Il est 6h du matin, votre réveil sonne. Vous sortez péniblement de votre lit, prenez votre petit-déjeuner et puis partez au boulot. Pour l’instant rien de bien méchant. Et pourtant…. Et si l’on vous disait qu’en ce court laps de temps, votre matière grise a déjà été manipulée. Pour comprendre, nous allons vous présenter Edward Bernays, l’homme qui jongle avec votre cerveau.
Qui est cet homme ?
Edward Bernays est souvent considéré comme le père de la propagande moderne. Qu’elle soit politique ou consumériste, elle était toujours basée sur l’aspect psychologique. Il faut dire qu’il était né au bon endroit et au bon moment. Né à Vienne en 1891, il est le neveu du psychanalyste réputé Sigmund Freud. Vous y voyez un lien ?
Il fait ses premières armes en 1917, au sein de la Commission Creel (Committee on Public Information), chargée de préparer l’entrée en guerre, avec comme seule arme : la propagande.
Quel rapport avec mon petit-déjeuner ?
Quelques années plus tard, après avoir fondé son cabinet en « relations publiques », terme qu’il préfère à celui de propagande, une compagnie américaine spécialisée dans le commerce de viande se rapproche de lui et lui demande alors de faire augmenter les ventes de bacon. À l’époque, les Américains mangent peu de viande et le petit-déjeuner est presque inexistant.
Bernays propose une stratégie dont la cible principale est l’américain moyen en âge de travailler . Cette stratégie se structure autour du petit-déjeuner comme repas le plus important de la journée. Ayant bien compris que l’argument d’autorité (Lire Influence et manipulation de Robert Cialdini) est fondamental dans toute bonne manipulation, il convainc près de 5000 médecins de signer une pétition qui recommande fortement de manger des œufs et du bacon pour le petit-déjeuner. Quoi de plus fort en effet que l’autorité d’un médecin. La machine est alors lancée, les ventes de bacon s’envolent et le travailleur américain en mangera toute sa vie. Précédemment, un certain John Harvey Kellogg avait lancé en 1898 les corn-flakes grâce à une campagne publicitaire dont l’argument était puritain : les grains de maïs cuit à la vapeur permettent de lutter contre la masturbation. Un siècle après, les ventes de Kellogg ne bougent pas d’un pouce.
Ce savoir- faire, Bernays l’utilise dans de nombreux domaines. Que ce soit pour renverser un gouvernement, vendre du tabac par l’émancipation des femmes ou même écouler du savon. Sa vision a surtout changé le monde de l’influence et de la propagande. Il va autant inspirer le manipulateur d’opinions que le stagiaire en marketing du troisième étage.
Comment a-t-il fait ?
Détendeur d’un diplôme en agriculture, Bernays n’est pas un fin connaisseur de la psychologie académique. Mais il se base sur les impulsions de l’être humain :
Trouver les bons influenceurs
Et si Nabilla et ses comparses étaient les dignes descendants d’Edward Bernays ? Je ne sais pas mais la réussite du penseur repose, en partie, sur ce qu’il appelle les leaders de groupes. Véritables relais de l’opinion publique, sans eux aucune idée n’aurait une chance de succès : « L’information que nous donne une autorité reconnue, peut-être un raccourci précieux pour décider de la conduite à tenir » a dit Robert Cialdini (célèbre psychologue social américain). Stanley Milgram démontre plus tard, de son expérience, que l’on peut difficilement refuser quelque chose à une figure d’autorité. La recommandation de manger des œufs et du bacon par les 5 000 médecins est le meilleur exemple. Mais aussi quand les autorités médicales se mirent à encourager les femmes à fumer des cigarettes dans le but de mincir.
Le choc des images
Edward Bernays avait bien assimilé l’importance des images, surtout si elles sont marquantes. En 1929, les industriels du tabac le chargent d’augmenter les ventes de cigarettes chez les femmes. Il va alors s’attaquer aux conventions sociales qui interdisent aux femmes de fumer, ce qui leur fait perdre la moitié du marché potentiel. Lors de la parade, à New York, le jour de Pâques, un groupe de jeunes femmes allument des cigarettes, toutes en même temps, devant les photographes. Ce sont les « torches of freedom ».
Multiplier les supports
Et enfin, il présente son message, son idée sur une multitude de supports. Que ce soit la radio, les journaux, les magazines et même la télévision à la fin de sa carrière. L’objectif de d’élargir la force de frappe, en utilisant des relais différents. Mais aussi de toucher des publics variés.
N’essayez pas d’y échapper
Voici les éléments principaux de sa recette de manipulation. Évidemment de nombreux autres éléments rentrent en compte, et les études actuelles essaient encore de mettre la lumière sur tous les leviers de la psychologie sociale. Mais il est important de se rendre compte que les leviers utilisés par Edward Bernays sont encore d’actualités. Et qu’il est très compliqué de les éviter. Cependant il est crucial de les avoir en tête pour mieux exercer son libre-arbitre… Et puis, on ne sait jamais, pensez à ça lors du petit-déjeuner, cela peut vous permettre d’émerger plus rapidement.
Jean-Stanislas Bareth
Pour aller plus loin :