La catastrophe de Fukushima en 2011 a marqué au fer rouge le paysage de l’énergie au Japon, contraignant le pays à revoir sa stratégie. Le retour en force des hydrocarbures a largement remis en cause sa sécurité énergétique et pose d’importantes questions quant aux engagements environnementaux de l’archipel. Un nouveau contexte qui ouvre les portes à de potentiels futurs partenaires, au premier rang desquels la France (2ème partie).
Le retour massif des hydrocarbures au sein du mix énergétique japonais a inévitablement impacté fortement les engagements et les ambitions climatiques de Tokyo. Les émissions de gaz à effet de serre sont passées de 1,3 milliard de tonnes de CO2 en 2010 à 1,4 milliard en 2013, avant de progressivement redescendre (1,3 milliard en 2017). 86% de ces émissions sont imputables aux sources d’énergie déployées par le Japon, particulièrement le pétrole, le GNL et le charbon.
Pourtant, l’implication nippone sur les questions environnementales a toujours été importante. Le récent Accord de Paris adopté en 2015 et entré en vigueur en novembre 2016 montre un Japon ambitieux malgré ses difficultés. Prenant pour base de référence l’année 2013, l’État s’y est engagé à réduire de 26% ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Bien que l’on puisse, sur la base de références égales, constater que cet engagement dépasse ceux de l’Union européenne ou des États-Unis, il faut cependant garder à l’esprit qu’un pourcentage pris avec une base antérieure à 2011 aurait rendu l’engagement nippon nettement inférieur.
Nous pouvons, par ailleurs, noter que le Diplomatic Bluebook met un accent particulier sur l’activité des acteurs non-étatiques en la matière, la création en 2016 du « Japan Climate Initiative » regroupant plus d’une centaine d’entreprises, majeures comme PME, en étant une illustration. Celles-ci doivent s’engager « à être à la pointe du mouvement global de décarbonation du Japon » en augmentant leurs actions pour contribuer aux efforts climatiques du Japon sur la scène internationale. Cette responsabilisation des acteurs privés reflète en partie les difficultés économiques actuelles d’un État japonais qui, confronté à une dette équivalente à près de 240% de son PIB, limite ses investissements.
La forte industrialisation et la densité de population élevée du Japon le conduisent à rechercher rapidement des réponses aux problématiques environnementales, indépendamment des enjeux d’image extérieure. L’accent est mis sur la décarbonation de son bilan énergétique, sur laquelle repose la justification d’un « retour » au nucléaire, comme expliqué précédemment. Partant de 1,11 milliard de tonnes de CO2 émises en 2017, l’objectif est de parvenir à 930 millions en 2030. En marge du nucléaire, les énergies renouvelables (EnR) font évidemment partie des pistes explorées, poussées sur le devant de la scène après 2011. Elles représentaient 16% de la production d’électricité en 2017, principalement grâce à l’hydroélectrique.
Ce chiffre, très similaire à celui de la France, reste bien en deçà de ceux affichés par le reste des États industrialisés, tels que l’Allemagne (33%), l’Italie (35%), le Canada (66%) ou encore la Chine (25%)[i]. De plus, l’ambition du Japon reste mesurée puisqu’il est prévu d’atteindre 22% à 24% d’EnR à l’origine de la production électrique en 2030. Cette dernière serait alors assurée pour moitié par des énergies décarbonées ou bas carbone : les énergies renouvelables et le nucléaire. Cela signifie par ailleurs que l’autre moitié du mix énergétique reposerait toujours sur les hydrocarbures. L’accord commun entre les pays de l’ASEAN+3 (Japon, Chine et Corée du Sud) pour la construction d’un marché de gaz naturel liquéfié en Asie, ressource qui constituerait un quart de la production d’énergie en 2030 selon les objectifs de Tokyo, témoigne de la difficulté japonaise à s’affranchir des énergies fossiles.
Le développement des EnR a également une portée technologique et économique pour le Japon. Durant la 8ème session de l’Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables, tenue en 2018 à Abu Dhabi, le ministre des Affaires étrangères déclarait que le « Japon contribuera au monde par la technologie et l’innovation à l’ère des énergies renouvelables ». À la pointe de la technologie dans de nombreux domaines, les réalisations des entreprises nipponnes en matière d’innovation énergétique ne sont pas récentes. Dans les années 1980-1990, des avancées avaient déjà été faites dans le domaine du solaire photovoltaïque. Ces dernières années, ce marché a rapidement été phagocyté par le voisin chinois au détriment de la concurrence japonaise, une situation illustrant bien l’accélération de la course à la technologie se jouant actuellement dans le domaine de l’énergie.
Ces déconvenues dans le secteur de la production d’énergie ont conduit l’État à se réorienter vers celui de l’efficacité énergétique. Les questions liées au stockage d’énergie et d’électricité sont peu à peu devenues des spécialités japonaises, notamment avec l’invention des batteries lithium-ion qui occupent aujourd’hui une place prédominante dans l’électronique portable. La dure compétition avec la Chine a laissé la place à une situation de "coopétition" entre les deux États. En manque de ressources sur son territoire, le Japon s’approvisionne en matières premières en Chine qui, à son tour, sous-traite à des entreprises japonaises. L’ASEAN+3 s’est mis d’accord en 2018 sur « la réalisation d’une société de l’hydrogène et la décarbonation du secteur des transports ». Cependant, cette situation continue de faire la part belle à Pékin qui croît plus rapidement dans ce domaine que ses rivaux japonais, sud-coréens ou américains [1].
