Les puissances mondiales se lancent dans des projets ferroviaires titanesques pour améliorer leurs échanges commerciaux et favoriser le transit régional. De la Chine aux États-Unis en passant par l’Union européenne, les investissements dans le secteur du rail se multiplient depuis quelques décennies. Les enjeux géoéconomiques et géopolitiques – voire militaires – sont au cœur de la valorisation du train. Les routes ferroviaires pourraient rivaliser avec les grandes voies maritimes et proposer de nouveaux axes de transport d’ici 2040.
Depuis quelques années, le train est un moyen de transport de plus en plus attractif (écologique, rapide, etc.). De fait, les grandes puissances internationales se lancent dans des projets titanesques de réseaux ferroviaires pour faciliter les échanges entre les régions et pour manifester leur puissance sur la scène internationale. La volonté européenne de faire barrage à la Russie, les nouvelles routes de la soie ou le plan de relance ferroviaire américain témoignent de l’importance géopolitique et géoéconomique d’une stratégie ferroviaire.
La Chine dans la course au chemin de fer
La Chine développe son réseau de train à grande vitesse qui s’étend sur plus de 40 000 kilomètres en 2022. En se dotant d’une industrie ferroviaire, le pays a permis à l’entreprise chinoise China Railway Construction Corporation de devenir le premier constructeur mondial de trains à grande vitesse devant Alstom-Bombardier.
L’accélération de la mise en place de liaisons ferroviaires en Chine répond à l’explosion du développement des grandes villes chinoises. Le train se place aussi comme l’alternative à l’avion la plus écologique.
La Chine ambitionne de créer de nouvelles routes de la soie pour favoriser les échanges commerciaux entre l’empire du Milieu et l’Europe. Le train étant un moyen de transport largement utilisé au-delà des frontières chinoises, il permet de rejoindre l’Europe par la Russie (par Manzhouli) mais aussi par les républiques d’Asie centrale. La guerre en Ukraine freine la Belt and Road Initiative, particulièrement la ligne passant par le Kazakhstan, la Russie et la Biélorussie. Ce contexte révèle l’importance pour la Chine de développer différentes routes commerciales. La stratégie du développement du rail permet aussi à Pékin de conserver un contrôle sur des régions éloignées et particulièrement sur les territoires ouïghours et tibétains, et ainsi de faire taire les revendications indépendantistes. Le transit ferroviaire par la région du Xinjiang, pour rejoindre le Pakistan et l’Asie centrale, permet de renforcer le contrôle sur la population ouïghoure tout en favorisant l’indépendance chinoise vis-à-vis de la Russie et de l’Inde, ses principaux concurrents dans la région.
Le port de Gwadar (Pakistan) est un point stratégique développé pour la Belt and Road Initiative permettant à la Chine de rejoindre l’océan Indien sans passer par la mer de Chine. Le port lui offre une interface maritime en mer d’Arabie pour désenclaver la Chine de l’Est et qui lui permet de réduire les coûts de transport maritime en évitant le détroit de Malacca. La Chine veut relier ce port à son réseau ferroviaire, permettant ainsi un transit de marchandises entre ce dernier et l’Himalaya en passant par le Xinjiang. Ce projet CPEC (China-Pakistan Economic Corridor) lancé en 2016, offre à la Chine un accès au détroit d’Ormuz où transite plus de 20 % du pétrole mondial. Enfin, en cas de conflit en mer de Chine, il semblerait que la ligne vers le port de Gwadar soit un moyen pour la Chine de continuer son commerce avec l’Europe et de l’Afrique qu’elle convoite depuis plusieurs années.
Crédit : Wikipédia, les nouvelles routes de la soie
Contribuer au développement des lignes de chemin de fer en Afrique, offre à la Chine un accès au commerce africain – elle est désormais son partenaire privilégié. L’amélioration des liaisons favorise un transit rapide depuis les États africains où sont exploitées les matières premières jusqu’aux ports chinois. La Chine construit des voies ferrées en Afrique en échange d’un accès aux ressources des pays africains renforçant la présence chinoise en Afrique (projet de la Tazara reliant la Tanzanie à la Zambie, création de la ligne Djibouti-Éthiopie, etc.). La Chine prend en charge l’ensemble des frais de la construction des chemins de fer contre remboursement. Derrière les bonnes intentions chinoises se cache vraisemblablement un piège. Dans les faits, le remboursement accentue la dette des pays africains : endettement de 30 % pour les pays les plus pauvres en 2013 contre 50 % en 2017, d’après Les Échos.
Cette volonté chinoise de dominer le secteur du chemin de fer africain concurrence directement le groupe Bolloré forcé de se retirer progressivement du marché.
Les projets chinois de corridor ferroviaire persistent jusqu’en Amérique latine et pacifique avec la ligne Bioceanico. Cette voie ferrée a pour ambition de relier les océans Pacifique et Atlantique, de Puerto de Santos (Brésil) jusqu’à Puerto de Ilo (Pérou) en passant par la Bolivie et le Paraguay. Ce projet est soutenu par cette dernière car la création d’un chemin de fer à travers la cordillère des Andes lui donnerait un accès à une interface maritime. Si les pays concernés par le projet investissent, le principal acteur reste la Chine. De fait, cette liaison devrait favoriser la coopération entre ces États et améliorer le transport des marchandises. La Chine souhaite ainsi renforcer son commerce avec les pays latino-américains. Cette liaison ferroviaire serait une occasion d’accroître ses importations de produits agricoles et d’élevage (soja, vin, viande…).
