Haïti est l’un des États les plus pauvres au monde. Il traverse une crise politique, sécuritaire, sanitaire et économique continue depuis des années. Ces derniers mois, les gangs armés sèment la discorde sur l’île, causant une carence de produits de première nécessité. Cette nouvelle crise aggrave l’extrême situation du pays, où l’État est quasi-failli, affaibli par des jeux d’influence internationaux et une population qui le rejette, risquant d’occasionner des dommages collatéraux à la communauté internationale.
Une situation politique instable, victime des jeux d’influences nationaux et internationaux
Depuis 1993, Haïti a connu la présence de l’ONU sur son territoire pour accompagner son développement, sa sécurisation et sa stabilité. Cependant, la forte instabilité politique, économique et sociale n’a jamais permis d’obtenir des résultats concluants malgré la continuité des missions et l’appui de la communauté internationale. Des jeux d’influence continuent aujourd’hui à affaiblir le système politique haïtien.
Tout d’abord, la nouvelle crise politique que traverse actuellement le pays a débuté en 2021 par l’assassinat du président Moïse. Celui-ci a été exécuté le 7 juillet 2021 dans son domicile privé par la main de mercenaires colombiens et américains, se justifiant par des raisons politico-économiques. L’ancien sénateur haïtien John Joël Joseph, un des auteurs intellectuels du crime, prétendait devenir premier Ministre du successeur de Moïse. Pour les mercenaires, ils voulaient profiter des 45 millions de dollars que le président gardait présumément chez lui et dont personne ne connaît encore l’origine.
Ce crime reflète parfaitement la réalité des jeux d’influence existants actuellement dans le pays. D’une part des acteurs locaux qui veulent obtenir le pouvoir et, d’autre part, des acteurs internationaux qui profitent de l’instabilité pour influencer les décisions et l’avenir du pays.
Après la mort du Président Moïse, un nouvel échiquier politique s’installe dans le pays avec les partis qui tentent d’imposer leur candidat aux postes de président et de premier Ministre d'Haïti. Le poste de président reste vacant depuis sa mort après contestations d’opposants sur son successeur. Ariel Henry deviendra premier Ministre le 9 juillet nommé par le Sénat, mais seulement après l’intervention des États-Unis, qui exercent avec une main de fer leur influence dans le pays, qui avaient de grandes ambitions pour lui. En parallèle, les opposants signent l’Accord de Montana le 30 août 2021 afin de mettre en place un nouveau gouvernement et organisent des élections le 30 janvier 2022. L’ancien premier Ministre Fritz Jean l’emporte et est élu Président de la République. Or, le gouvernement d’Ariel Henry ne reconnaît pas ce résultat et conserve le pouvoir, qu’il maintient toujours.
La communauté internationale, pour qui Ariel Henry figure toujours comme le premier Ministre au pouvoir, légitime de prendre des décisions au nom de Haïti (comme la demande d’intervention de l’ONU du 9 octobre), joue un rôle influent sur la politique locale. Quant à l’opposition, elle dénonce ce gouvernement comme n’ayant aucune légitimité à décider de l’avenir du pays et ne mâche pas ses mots pour critiquer durement la communauté internationale.
Depuis la mort du Président et récemment depuis cette demande du premier Ministre, des manifestations constantes ont lieu dans le pays, sans permettre une vraie transition du gouvernement. Des gangs armés profitent d’ailleurs de cette situation pour s’installer durablement. Par des guerres de territoires, ils augmentent continuellement leur pouvoir, au point d’imposer d’ailleurs leur loi sur une large partie du territoire.
Des nouveaux rapports de force qui intensifient les risques présents
Les crises politiques continues que subit Haïti ont permis une puissante éruption des gangs armés. Déjà présents ancrés dans la réalité haïtienne depuis longtemps déjà, ils voient leur influence et leur puissance croître avec le temps. En effet, la fin de la mission de paix de l’ONU en fin 2017, liée à la situation économique critique dans laquelle est l’île avec un des PIB les plus bas du monde, un taux de pauvreté de plus de 50%, une inflation qui dépasse 30% et un déficit budgétaire croissant, ainsi que l’incapacité des forces de l’État à remplacer les casques bleus partis lors de la fin de la mission de paix ont largement contribué à leur forte prolifération.
Par conséquent, ces gangs armés ont imposé un nouveau rapport de force dans le pays, en amplifiant tous les risques présents. Une forte insécurité s’est installée avec la dégradation exponentielle du niveau sécuritaire du pays. Quasi-quotidiennement, des kidnappings exigeant des fortes rançons économiques pour libérer les otages et des homicides ont lieu. Face à cela, la police se trouve dans l’incapacité d’endiguer la situation présente.
