La pratique de l’aviation de loisir et l’industrie aéronautique face au défi de l’écologie punitive

Polluante, bruyante ou réservée à une élite, l’aviation de loisir en France, dans un climat d’aéro-bashing, commence à subir des critiques acerbes et souvent infondées. Structurée par un tissu associatif, elle est pourtant un symbole de réussite en matière de démocratisation de la pratique de l’aviation. Aujourd’hui les malentendus sont nombreux à son égard, et fragiliser ce pilier qu’elle représente comporte un risque important pour toute la filière aérospatiale française ou européenne. Toucher ce terreau fertile c’est altérer notre capacité à créer l’aviation de demain.

Avec 51 milliards d’euros de chiffre d'affaires en 2020, dont 33,6 milliards à l’export, l’industrie aérospatiale française se positionne en valeur en seconde position derrière celle des États-Unis. Capable de maîtriser toute la chaîne de valeur – avions, hélicoptères, missiles, lanceurs spatiaux, satellites, équipements embarqués, logiciels, infrastructures au sol, etc. – l’industrie de l’aérospatial en France est unique dans le monde pour un pays de 70 millions d’habitants. Cette excellence n’est pas le fruit d’un hasard mais bien d’une politique publique volontariste qui a historiquement su encourager les dynamiques. On oublie parfois que le premier aérodrome de l’histoire a été construit en France en 1909 à Viry-Châtillon. Fruit d’une longue tradition en aviation légère, la France est aujourd’hui championne du monde en titre en voltige aérienne et fréquente régulièrement les podiums en rallye, vol à voile, vol de précision, aéromodélisme ou parachutisme. Attaquer l’aviation légère c’est toucher aux fondations même de l’industrie aérospatiale. Pourtant, les initiatives populaires montrant du doigt l’aviation de loisir commencent à se multiplier. Que ce soit par la taxation prochaine du carburant, la fermeture de terrains (Sallanches, Kourou), l’arrêt de certaines subventions publiques, l’interdiction des avions de banderole publicitaires ou bien par la mise en place de restrictions drastiques de vol sur quelques terrains.

 Fondée en 1929, la Fédération française d’aéronautique (FFA) rassemble aujourd’hui 570 aéro-clubs-associations de loi 1901 sur environ 450 aérodromes, environ 40 000 pilotes (ce qui en fait la première communauté de pilotes en Europe) et 2 300 avions. La grande majorité des acteurs de la FFA étant bénévoles et animés par la passion du vol. Aujourd’hui quasiment chaque Français vit à moins de 20 kilomètres d’un aérodrome. Dès le lycée, le Brevet d’Initiation Aéronautique (BIA) offre à des élèves de collège la possibilité de s’initier aux fondamentaux de l’aéronautique. Plus tard, une bourse est proposée aux élèves-pilotes de moins de 21 ans. Dès les débuts de la Fédération française d’aéronautique, l’objectif était de rendre la pratique de l’aviation la plus populaire possible. Dans un compte-rendu d’assemblée générale de la FFA en 1936, on peut lire « L’assemblée générale a été unanime pour marquer sa volonté de s’attacher activement à l’œuvre de formation de la jeunesse populaire (…) ». En 2021, près de 18% des licenciés de la FFA ont moins de 21 ans. Futurs pilotes ou ingénieurs, ces élèves sont conscients des enjeux climatiques actuels. Une population jeune parmi les licenciés est une opportunité pour penser l’aviation de demain.

