Unseenlabs, start-up rennaise spécialisée dans la surveillance maritime par satellite, pionnière dans le milieu. La startup soutenue à ses débuts par le fonds d’investissement du ministère des armées Definvest est au cœur d’enjeux stratégiques pour la France. Le Portail de l’IE a souhaité interroger son cofondateur pour avoir sa vision de l’intelligence économique, l’écosystème concurrentiel de l’espace ou encore le caractère stratégique de ces technologies pour l’armée française.
Portail de l’IE (PIE) : Bonjour Clément, vous êtes le cofondateur d’Unseenlabs spécialisé dans la surveillance maritime par satellite, selon vous est-ce un milieu hautement concurrentiel et le cas échéant qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents dans ce milieu ?
(C.G) : La question est vaste, déjà qu'est-ce que le NewSpace ? C'est un terme de plus en plus utilisé et qui regroupe tout de la production, de la moindre pièce de satellite jusqu’à l'analyse de données satellitaires. C'est un domaine qui est extrêmement vaste, on est vraiment focalisé en tant qu'opérateur satellite dans l’interception de signaux radiofréquence, je pense que ça marche bien parce que c’est un domaine de niche. La technologie ou les connaissances technologiques nécessaires pour être en capacité de faire de l’interception de signaux depuis l'espace avec des satellites sont compliquées. C'est un domaine qui ne s'apprend pas vraiment à l'école, ça s'apprend sur le terrain et ça, c'est lié plutôt à la connaissance de mon frère Jonathan. Il a travaillé sur des domaines assez connexes au profit du ministère des armées à l'époque où il travaillait chez Airbus. Après, on s'est vraiment mis un objectif de faire du spatial d'une nouvelle façon. Alors on n'a pas tout inventé. On a surtout beaucoup regardé ce qui se passait à l'étranger à l'époque donc en 2015, un petit peu avant qu'on crée la société. Cela bougeait beaucoup aux US avec les Spire, Planet Labs et Planet, qui ont montré qu'on pouvait rendre le service opérationnel et intéressant économiquement à partir de petits satellites. Dès lors, on a un petit peu ramené cette idée-là en France, ce qui à l'époque n'était pas vraiment au goût du jour. L'autre raison, comme je disais, la partie technologie avec l’interception de signaux qui est très unique nous a vraiment aidé, après ce qui a fonctionné c'est aussi qu'on s'est focalisé sur un marché. Avoir une technologie, c'est bien, mais si on a pas de marché d'application, ça ne sert pas à grand-chose. Nous, on s'est vraiment focalisé sur la surveillance maritime, même si vous pouvez l'imaginer avec l’interception de signaux depuis l'espace, on pourrait faire d'autres choses, mais on est une entreprise en pleine croissance, on est encore petit pour l'instant donc on se concentre sur un marché. Voilà, on est focalisé sur un marché et on fait bien ce premier marché avant de penser à autre chose.
PIE : On entend souvent dire que la France n’est pas un pays favorable au développement des startups ou tout du moins qu’elle n’est pas adaptée face aux modèles d’autres pays, pensez-vous que cette affirmation est exagérée ?
(C.L) : Oui, alors start-up, c'est un mot qui est un peu trop vague, je préfère parler d’entreprise innovante. Contrairement à ce qu'on entend, les entreprises innovantes sont quand même très aidées dans les premières phases, on a Bpifrance, il y a l'Etat, il y a les régions, il y a les métropoles, il y a pas mal de financement un peu partout si on sait où chercher ce n’est pas compliqué. On peut se rapprocher de son conseiller Bpifrance local, généralement cela se passe plutôt bien ou il y a même Pôle Emploi qui aide, nous on a créé notre société sans argent, c’est grâce à Pôle Emploi qu’on a pu créer la boîte. Les premières années sont très bien accompagnées, au contraire, ce n’est pas pour rien qu’il y a énormément de start-ups qui se créent en France. En revanche, ce qui est le plus compliqué, c’est le passage à l’entreprise intermédiaire où en effet là, c'est plutôt l'écosystème financier qui est plus complexe en France. Dans d'autres pays comme les Etats-Unis par exemple où on peut lever énormément de fonds très rapidement sur des idées vraiment pas très abouties. En France, c'est un peu plus complexe ce passage, nous on est plutôt contents on a réussi à le faire mais c'est plutôt cette phase qui est compliquée je pense.