Parallèlement, Tokyo a également pris les devants des technologies liées à l’hydrogène, et particulièrement dans le secteur de la mobilité. Les constructeurs automobiles japonais Toyota et Honda ont été les premiers à développer des voitures à hydrogène. Ce type de voiture ne compte à l’heure actuelle que pour 0,5% des ventes mondiales de véhicules bas-carbone et représente 24 000 véhicules en circulation. Symbole de sa volonté d’amener ce secteur à son plein potentiel, Tokyo vise à atteindre plus de 800 000 véhicules fonctionnant à l’hydrogène sur le territoire japonais à horizon 2030. Ce développement d’une technologie encore à ses prémices pose cependant la question des moyens de production de l’hydrogène, qui s’obtient soit par reformage du méthane, soit par électrolyse de l’eau. La première solution amènerait certainement le Japon à se tourner vers l’Australie en tant que fournisseur, alors que la seconde constituerait une opportunité de collaboration avec l’Europe et spécialement avec la France.
Une collaboration franco-nippone à développer
Face à la réorientation de sa politique énergétique et à l’accélération des innovations technologiques, le Japon se trouve à la croisée des chemins et ouvre des opportunités de partenariats pouvant profiter à la France. Le rapprochement entre les États français et japonais s’illustre d’abord par leurs stratégies bas-carbone similaires, qui misent avant tout sur l’énergie nucléaire. Cette orientation identique ouvre les portes à un partage entre Paris et Tokyo pour le développement responsable d’un nucléaire plus sûr et économique, outre le renforcement de leur relation bilatérale. Dans le domaine privé, la coopération entre d’une part le consortium Areva-Engie et d’autre part le binôme Mitsubishi Heavy Industries-Itochu au sein du projet Sinop visant la construction de quatre réacteurs nucléaires en Turquie montre que des démarches ont déjà été menées en ce sens.
Nous pouvons relever, par ailleurs, un déploiement progressif des entreprises françaises axées sur les énergies renouvelables au Japon. Spécialiste en ingénierie et équipements automobiles, Faurecia s’y est installée depuis 2017. D’autres grands groupes y ont également des projets de centrales solaire, biomasse ou biogaz, comme Veolia, Total ou EDF. L’implication du Japon dans le photovoltaïque s’est faite aux dépens de l’énergie éolienne qui s’est peu développée en offshore aux abords de l’archipel. Le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire français a pu, à ce titre, présenter au Ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie japonais le projet Floatgen, incarnant le potentiel français et européen en la matière.
En outre, le positionnement croissant des acteurs institutionnels et privés français dans le domaine de l’hydrogène favorise une collaboration technologique bilatérale, sur fond de concurrence naissante entre constructeurs automobiles français et japonais. Cette ambition se traduit par un plan d’investissement de 7 milliards d’euros consacrés à la filière hydrogène jusqu’en 2030 (dont 1,5 milliard pour des projets industriels), la France visant un parc de 52 000 véhicules en 2028, soit le troisième objectif mondial derrière le Japon et les Pays-Bas. Elle s’exprime également par l’expertise française en la matière développée par certaines entreprises telles qu’Air Liquide ou Alstom, cette dernière étant par exemple à l’origine du premier train hydrogène.
Le développement d’une coopétition franco-nippone dynamique permettrait à la France de s’affirmer sur une « énergie de demain » et plus généralement dans le domaine des énergies renouvelables. La feuille de route sur la coopération franco-japonaise mise en place en juin 2019 durant la visite d’Emmanuel Macron à Tokyo en pose les premières pierres.
En revanche, les entreprises françaises se désengagent progressivement du marché asiatique des énergies fossiles en vertu de l’Accord de Paris. Il est peu probable de voir des partenariats émerger dans ce domaine, d’autant plus que le Japon continuera à investir dans les hydrocarbures pour soutenir ses carences énergétiques.
Conclusion
La catastrophe de Fukushima en mars 2011 a rendu la situation énergétique du Japon extrêmement complexe. D’un côté, Tokyo doit parvenir à assurer sa sécurité énergétique et à maintenir des prix de l’électricité raisonnables, en faisant à nouveau appel à des énergies fossiles qu’elle tentait jusqu’ici de diminuer. Dans ce contexte, le Japon doit veiller à son autosuffisance en réduisant ses dépendances extérieures, menant une politique volontariste de retour au nucléaire malgré les réticences de la population.
D’un autre côté, l’archipel nippon s’est retrouvé dans l’impossibilité de respecter ses engagements climatiques pris avant 2011 et a été forcé de revoir ses objectifs environnementaux, en continuant de miser sur ses avancées technologiques en efficacité énergétique et dans le secteur de l’hydrogène, faisant face à la concurrence croissante de la Chine. Enfin, l’émergence de cette nouvelle situation, et particulièrement l’ouverture du Japon aux énergies renouvelables, ouvre la porte à certains acteurs afin de bâtir de nouvelles relations économiques durables avec l’archipel.
Clément Lichère
1ère partie : Le Japon post-Fukushima : entre sécurité énergétique et engagements environnementaux – Partie 1/2
Pour aller plus loin :
- Fukushima, la France et le nucléaire (Nicolas Mazzuchi).
[1] Nicolas Mazzuchi, « L’énergie au Japon : dépendance aux hydrocarbures et course à la technologie », Diplomatie, mai-juin 2020