En termes de sanctions économiques, même si les pays européens ne sont pas en reste, les États-Unis sont leaders mondiaux. Gels d’avoirs, embargo, quotas et taxes, tous les adversaires de l’Oncle Sam y passent. Parmi eux, la Russie doit composer avec un régime de sanctions strict imposé par Washington depuis le début de la crise ukrainienne et l’abattage du vol MH17 en 2014. Dans un contexte d’escalade des tensions en Europe de l’Est, quelles potentielles mesures de rétorsions économiques américaines planent au-dessus de Moscou ?
Le mercredi 1er décembre 2021, les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN se sont retrouvés à Riga en Lettonie. La rencontre a tourné autour d’un sujet central, envisager une invasion russe de l’Ukraine. Cela fait plusieurs semaines que les renseignements militaires américains et ukrainiens ont tiré le signal d’alarme concernant des mouvements de troupes russes le long de la frontière, potentiellement annonciateurs d’une invasion de l’Ukraine par Moscou. Que ce soit par le soutien militaire aux séparatistes pro-russe de la République Populaire du Donbass ou l’annonce d’exercices militaires conjoints avec la Biélorussie le long de la frontière ukrainienne, les signaux d’une montée des tensions sont au plus haut.
Le lendemain, jeudi 2 décembre 2021, le secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, s’est brièvement entretenu avec son homologue russe Sergei Lavrov à Stockholm, en marge d’un sommet de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. La veille, le secrétaire d’État américain a déclaré que quelconque « action hostile russe entraînerait des sanctions économiques à très fort impact ». Quelles pourraient être ces mesures ?
Il faut rappeler que les sanctions économiques américaines coûtent autour d’un pourcent de PIB à l’économie russe chaque année et auraient permis d’empêcher la mise en place d’une invasion de l’Ukraine par la Russie en 2014. Dans ce cas, quelles sanctions les Américains pourraient-ils prendre qui empêcheraient une invasion sept ans plus tard ?
La menace SWIFT ?
Si on parle de sanctions à « fort impact », les Américains pourraient-ils aller jusqu’à couper la Russie d’un accès à SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) ? Et s’ils le font, cela ne serait-il pas contre-productif car favoriserait les systèmes de télécommunication interbancaire concurrents ? Ces systèmes existent déjà, la Russie a développé le SPFS, en activité depuis 2017, pour contrer toute tentative américaine de les couper de SWIFT. La Chine a développé le CIPS et Unionpay qui sont reliés à SWIFT depuis 2016. En outre, si les Américains s’accordent le pouvoir de couper n’importe qui de la SWIFT, quelles seraient les implications pour d’autres pays, comme la France, s’ils venaient à entrer en confrontation avec les États-Unis ?
Couper l’accès de la Russie à SWIFT semble improbable, d’une part parce que cela donnerait du poids à des systèmes concurrents et d’autre part parce que cela créerait des perturbations interbancaires fortes, dernière chose dont les marchés financiers ont besoin en ce moment. Il ne faut pas oublier que SWIFT est une coopérative interbancaire basée en Belgique et n’est pas sous contrôle direct de Washington. Les Américains devraient donc sanctionner en parallèle, toute banque effectuant des opérations avec des organismes financiers russes, venant s’ajouter à la longue liste de restrictions économiques américaines dans le monde. Il faut tout de même noter qu’il y a un précédent. SWIFT s’est conformé aux sanctions américaines dans le cas de l’Iran et a coupé l’accès à sa messagerie à certaines banques iraniennes. L’entrave du commerce avec l’Iran par la déconnexion des institutions financières iraniennes est grave mais pas autant que si cela arrivait avec la Russie. On se demande comment les européens vont pouvoir payer le gaz russe en cas d’exclusion.
De plus, en dernier recours, les Etats-Unis, par un régime de sanctions calqué sur celui de l’Iran, pourraient-ils interdire de commercer en dollar avec quelconque entité russe ? Cela impliquerait d’établir, comme en cas de coupure à SWIFT, des sanctions contre tout contrevenant. Si un tel scénario venait à se produire, ce ne sont pas les américains qui en souffriraient le plus, mais bel et bien les entreprises européennes qui commercent avec la Russie. On se souvient de l’amende record infligée à BNP Paribas pour avoir contourné les embargos américains sur Cuba, l’Iran, le Soudan et la Libye.
Enfin, on peut également envisager que les américains repartent à l’offensive pour mettre définitivement un terme aux accords concernant Nord Stream 2, faisant pression sur l‘Allemagne et l’UE, qui se retrouveraient bien dépourvus quand la bise sera venue.
Pour l’instant, la situation semble gelée. Joe Biden s’est entretenu en visioconférence avec Vladimir Poutine puis avec Vladimir Zelinski. L’envoi de troupes américaines sur le sol ukrainnien n’est pas envisagé et l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, cheval de bataille du président Zelinski n’est pas à l’ordre du jour.
Pour conclure, bien que les américains ne soient pas encore au clair quant aux modalités d’une aide militaire à l’Ukraine, les déclarations d’Anthony Blinken montrent le durcissement de ton de l’administration Biden. Observer les choix de sanctions que prendront les américains contre la Russie permettra d’appréhender l’évolution du degré d’investissement de l’Oncle Sam dans la crise ukrainienne. La projection de puissance extraterritoriale américaine ne va-t-elle pas perdre de son efficacité ? La surutilisation des sanctions économiques ne va-t-elle pas pousser le reste du monde à créer des infrastructures parallèles, excluant petit à petit les Etats-Unis.
Guilhem Garnier
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