Le 22 novembre 2021, un convoi de l’armée française provenant de la Côte d’Ivoire a été bloqué par des manifestants au Burkina Faso à un endroit extrêmement stratégique, la « voie sacrée ». Filmée et partagée, cette manifestation révèle une nouvelle fois la puissance de la guerre informationnelle sur laquelle insiste la vision stratégique du Chef d’État-Major des Armées.
Une nouvelle grille de lecture pour nos armées
Au travers de cette vision stratégique, les différents champs de confrontation auxquels nos armées doivent se préparer amènent des rapports de forces non militarisés influençant les conflits bien avant que ces derniers n’éclatent. Avec cette volonté de gagner la guerre avant la guerre, nos armées changent leur grille de lecture.
La France a pris acte du basculement de contexte géopolitique. C’est en ce sens que le retour à la haute intensité fait partie des défis pour nos armées. Lors de son intervention devant la commission de défense de l’Assemblée nationale début octobre, le général BURKHARD avait déjà précisé que nos armées devaient se préparer à un conflit de haute intensité. Si nos armées doivent se préparer à ce type de conflit c’est qu’il peut être déstabilisateur et changer le jeu stratégique de nos forces. Il est nécessaire de pouvoir se préparer notamment en prenant part à des guerres moins coûteuses sur le plan matériel et humain mais tout aussi efficace afin de gagner la guerre avant la guerre. Il serait intéressant que notre stratégie militaire utilise l’art de l’intelligence économique et notamment les capacités d’influence qui se trouvent à disposition. Les domaines informationnels et l’influence, faisant partie de la guerre économique, peuvent jouer un rôle important dans la déstabilisation de l'adversaire, et nous avons pu l’observer à plusieurs reprises, à nos dépens ! En se préparant aujourd’hui à un conflit de haute intensité, nos armées acquerront masse, compétences et capacité d’anticipation de toute stratégie hybride.
La guerre informationnelle
L’idée, même de cette vision stratégique est qu’il faut être suffisamment dissuasif sur le plan conventionnel afin d’éviter le conflit armé. La guerre de l’information ou infoguerre qui est une « combinaison d’actions humaines ou technologiques destinées à l’appropriation, la destruction ou la modification de l’information », a déjà prouvé à plusieurs reprises son influence sur les théâtres d’opérations.
Depuis de nombreuses années une montée en puissance de la guerre informationnelle s’observe. Le cas des faux comptes Facebook de l’armée française au Mali en est un exemple. En décembre 2020, une véritable guerre d’influence a été révélée, dans le champ informationnel, pour certain une « guerre froide en ligne ». Ce cas a montré à quel point le domaine informationnel pouvait influencer un théâtre d’opération ainsi que son maintien.
Dans ce sens, une certaine continuité entre le général LECOINTRE et le général BURKHARD peut être observée. En juillet 2021, l’ancien CEMA avait assumé la participation française dans la guerre de l’information. Aujourd’hui, le général BURKHARD place le domaine informationnel dans sa vision pour les armées. Avec cette vision stratégique il est précisé que, peu importe le domaine, qu’il soit « diplomatique, informationnel, militaire, économique, juridique, technologique, industriel ou culturel », il convient de pouvoir gagner la guerre avant la guerre. «La Guerre Économique est un processus et une stratégie décidée par un État dans le cadre de l’affirmation de sa puissance sur la scène internationale. Elle se mène par l’information sur les champs économiques et financiers, technologiques, juridiques, politiques et sociétaux. » Avec cette vision stratégique nos armées ne sont-elles pas en train d’utiliser ce processus dans le domaine militaire ?
Dans la revue Défense nationale de 2016, Elie TENENBAUM expliquait que les guerres hybrides avec l‘étude de l’histoire militaire permettait de dégager trois types de manœuvres hybrides. La troisième manœuvre correspond à une manœuvre transformationnelle ou révolutionnaire, ou les opérations subversives permettent à l’adversaire d’asseoir son pouvoir. « Gagner la guerre avant la guerre » cette volonté rappelle la pensée de Sun Tzu, et notamment un élément clé de l’intelligence économique (IE), gagner ou perdre une confrontation n’est pas le fruit du hasard il s’agit d’anticiper les choses avant même que l’adversaire pense à son attaque.
Dans cette volonté d’anticipation, peut-être verrons-nous l’IE au service de nos armées. La guerre informationnelle et le cyber deviennent des sujets de plus en plus présents dans nos sociétés. Leur influence grandissante peut nous déstabiliser et donner des leviers de réussite à nos adversaires. Le général BURKHARD affirmait le 20 octobre, lors de la présentation de la doctrine militaire de lutte informatique d’influence au côté de Madame Florence PARLY, que « le champ informationnel est le théâtre d’une véritable guerre, témoignant de l’importance prise par les champs immatériels ». Avec la transformation numérique de notre époque, la guerre de l’information prend une place encore plus importante qu'auparavant. Le Commandement du Cyberespace (COMCYBER) a d’ores et déjà pris le pas et face à des adversaires qui maîtrisent la guerre informationnelle, nos armées ont renforcé ces capacités. «Notre détermination à accélérer notre montée en puissance dans le champ informationnel pour empêcher les manœuvres adverses se concrétise. C’est tout le sens de la doctrine de lutte informatique d’influence qui organise et structure ce combat, offre un cadre et des outils pour l’action. ». La doctrine militaire de lutte informatique d’influence s’affiche donc comme un premier outil de riposte aux techniques d'influence de nos adversaires et la vision stratégique du CEMA semble poursuivre en ce sens. Désormais le COMCYBER possède les outils lui permettant d’agir dans ce domaine.
Jean-Yves LE DRIAN, ministre des Affaires étrangères s'est exprimé le 21 novembre à la suite des évènements en cours au Burkina Faso en reconnaissant qu'il y a des « manipulateurs, par les réseaux sociaux, les fausses nouvelles, l’instrumentalisation d’une partie de la presse, qui jouent contre la France ». Depuis le 18 novembre l’image de la France et de son système subit une nouvelle fois l’influence d’une guerre informationnelle. « Il est clair que le Sahel est […] un enjeu d’influence entre les grandes puissances ». C’est ainsi que fonctionne la guerre de l’information, au travers de ces vidéos et informations qui circulent, l’image de la France et de ses armées est mise à mal.
Il devient pertinent de se demander si la guerre de l’information ne pourrait pas être l’élément primordial permettant à la France de prendre une longueur d’avance ; et ainsi réellement anticiper, tout en donnant les moyens à ses armées de prendre en masse, en augmentant ses moyens humains et capacitaires.
Céline Clovis pour le Club Défense de l’AEGE.
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