La réponse américaine à la stratégie chinoise
Face à la montée en puissance du réseau ferroviaire chinois, les États-Unis, sous la présidence de Joe Biden, veulent revaloriser le train comme moyen de transport. Ce dernier est peu utilisé par les Américains car très lent, peu développé et non adapté pour un État fédéral avec une superficie aussi vaste.
Pour rattraper son retard, le gouvernement prévoit un investissement de 80 milliards de dollars pour le développement d’infrastructures ferroviaires. Joe Biden veut développer des lignes à grande vitesse pour renforcer le corridor Nord-Est reliant Boston et Washington. L’entreprise française Alstom a signé en été 2022 un contrat d’1,8 milliards d’euros pour la création de 28 trains à grande vitesse Avelia Liberty avec la compagnie ferroviaire Amtrak. Cette stratégie américaine pour concurrencer les trains à grande vitesse chinois et améliorer les liaisons entre les grandes villes américaines permet de limiter l’augmentation de l’expansion de ligne de chemin de fer chinoise au sud. Afin de sécuriser des parts de marché, ils se concentrent sur la partie nord de l’Amérique et étendent leur réseau ferroviaire au Canada et au Mexique pour favoriser le commerce de libre-échange. Ce maillage transcontinental a incité la fusion des compagnies Canadian Pacific et Kansas City Southern (KCS). L’entreprise canadienne a acquis la KCS pour 25 milliards de dollars américains. Cette liaison permet l’acheminement des ressources canadiennes jusqu’aux ports mexicains en passant par les fermes états-uniennes.
La stratégie européenne du rail
L’Union européenne finance de plus en plus de projets ferroviaires reliant les grandes villes européennes. Elle prend en charge 55 % du coût de la création d’un tunnel ferroviaire permettant la liaison Lyon-Turin. L’UE prévoit également de taxer le kérosène d’ici 2023 afin d’inciter l’utilisation du train comme moyen de transport.
Bruxelles ambitionne la création de neuf corridors pour relier les villes européennes qui comprendraient 15 000 kilomètres de ligne à grande vitesse. Ces investissements dans l’amélioration des transports ferroviaires entrent dans l’objectif de neutralité climatique de l’Europe 2050. Le train est l’alternative la plus verte à l’avion et à la voiture. L’UE entreprend aussi la création d’une entreprise commune EU-Rail pour mettre en place un réseau ferroviaire européen.
Le développement européen de nouvelles voies ferrées stimule les constructeurs ferroviaires qui, grâce à la prise de conscience écologique, relancent les trains de nuit, de plus en plus attractifs. Depuis la fin des années 2000, l’Europe les a abandonnés. Seule l’Autriche continue à en construire. L’écologie étant désormais la priorité du plan de relance de l’Union européenne, les trains deviennent la solution la plus efficace (pour un même trajet, un TGV émet 45 fois moins de CO2 que l’avion). Dans cet élan, le train de nuit revient progressivement sur le marché européen. L’entreprise autrichienne ÖBB se place, aujourd’hui, parmi les premiers constructeurs européens de train de nuit. Cette position lui donne un avantage considérable et lui permet de signer des accords de coopérations avec d’autres compagnies (coopération avec la SNCF en 2021 pour relancer l’axe Paris-Vienne par exemple). À l’image de l’ÖBB, de nombreuses start-ups comme Midnight Trains (hôtel sur rail) proposent des initiatives pour relancer les trains de nuit. L’accroissement de ces transports favorisent l’interconnexion des grandes villes européennes.
Cette volonté européenne d’améliorer les liaisons entre les États membres se révèle aussi par le projet Rail Baltica qui a pour objectif de relier la Pologne à la Finlande par les pays baltes sans passer par la Russie. Cette liaison améliorera la communication entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale. Elle devrait relier Helsinki (Finlande), Tallinn (Estonie), Riga (Lettonie), Kaunas (Lituanie) et Varsovie (Pologne) en contournant la Biélorussie et la Russie. Le projet est soutenu par l’Union européenne à hauteur de 85 %. Il nécessite la création d’un tunnel en mer Baltique.
Si Moscou accuse l’Europe de construire cette liaison pour servir les intérêts de l’OTAN. De fait, la Rail Baltica devrait améliorer la mobilité militaire dans les pays baltes. De son côté, l’Union européenne se défend en affirmant que ce réseau ferroviaire permet aux pays baltes de sortir de leur dépendance russe. De plus, le réseau serait utilisé pour favoriser l’approvisionnement en gaz et pétrole. Cette liaison pourrait améliorer le transit du pétrole et du gaz norvégien vers les pays baltes et la Pologne en passant par la Finlande, à condition de créer une liaison directe avec la Norvège.
Le projet n’est cependant pas abouti et la guerre en Ukraine retarde davantage l’approvisionnement en matière première. S’ajoute à ce retard la mobilisation d’acteurs environnementaux en Estonie qui freine la mise en place du réseau ferroviaire. En effet, la construction de la ligne impliquerait la destruction de forêts et marais encore vierges.
Crédit : Wikipédia, Rail Baltica
Tiphaine de Rauglaudre
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