[CONVERSATION] “Le Lobbying, un mal nécessaire?”, avec Thomas Puijalon

Le mercredi 10 mars, le Club Influence de l’Ecole de Guerre Economique recevait Thomas Puijalon pour une conférence interactive sur le lobbying et la diplomatie d’affaires. Le lobbying est traditionnellement connoté négativement en France car il est associé dans l’imaginaire collectif à la corruption ou à l’usage de la pression pour garantir les intérêts d’une entreprise privée. Thomas Puijalon a proposé sa vision éthique du lobbying, puis a répondu aux nombreuses questions des participants.

Thomas Puijalon, directeur conseil chez Publicis France, définit le lobbying comme l’ensemble des activités et des actions d’entreprises, d’ONG ou d’autres acteurs ayant pour objet la garantie de la représentation de leurs intérêts économiques. L’enjeu principal est de trouver un consensus afin d’établir une vision générale de l’écosystème externe à l’entreprise.

Le lobbying peut être exercé de différentes manières au sein des entreprises. Il y a d’une part le lobbying en interne, c’est-à-dire exercé par une direction de l’entreprise. D’autre part, l’entreprise peut faire appel à un tiers afin d’avoir plus de malléabilité et une plus grande marge de manœuvre. Le prestataire externe obtient le plus souvent son contrat par le biais d’une recommandation. Thomas Puijalon fait partie de cette deuxième catégorie.

Le lobbying se compose de quatre piliers clés, qu’il est important de bien maîtriser. Le premier est la communication : elle permet de mettre en relation les acteurs malgré leurs divergences et leurs points de vue parfois diamétralement opposés. Une bonne communication est aussi la clé pour s’assurer que les interlocuteurs sont sur la même longueur d’onde. Les codes diffèrent selon les différentes administrations, les intérêts et la vision. Au-delà de la communication de base se trouve la dimension diplomatique, qui fait davantage appel à la mise en relation et ce qu’on appelle le “pouvoir frontal”. L’effet choc est aussi très important. Il faut obtenir un point d’accord avec le pouvoir public. Le troisième volet est le juridique, sur lequel la friction peut être extrêmement importante. Face à la perspective de pouvoir élargir leur domaine d’activité, les cabinets d’avocat se sont emparés en partie de cette composante. La représentation d’intérêts est centrale dans la dimension juridique. Enfin, il y a la dimension stratégique, qui est le pilier de la guerre de l’information et de la gestion de crise. Il doit s’ajuster en fonction des éléments, des messages. Cette composante a une importance toute particulière dans l’ère des réseaux sociaux qui relaient très facilement les informations et les fake news. Les cabinets d’influence ont en quelque sorte un rôle de pompiers, chargés d’éteindre le feu ou le foyer de la crise.

Pour T. Puijalon, l’entreprise est légitime à faire prévaloir ses intérêts car elle crée de la valeur, elle embauche, génère de l’attractivité pour les territoires. Le lobbying est également nécessaire car le monde d’aujourd’hui est marqué par l’explosion du nombre d’acteurs, que ce soient des ONG, des médias, syndicats… Le lobbying permet de coordonner tous ces acteurs, et d’aiguiller les décideurs. M. Puijalon évoque aussi l’une des conditions éthiques du métier de lobbyiste, qui est de toujours laisser l’élu prendre la décision finale. La contrainte n’a pas lieu d’être, ou du moins témoigne d’un manque d’éthique professionnelle. Pour mieux comprendre les enjeux et les dessous du lobbying, T. Puijalon recommande deux livres : L’Art de la guerre de Sun Tzu, et Influence et Manipulation, techniques de lobbying, de Robert Cialdini.

 

 Club influence ( CI ) : Quand quitte-t-on la dimension éthique pour tomber dans l’illégal / le malsain ?

Thomas Puijalon : Le lobbying éthique et juste repose sur un travail en collaboration, tandis que l’on se situe dans une dimension plus malsaine dès lors que l’on utilise la pression pour atteindre ses objectifs. Toutefois, on peut établir différents degrés des moyens de pression, qui peuvent être plus ou moins importants (ex : porteur de valises, téléphoner deux minutes avant le vote d’un parlementaire pour le mettre sous pression, etc.)