De plus, le blocage des principales voies d’approvisionnement a un impact direct sur l’épidémie de choléra avec plus d’un millier de malades et une cinquantaine de morts en moins d'un mois, en empêchant l’arrivée de vaccins et de carburants nécessaires à approvisionner en l’oxygène les hôpitaux subissant de plein fouet les pénuries. Les gangs exercent donc une influence directe sur cette crise et contrôle même l’aide des organisations internationales dans le territoire, en plus de piller systématiquement leur entrepôt de nourriture et produits sanitaires, ce qui alimente l’insécurité alimentaire dans laquelle se trouvent déjà presque 6 millions d’Haïtiens et qui dépendent de cette nourriture pour survivre.
Aussi, ce blocus ne permet pas l’entrée de produits de première nécessité dans le pays, en causant une inflation insupportable pour la population et provoque la paralysation complète de l’activité économique du pays. Le blocus national augmente les risques pour la population, les rendant perpétuellement dépendant de l’aide internationale.
Des enjeux à affronter dans un très proche avenir
Dans le court terme, l’ONU doit décider si la mission politique actuelle (Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti ou BINUH) doit se transformer en une mission de paix avec l’envoi de casques bleus, comme dans la mission MINUSTAH de 2004 à 2017. Haïti se trouve dans un situation où il va devoir négocier les futurs budgets. Sur la période 2015-2016, le budget de la MINUSTAH était de 400 millions de dollars, tandis qu’il était de 20 millions de dollars en 2020 pour l’actuelle mission BINUH. Au cœur du début : l’envoi de casques bleus voire le déploiement d’une force opérationnelle multinationale ne dépendant pas de l’ONU. Le Canada et les États-Unis analysent diplomatiquement cette option avec de potentiels alliés. Toutefois, une telle présence militaire se ferait au dépend de l’opinion d’une partie du peuple haïtien, au risque d’accroître cette crise.
D’autre part, l’aide sanitaire internationale et les voies d’approvisionnement de celle-ci sont également discutées à l’ONU, afin de réduire la pandémie de choléra et la crise migratoire. Ces derniers mois, plus de 100 000 personnes ont évacué à travers le pays, et un nombre encore indéterminé a fui vers l’étranger, principalement vers les États-Unis, qui en ont immédiatement expulsés plus de 25 000.
Des enjeux stratégiques à long terme
A long terme, Haïti devra se doter d’une stratégie lui permettant de mettre un terme à la crise migratoire. En plus de constituer un risque sanitaire et humain, cette crise provoque une fuite incontrôlable des cerveaux, n’apaisant pas la situation économique dans un état pourtant déjà délétère.
En outre, Haïti tend à devenir un poids pour la communauté internationale. Effectivement, étant donné l’incapacité de l’État à trouver une solution à ses problèmes nationaux et le rejet d’une partie de la population envers l’aide et la présence internationales, Haïti est en passe de devenir un État failli avec une forte augmentation de l’activité criminelle. Si le pays est déjà un endroit de passage de cocaïne et d’héroïne vers les États-Unis, ce trafic tend à considérablement augmenter dans les prochaines années, en plus des nouvelles activités criminelles qui pourraient s’y prendre pied.
Par ailleurs, ces derniers mois, une vague d'articles accusant la France comme coupable de la misère d’Haïti a déferlé dans plusieurs journaux internationaux, dont le New York Times. En cause, la dette que le pays devait verser à la France après son indépendance. Même si ces propos n’ont pas eu l’ampleur espérée par la communauté haïtienne, de potentielles futures guerres informationnelles à l’encontre de la France sont à anticiper, afin d’apporter une réponse qui n’entache pas la réputation française.
Enfin, soulignons que la France voit en Haïti le seul et dernier pays francophone de la région d’Amérique latine et des Caraïbes, sur lequel elle puisse s’appuyer comme levier pour garder une implantation culturelle et poursuivre ainsi sa politique dans la région.
La nécessité de gérer cette crise est donc d’importance vitale non seulement pour la population locale, mais aussi pour la communauté internationale. Sans moyens, pour l’instant, de trouver des solutions et avec une partie de la population opposée à l’aide extérieure, comment fera le pays pour répondre aux enjeux créés ?
Pablo Vazquez Ricaud pour le club Risques de l’AEGE
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