Harbulot, référence de l’IE aux analyses riches et atypiques, iconoclastes parfois, mais cohérentes toujours. Bravo à tous pour ces 10 années du Portail de l’IE, mes vœux vous accompagnent pour le développement de votre thème et pour la suite de votre magnifique aventure.

 

Propos recueillis par Ambre Barria

 

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