[CONVERSATION] 2/2  » Les États ont compris qu’il y avait un vrai intérêt pour la pollution et la réglementation des ressources halieutiques » : entretien avec Clément Galic, co-fondateur d’Unseenlabs

Unseenlabs, start-up rennaise spécialisée dans la surveillance maritime par satellite, pionnière dans le milieu. La startup soutenue à ses débuts par le fonds d’investissement du ministère des armées Definvest est au cœur d’enjeux stratégiques pour la France. Le Portail de l’IE a souhaité interroger son cofondateur pour avoir sa vision de l’intelligence économique, l’écosystème concurrentiel de l’espace ou encore le caractère stratégique de ces technologies pour l’armée française.

PIE : 80 % du trafic se fait par voie maritime pourtant c’est un milieu assez opaque et assez peu soumis à la surveillance. Votre entreprise se place-t-elle justement sur ces enjeux de surveillance d’un espace de zone grise où il est très difficile d’avoir le contrôle, pour quelle raison y a t-il ce manque de surveillance dans le secteur alors que c’est la voie la plus fréquentée ?

(C.L) : Je ne pense pas que ce soit des raisons culturelles, c'est surtout des raisons technologiques. Un bateau qui dépasse les 100 ou 200 kilomètres des bords de côtes il y a plus beaucoup de moyens très efficaces pour le suivre. Il y a les balises, il y a l’AIS comme on le disait sauf que l’AIS, il faut bien savoir qu’historiquement ce n'est pas fait pour être intercepté depuis l’espace. Pourquoi je parle d'espace ? Parce qu'une fois qu'un bateau est assez loin des côtes, il n’y a que des satellites qui peuvent intercepter les signaux AIS, c'est la seule façon de faire parce que les antennes terrestres ne portent pas assez loin à cause des limitations physiques. Or un signal AIS , ce n'est pas fait pour être intercepté depuis l'espace donc c'est pour cela que la restitution des bateaux qui émettent en AIS n'est pas très bonne alors ça tend à s'améliorer avec des nouvelles technologies plus efficaces mais c’est déjà une première limitation. 

Ensuite c'est peut-être aussi un réflexe un peu humain, dans certaines zones où on n'a pas envie d’être suivi donc on coupe la balise vu que cela n'est pas obligatoire. Il y a pas mal de capitaines qui le font, pas forcément pour faire des choses illégales. Il y a aussi des zones géographiques où géopolitiquement c’est un petit peu compliqué comme les  zones économiques exclusives maritimes qui sont contestées par un peu tous les voisins par exemple. Le grand jeu, dans ce cas-là  c'est quoi ? C'est la marine d'un pays qui va s'amuser à embêter les pêcheurs du pays d'à côté, en face les pêcheurs ils coupent leurs AIS au moins ils sont sûrs que les marins du pays étranger ne les voient pas. C’est un peu tous ces éléments-là. En plus de cela, vous rajoutez les volontés de certains de commettre des actions illégales, voilà c'est un ensemble, il n'y a pas qu'une raison, il y a un ensemble de raisons qui font qu' en effet aujourd'hui on connaît assez mal le trafic maritime. Cela tend à s'améliorer assez significativement, les États ont compris qu'il y avait un vrai intérêt pour la pollution et la réglementation des ressources halieutiques, protection des assets en mer que ce soit de l’hydrolien, du pétrole, du gaz ou des éoliennes en mer. Cela a un vrai sens, mais jusque-là, il n'y avait pas de prise de conscience et pas de solution technique.  

PIE : Vous êtes un acteur plutôt tourné vers le civil pour l’instant mais au vu du côté stratégique de votre domaine et de l’avance que vous détenez par rapport à vos concurrents, est-il prévu dans votre stratégie ou dans un scénario le développement de la branche militaire avec l'armée française ?