L’origine des critiques : un mouvement venu de Suède

Les premières critiques formulées à l’égard de l’aérien, qui prennent forme  à l’été 2019, trouvent un écho important en France. À l’origine, un mouvement suédois plus connu sous le terme de « flygskam » ou de « honte de prendre l’avion ». Selon un rapport de l’agence de protection environnementale suédoise, le secteur aéronautique de Suède émettrait 1,1 tonne de CO2 par habitant et par an, soit cinq fois la moyenne mondiale, établie à 0,2 tonne. L’origine d’un tel déséquilibre est à trouver dans les habitudes pratiques et culturelles du royaume nordique, qui affiche l’un des réseaux ferroviaires le moins dense d’Europe : 13 388 kilomètres (dont 7 900 électrifiés), contre 29 273 km (dont 15 000 kilomètres électrifiés) pour la France. Un réseau deux fois plus petit, pour une superficie nationale un tiers plus faible. Par ailleurs, le réseau suédois, privatisé en 2001, est critiqué pour ses retards et son coût. Ainsi, en 2014, 70% des Suédois se prononcent pour sa nationalisation. Les Suédois voyagent ainsi cinq fois plus que la moyenne mondiale, surtout plus loin, comme lors des périodes hivernales où il est d’usage de partir en vacances là où le jour est davantage présent, soit 1,9 passagers par habitant en moyenne chaque année en Europe, 2,2 en France et 3,6 en Suède. Doublé d’un climat de mouvements sociaux porté par les Gilets Jaunes, le transport aérien est montré du doigt pour ne pas être suffisamment taxé par rapport à l’automobile. En réponse à ces contestations et aux impératifs écologiques, le gouvernement instaure une taxe sur les billets d’avion, et réfléchit à la suspension de lignes qui pourraient être remplacées par l’usage du train. Le projet de « loi climat et résilience » en 2021 concrétise cette idée.

L’aviation de loisir : véritable pollueur ou bouc-émissaire ?

C’est dans un moment inédit de contestation sociale, de crise écologique et de la Covid-19, que les critiques à l’égard de l’aviation de loisir commencent à émerger. Une  atmosphère ayant  permis ainsi à la loi climat et résilience de proposer l’interdiction prochainement des avions de banderole publicitaire ou à taxer le carburant pour les avions légers. À l’été 2020, cela a permis au maire de Sallanches dans les Alpes de justifier en partie la fermeture de l'aérodrome de sa commune. En avril 2021, nourrie par un agenda politique avec la percée d’Europe Écologie les Verts lors des dernières municipales, la mairie de Poitiers a opposé la subvention aux aéroclubs à l’achat d’un centre de vacances pour des jeunes de milieux populaires. Dans un exercice de démagogie bien orchestré, ces discours peuvent avoir un effet notable et par conséquent  justifier par exemple l’arrêt de subventions aux aéroclubs pour ainsi allouer l’argent à des sports plus inclusifs. Ce qui réduira mécaniquement l’accès des Poitevins à l’aviation légère, devenant plus chère car moins subventionnée. Enfin, sous l’impulsion d’ONG, les mairies de Saint-Gervais et de Chamonix ont décidé de réfléchir à une régulation du trafic aérien de loisir dans le massif du Mont-Blanc. C’est oublier ce que la montagne doit à l’aviation : ravitaillement des refuges, secours d’alpinistes en détresse, travaux d’héliportage, ou évacuation des déchets des alpinistes par voie aérienne. Ce sont pourtant ces mêmes alpinistes qui, dans un exercice de lobbying intensif, poussent pour une restriction sévère de l’activité aérienne dans le massif.  Bien fondées ou non, ces mesures ont le mérite de susciter un débat et de pousser l’aviation à se réinventer pour continuer à exister. Néanmoins, on peut critiquer l’impact résiduel et anecdotique de ces mesures pour le climat.