PIE : Votre entreprise a été soutenue par une prise de participation du fonds d’investissement du ministère des armées Definvest pour vous permettre de vous développer. Ce mode de soutien aux startups est très ancré dans la culture française alors que dans la culture anglo-saxonne on y privilégie la culture de la commande publique pour soutenir ces startups comme on a pu le voir avec le soutien des vaccins contre la Covid-19. Quel est selon vous le meilleur modèle à adopter ?
(C.L) : Moi je pense très clairement qu'il faut s'orienter par une prise de commande publique, c'est ça qui fait vivre des sociétés, parce que là, si on parle même d'investissement, c'est vrai qu'en France on a pas mal d’investissements avec l'Etat, à travers Bpifrance notamment. En termes économiques purs ce qui fait la valeur d’une société, c’est ses contrats. La prise de commande publique, à travers les contrats, on parle bien de contrat pas de subventions, c'est-à-dire quand une société même petite qui a quelque chose à apporter à l'Etat et qui a des besoins peut répondre de manière opérationnelle. En effet là où on est en retard par rapport notamment aux États-Unis, c’est la capacité à contractualiser avec des petites boîtes. C'est ça qui apporte de la valeur à la société, c'est ça qui va faire plaisir aux financiers et c'est ça qui permet aussi de croître plus rapidement et de s'imposer sur d'autres marchés pour sortir de la France. Je pense que les deux sont intéressants, la commande publique va devenir indispensable et il faut que ce soit ce message qui passe. C’est la commande publique qui soutient les entreprises beaucoup plus qu'une subvention si on parle de manière purement financière pour un fonds d'investissement, 1€ de subvention, ça vaut 1€. Alors que de la commande publique, c'est la preuve d'un client qui est content, qui vous commande, qui vous paye. 1€ de commande publique peut valoir de manière financière, 5, 10€ en équivalent donc c’est beaucoup plus intéressant.
PIE : Et pourquoi, selon vous, qu'est-ce qui bloque ? Pourquoi sommes-nous plus ancrés sur le financement au lancement de l'entreprise plutôt que de se focaliser sur la commande publique ? Est-ce une raison culturelle ou économique ?
(C.L) : Je pense que c’est un peu culturel, je connais mal le milieu en dehors du spatial donc je ne me permettrai pas d'en parler. Au niveau spatial, en France on est une grande nation du spatial qui jusque-là reposait sur des gros acteurs qui ont très bien fait leur travail mais l’arrivée de nouveaux acteurs comme nous n’a pas été anticipée. Il y a une routine qui fonctionne avec les grands programmes qui ne sont pas adaptés aux petites sociétés comme les nôtres mais on sent quand même qu’au plus haut niveau de l'État cela a été compris. Voilà, on espère qu’on s’oriente dans ce type de rapport, de la commande publique. La nomination du nouveau patron du CNES, ça fait partie des premières choses qu'il a annoncées. Il l’a dit que jusque-là, cela n’existait pas vraiment et qu'il fallait aller vers cela. Au moins, maintenant il y a la prise de parole qui dit qu'il faut le faire, maintenant attendons de voir comment cela se passe. Je pense qu'il y a une vraie prise de conscience, parce que c'est l'historique français qui n'a jamais marché comme ça. Il y a quelque chose de nouveau, donc il faut que cela fasse sa place.
Propos recueillis par Nathan Crouzevialle
Deuxième partie: " Les États ont compris qu'il y avait un vrai intérêt pour la pollution et la réglementation des ressources halieutiques"
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