(C.L) : On verra de quoi l'avenir est fait, aujourd'hui, on travaille déjà beaucoup avec la marine militaire dans le cadre de l'action de l'État en mer, ce n'est pas la défense, c'est plutôt de la sécurité, ce sont eux qui ont les bateaux, les avions, les hélicoptères pour intervenir et protéger les océans, les ressources comme on le disait. C'est ça surtout qui inquiète les pays aujourd'hui, en tout cas, nos clients, c'est la protection de leur secteur maritime et leur pollution. Nous, c'est l'essentiel de notre activité. Bien malin celui qui dira de quoi l'avenir est fait tout va très vite. Nous, c'est un service civil. Les militaires ont d'autres moyens de faire ce qu'on sait faire. Voilà donc chacun fait son métier, on ne marche pas sur les plates-bandes des autres. Voilà, après je serais bien incapable de répondre totalement à la question. Après on connaît bien les marines. La Marine française, qui utilise nos données pour la protection des zones maritimes françaises, dans d’autres pays c'est les garde-côtes et dans d’autres c'est le ministre de la pêche. On est en relation avec les gouvernements de pas mal de pays, mais vraiment dans ce qu'on appelle l'action de l’Etat en mer et pas la défense.  

 

PIE : Votre modèle repose sur des technologies et du matériel critique dans la chaîne de valeur, comment vous prémunir des risques de pénurie ou de sanctions sur les matières premières lorsqu'on voit ce qu’il se passe pour les puces et à quel point cela affecte l’économie mondiale ? 

(C.L) : C'est de l'organisation en procurement qui nous permet de nous prémunir de ces risques, on connaît nos besoins pour les prochains mois et les prochaines années donc c'est à nous et à notre équipe d’être certains d’avoir le matériel au moment du besoin. Cela consiste à acheter en amont quand le matériel est disponible en faisant cela on sécurise l'approvisionnement. Mais on est comme tout le monde, si on a vraiment une crise très grave, il y a un effondrement des approvisionnements globaux, on sera forcément impacté, comme tout le monde est impacté. On le voit même avec les voitures, aujourd'hui, les voitures sont impactés par une pénurie d’équipements électroniques alors que ce sont les plus gros acheteurs du monde. L'anticipation permet d'éviter les drames, mais il ne faut pas que ça continue dans ce sens-là. Maintenant, là on sait déjà  qu'on va prendre pour 1, 2, 3 ans de quasi-pénurie. Il va falloir créer peut-être des nouvelles filières, je ne sais pas après c'est tellement bas dans la chaîne de production que c'est vrai qu'on a plus de producteurs français de semi-conducteurs par exemple ou très peu. C'est des côtés stratégiques qui ont été oubliés pendant des années et qui nous reviennent assez brutalement au visage aujourd'hui parce qu’on devient dépendant de pays, même hors Union européenne, c’est un petit peu complexe. La réponse, c'est qu’on investit un maximum, aujourd'hui on a la chance d'avoir anticipé, pour ne pas être bloqué pour les prochains mois et les prochaines années. Encore une fois, il ne faut pas que cette crise dure trop longtemps. 

PIE : Vous avez fait une nouvelle levée de fonds début 2021, est-ce important pour vous d’avoir des capitaux et fonds français qui vous financent au vu du caractère stratégique de votre entreprise ? 

(C.L) : Je souhaite au maximum que ce soit français mais si ce n'est pas le cas bon ce n'est pas grave non plus. Il y a français et européen en fait, une partie de nos frontières sont européennes, ce qui nous va très bien. Toutes les parties vraiment critiques, sensibles, sont franco-françaises faites en France par des fournisseurs français, c’est mieux, cela assure une certaine indépendance aussi, donc c'est un choix qu'on a fait un petit peu le début puisqu'on a trouvé ce qu'il nous fallait aussi. 

Puis c’était pour pousser la filière française aussi, on travaille avec des petites boîtes, aujourd'hui on est bien content de ne pas être dépendants de pays trop lointains qui sont en crise. Après on est une société stratégique au niveau de l’Etat donc il y a aussi une certaine logique des financements. On est satisfaits de trouver les bonnes personnes en France, autant rester en France, j'ai envie de dire. Après les prochaines phases de financement, on verra. Je ne sais pas, je pense qu'on vit tous sur la même planète au bout d’un moment, se limiter seulement au marché et au financement français n’est pas forcément la bonne stratégie. Il faut continuer à protéger nos financements et nos cœurs de technologie en France, il n'y a aucun problème mais aller chercher du financement un peu loin, on n'est pas contre. Clairement au niveau de l’Europe cela ne pose pas de problème, on est quand même tous là pour créer l’Europe ensemble donc ce serait un peu dommage de passer à côté de cela. Après pour le reste, on verra quand la question se posera. 
 

Propos recueillis par Nathan Crouzevialle 

Première partie de l'entretien à trouver ici.

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