Quelle consommation de carburant pour quel usage ? Un avion d’aéroclub, dont la puissance est généralement comprise entre 65 ch pour un Piper-Cub J3 et 200 ch pour un Piper PA-28, consomme pratiquement l’équivalent d’une voiture si on se réfère au rapport “distance parcourue/temps de vol”. Une heure de vol en PA-28 de 160 ch qui se fait autour de 230 km/h consomme environ 30 litres de carburant. Il faudra 2 heures sur l’autoroute à un véhicule pour parcourir la même distance. D’expérience, un aller-retour Saint-Cyr-l’École (Île-de-France) vers Le Tréport (Normandie) en avion classique de type Jodel DR-221 de 115 ch consomme 45 litres de carburant – soit moins d’un réservoir complet de Peugeot 206 (2.0 S16 135 ch). Le même trajet avec cette même voiture, soit environ 460 kilomètres aller-retour, avec une consommation moyenne de 9 litres aux 100 kilomètres, consommerait 41,4 litres de carburant. À puissance similaire, la consommation de l’avion sur ce trajet est donc seulement 9% plus élevée. Elle serait moins importante si on prenait comme comparatif un modèle sportif de voiture. Demain, des avions comme le français Elixir, consommeront aux alentours de 10 litres à l’heure. Soit ce qui se fait dans le monde automobile. On compte pourtant 40 millions de véhicules en France, et autant de conducteurs. Soit un rapport de 1 sur 1. Côté aviation, on recense 40 000 pilotes privés sous la bannière FFA pour 2300 avions, soit 1 avion pour 18 pilotes. Ainsi, tandis que l’on compte 40 millions de véhicules et 2 300 avions rassemblée sous la FFA, on peut considérer que l’automobile en France, pollue 17 000 fois plus que l’aviation de loisir.

Concernant le transport de banderole publicitaire par avion, dans une interview pour France Télévisions, le pilote de tractage de banderole Gérard Landri déclare « La publicité aérienne en ULM (ndlr : et en avion) représente 4 500 heures par an, 4500 heures à 14 litres, cela fait 63 000 litres, soit la consommation de 45 voitures qui feraient 20 000 kilomètres par an ». En d’autres termes, interdire cette activité aurait le même impact que retirer de la circulation 45 véhicules sur les 40 millions que détient le parc automobile français. Ces chiffres sont à considérer avec du recul. Bien évidemment, il n’existe pas de règle absolue en matière de consommation par aéronef et par voiture, mais les proportions sont néanmoins là pour questionner l’intérêt d’une telle interdiction. Ainsi, au lieu de tracter une banderole publicitaire, l’impression de flyers papier sera désormais privilégiée. Puisqu’il est clair que la lutte contre le réchauffement climatique ne pourra s’exercer dans ce domaine, on peut considérer que la mise au chômage d’une centaine de personnes est décidée selon des principes purement dogmatiques.

Quels impacts pour quels effets ? De la fragilisation de la filière aérospatiale

Sinon l’impact nul ou négligeable de ces mesures symboliques sur le climat, on peut considérer que le risque à terme sera la fragilisation de la filière aérospatiale française et européenne. Bien qu’il ne s'agit pas ici de réduire à néant cette pratique en France, il faut surveiller de près les dynamiques récentes. En effet, altérer la qualité de ce terreau associatif réduirait l’attrait de l’aérien, du spatial ou de la défense pour les générations futures. Ces trois domaines étant historiquement liés les uns aux autres. Considérer que nous n’aurons plus besoin de l’avion demain dans notre mobilité est une utopie. Avec 10 milliards de terriens en 2050, il sera nécessaire de réviser cette mobilité. Pour cela, des ingénieurs compétents, animés par l’envie de progresser et la passion du vol, permettront de développer les filières de carburant de demain, de mettre au point des procédures de navigation économes en énergie, ou bien de rendre concret l’aviation à hydrogène ou électrique. La course à ces innovations se fera, avec ou sans la France. Enfin, l’aviation militaire, garante de l’indépendance stratégique dans le cadre de la dissuasion nucléaire doit aussi puiser dans le savoir-faire national pour proposer un successeur pertinent au Rafale. 

