En 1956, les dernières troupes françaises quittent l’Indochine, laissant le flambeau à des Américains en pleine croisade idéologique contre l’Ours Soviétique. S’annonce alors une guerre d’un genre nouveau considérant que les Etats-Unis se battent ici sur deux fronts. D’un côté contre le Viêt-Cong, de l’autre contre ses propres citoyens, affûtés par le phénomène de contre-culture et l’entorse informationnelle du Pentagone. Cet article sort la Guerre du Viêt-Nam du terrain martial pour se focaliser sur les quelques processus qui ont conduit les États-Unis à s’enliser.
Le vent anticolonialiste souffle sur l’Occident
L’Indochine française de 1930 est témoin de la montée du mouvement nationaliste local, alors nourri par la crise de 1929 et la séduction du marxisme auprès de la jeunesse cultivée. Face aux manifestations la répression française est violente et des milliers de morts sont comptés. Si les échos de ces rixes se taisent au Viêt-Nam afin d’éviter un renouveau, ils retentissent en France, où la population s’interroge sur la colonisation. Tandis qu’en 1940 la soif d’impérialisme nippone est rassurée par les faits d’armes du Général Nishihara en Indochine, les indépendantistes sont soutenus et financés par Tokyo. La fragilité de la mainmise de la France sur ses terres d’Extrême-Orient offre au Japon une brèche qu’il exploite pour asseoir ses revendications impériales, en particulier après l’opération Ming «Clair de Lune». Cette brèche affaiblit l’image occidentale, auprès des Asiatiques bien sûr, mais surtout auprès des Occidentaux eux-mêmes, témoins de leur propre perte de puissance. Le dogme de «l’Asie aux Asiatiques» croît implacablement et la coalition anti-occidentale se muscle, rendant hésitantes les grandes puissances atlantiques. Dans cette mesure, sous l’influence de Franklin D. Roosevelt et J.F Kennedy, les Etats-Unis sont profondément anti-colonialistes à l’issue de la seconde guerre mondiale.
Viêt-Nam, guerre impopulaire et crise sociale
La jeunesse nombreuse du baby boom de l’après-guerre, endoctrinée par l’anti-colonialisme américain, fait émerger une gauche révolutionnaire dont l’impact est considérable. Les hippies, enrayent le déroulement du conflit américano-vietnamien. Le groupe révolutionnaire de 1960 semble de prime abord insignifiant, cependant, la quête identitaire et idéologique de la jeunesse américaine lui offre une occasion d’étendre son influence. La doctrine du peace and love est en formidable expansion et irrigue peu à peu le pays. Le rejet de la guerre étant la pierre angulaire du mouvement, une manifestation contre le déploiement éclate et réunit 55 000 personnes devant le Pentagone en 1965.
Si les incidents du Golfe du Tonkin en 1964 avaient induit une montée du patriotisme aux Etats-Unis, l’érosion du soutien public à l’engagement américain se fait ressentir. Les vétérans ne se sentent pas gratifiés et les pancartes welcome home, assez simplistes, ne les libèrent pas de leur angoisse. Dans une même mesure, leur difficulté à se réinsérer dans la vie civile entache le mythe du soldat de retour au pays. La démocratisation de la télévision et l’émergence de médias virulents ne facilitent pas la tâche du Pentagone, la bataille de propagande menée par les journalistes de guerre devient aussi importante que le combat lui-même. Dans cette logique, le Viêt-Cong tient une émission de radio anglophone, destinée aux troupes ennemies. La porte-parole de la radio, Hanoï Hannah tente de persuader les G.I de rentrer chez eux tout en célébrant les victoires du Viêt-Cong. Les soldats américains déjà affaiblis par le sentiment de mener une guerre illogique posent alors les armes. S’instaure un jeu d’équilibre entre les «faucons» pro-guerre et les «colombes» qui exigent la démobilisation, en 1967, 50% de la population est favorable à la mobilisation, 30% est contre, les 20% restants ne se prononcent pas ou n’ont pas d’avis fondé.
L’offensive informationnelle de 1971
Alors que le gouvernement américain tente d’endiguer sa guerre intérieure, la fuite de son patrimoine informationnel vient lui infliger un coup fatal. En 1971, 7 000 pages de documents évoquant l’implication des Etats-Unis au Viêt-Nam depuis 1955 mais surtout les mensonges de l’administration fuitent. Daniel Ellsberg, analyste, s’empare desdits documents qui sont publiés par le New York Times. Le président en poste, Richard Nixon, cherche à interdire la publication, donnant par là même du crédit au lanceur d’alerte en laissant entrevoir que le gouvernement a quelque chose à cacher. Alors, la croisade se poursuit et Ben Bagdikian, journaliste au Washington Post les publie à son tour dans le journal de la capitale. Le film The Post, sorti en 2017, laisse penser que les enquêteurs et lanceurs d’alerte sont uniquement motivés par la quête chevaleresque de la vérité, cela dit il ne faut pas négliger l’orientation démocrate, donc opposée à la mobilisation américaine, des médias ayant relayé ladite polémique.
1971 est une année marquante pour les Etats-Unis puisque 60% de la population rejette désormais le déploiement au Viêt-Nam, un rassemblement similaire à celui de 1965 réunit cette fois-ci 500 000 protestataires, gage de l’influence du mouvement et de l’impact de la polémique. L’affaire des Pentagon Papers a deux effets : si d’une part elle conforte les détracteurs de la guerre, elle vient séduire l’Américain hésitant, qui n’a pas de réelle position sur la question ou qui ne s’intéressait pas au conflit jusque là. Le tintamarre médiatique provoqué par l’affaire résonne et vient consolider l’opposition. Si de prime abord la croisade anti-guerre se targue de réelles convictions pacifistes, elle voit ses effectifs grandir en séduisant les moins (in)formés, considérant qu’un individu fébrile sur ses positions idéologiques est un formidable relais d’influence.
En 1975 les Américains quittent le Viêt-Nam et leur défaite ne se limite pas à la force de conviction du Viêt-Cong. Elle est le fruit d’une entrave : celle de la double guerre. Éprouvés sur deux fronts, les Etat-Unis se voient désarmés et subissent finalement le contrecoup de leur politique mondialiste. Depuis cette croisade les Américains n’interviennent plus aussi massivement en terrain étranger. Chaque fois qu’ils s’attardent sur un théâtre d’opérations (Afghanistan, Irak) ou qu’ils s’interrogent sur une éventuelle intervention (Syrie), tous les commentateurs se précipitent pour se demander si ce n’est pas l’augure d’un nouveau Viêt-Nam, canalisant par là même les faucons.
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