Il faut absolument éviter de tomber dans ce travers car cela peut avoir un impact négatif sur l’image du cabinet. Or, l’image est l’une des plus grandes forces d’une entreprise et elle est très difficile à reconstruire après avoir été ternie.

On peut également évoquer la différence entre une stratégie d’influence, qui consiste à faire accepter le point de vue du client, de l’entreprise, en orientant l’environnement des personnes ciblées, et une stratégie de domination, qui vise à imposer son point de vue et à le faire adopter par tous les moyens.

CI : Peut-on faire du lobbying éthique pour un client ou un service qui ne l’est pas ?

Thomas Puijalon : Il y a une part individuelle, c’est-à-dire que l’on peut laisser à ses consultants la liberté de ne pas travailler sur un sujet auquel ils s’opposent formellement. Il y a également un enjeu collectif de la part des lobbyistes, qui doivent essayer de modifier la vision de leur client concernant des produits peu, voire pas, éthique. L’enjeu, lorsqu’un client à une mauvaise réputation, est de l’amener à transformer son comportement, pas seulement son image.

CI : Doit-on avoir une formation en droit pour faire du lobbying ?

Thomas Puijalon : Il existe plusieurs approches, toutefois il est important d’avoir des profils variés au sein d’une équipe. Il n’y a donc pas de formation spécifique. Des profils type IEP sont intéressants, mais il est important pour la complémentarité et l’efficacité de l’équipe d’avoir des personnes issues par exemple de la sphère politique, d’écoles de commerce ou encore des métiers de la relation client. 

CI : Quelles sont les principales compétences d’un bon lobbyiste ?

Thomas Puijalon : Les compétences humaines essentielles sont d’une part l’intuition, le sens de la stratégie, d’autre part le sens de l’autre, l’écoute, c’est-à-dire être capable de comprendre les besoins du client et respecter l’intégrité de l’autre. On peut également lister des compétences techniques, comme la maîtrise de l’expression, écrite comme orale. Enfin, il est essentiel d’avoir un bon carnet d’adresses et savoir l’entretenir. 

 CI : Faut-il renforcer la loi Sapin II, copier les dispositions européennes ou aller encore plus loin en matière de transparence des activités de lobbying ?

Thomas Puijalon : Copier les mesures européennes n’est pas nécessaire, mais le fait d’être transparent des deux côtés, lui, l’est. Tenir un registre plus transparent du côté des lobbyistes, de leurs clients et des parlementaires est un gage de confiance. Cela permet aussi de désacraliser la fonction de lobbyiste.

CI : Comment faire face à la montée en puissance des guerres informationnelles dans le domaine du lobbying ?

Thomas Puijalon : La question de la sécurité se pose, même dans de grands groupes comme Publicis Consultants, notamment lorsqu’ils font appel à la veille et aux interfaces numériques. De nos jours, de nombreuses entreprises peuvent être paralysées par des activités de rançoning ou d’attaque à répétition. Il faut donc savoir faire la différence entre les fausses informations diffusées par les adversaires et les informations utiles, nécessaires.

Par exemple, afin de contrer des Fake News, il faut utiliser les réseaux sociaux en publiant des messages, en utilisant des influenceurs qui vont relayer et défendre le point de vue de l’entreprise, ou encore travailler avec des journalistes et des politiques.

CI : Le lobbying peut-il être exercé par les pouvoirs publics ?

Thomas Puijalon : Une partie du lobbying n’est pas quantifiable, dans la mesure où aujourd’hui un certain nombre d’administrations ont des activités de lobbying auprès des parlementaires et des ministères. Pour cela, ils leur fournissent des projets de loi ou des propositions de loi et d’amendement clé en main. Cependant, cette influence des administrations n’est pas déclarée, on ne peut donc pas retracer la provenance des amendements.

CI : Finalement, « le lobbying, un mal nécessaire ? »

Thomas Puijalon : Je ne pense pas que le lobbying soit un mal, mais il est en revanche nécessaire. En effet, le législateur ne saisit pas systématiquement tous les tenants et aboutissants d’un texte de loi. Le lobbying peut apporter le point de vue de certaines entreprises ou de certains groupements de personnes qui ont leur pierre à apporter à l’édifice. 

 

Propos recueillis par Titouan Le Menès et Pierre-Léon Michel du Club Influence de l’AEGE

 

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