Concernant le spatial, il peut être difficile de percevoir le lien entre l’aviation de loisir et l’accès à l’espace, pourtant il est bien présent. Le rêve d’enfant commence aux abords d’un aérodrome, puis la carrière de l’ingénieur peut se nourrir de sa pratique du vol de loisir. Sur les dix spationautes français de l’histoire, huit d’entre eux sont d’anciens pilotes. Le spatial, qui trouve ses origines dans l’aéronautique, permet aujourd’hui de surveiller la terre, et ses différents programmes portés par le CNES, l’ESA ou le CNRS nous offrent une compréhension des mutations en matière de changement climatique. 

Une communication en retard face aux critiques

Conscients de ces enjeux, la FFA commence à investir et à communiquer sur la problématique du climat. Véritable pionnière en la matière, la FFA a introduit en 2019 à titre expérimental le « Pipistrel » dans ses aéroclubs, le seul avion électrique au monde produit en série. À terme, l’objectif est de généraliser l’utilisation de l’avion électrique pour les vols de formation : tour de pistes et vols à court rayon d’action. En plus de réduire les émissions de CO2, cet aéronef permettra de réduire considérablement les nuisances sonores pour les riverains. Cette expérience, en cours depuis deux ans avec cinq aéronefs, a été concluante, et a ainsi permis à la société bretonne Green Aerolease de commander 50 avions similaires pour former les pilotes de demain en France.

Moins connu jusqu’alors, l’association Aéro-Biodiversité, a mis récemment en lumière la diversité en matière de faune et de flore des aérodromes. Sur les 460 kilomètres carrés de superficie des aéroports et aérodromes français, 75% de leur surface n’est pas construite. Ces espaces verts protégés par l’agriculture intensive et les activités humaines, recouvrent majoritairement des prairies, pourtant très menacées en Europe. Ainsi, sur les 6 dernières années, Aéro-Biodiversité a récolté plus de 34 000 données d’observation et recensé 1300 espèces de plantes, dont 40 espèces d’orchidées, 255 espèces d’oiseaux et 24 espèces de chauve-souris sur les 35 existantes en France. Profitant de cette biodiversité unique, quelques pilotes-apiculteurs ont décidé d’investir une dizaine de terrains d’aviation pour fabriquer un « miel aéro » grâce à de nombreuses ruches. Toutes ces initiatives visent à faire connaître la biodiversité qui vit sur les terrains d’aviation, de la promouvoir auprès de jeunes générations et surtout de la préserver. 

Ainsi, l’aviation de loisir, bien que vigoureuse en France, doit-elle aussi penser à se réinventer pour exister demain. De nombreuses critiques formulées à son égard soulèvent des questions légitimes, de vivre-ensemble, d’écologie et surtout d’avenir pour les générations futures. Mais le procès intenté à l’aviation légère est généralement disproportionné au regard de l’impact anecdotique de cette aviation sur le climat. Par ailleurs, on retrouve dans l’attaque de l’aviation de loisir une mise en opposition des mobilités. L’aviation légère ne vit pas à côté des alpinistes, des cyclistes ou des randonneurs. Elle vit souvent avec, considérant chacune de ces mobilités compatibles.

Structurée par le bénévolat autour de dynamiques associatives, l’aviation de loisir n’a pas pour habitude de communiquer et d’entamer des opérations de lobbying. Ainsi, de nombreux malentendus commencent à s’installer auprès d’une partie de l’opinion publique. Pourtant, cette aviation représente un véritable terreau où les aérodromes et les aéroclubs qui la composent font éclore tout l’écosystème de l’industrie aérospatiale française et européenne. Il revient de préserver ce tissu d’excellence pour laisser à la France et à l’Europe une autonomie stratégique dans un monde où d’autres puissances profiteront de ce vide pour nous imposer demain leurs modèles en matière d’aérien ou de défense. Enfin, tandis que la crise sanitaire actuelle pousse à réinventer l’aéronautique, et notamment l’aviation de ligne, l’aviation de loisir doit participer à ce changement de paradigme en continuant à créer des vocations et à alimenter le vivier de femmes et d’hommes capables de penser la mobilité de demain.

 

Vincent AQUILINA

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