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Guerre réputationnelle de la Biélorussie

Dans une zone déjà sous tension chez le voisin Ukrainien, la Biélorussie a orchestré une déstabilisation sur le levier migratoire contre l’Union européenne, en réponse à une série de sanctions à son égard. Cette crise révèle la stratégie de la Biélorussie pour exister au niveau international, avec des capacités militaires limitées et une situation économique alarmante. Une guerre informationnelle pour tenter d’aggraver les dissensions dans l’UE et de nuire à son image, tout en permettant à Loukachenko de garder les rênes du pouvoir à Minsk.

La crise migratoire entre la Pologne et la Biélorussie est un bel exemple de guerre de la communication à plusieurs niveaux, et cache des enjeux politiques et économiques plus profonds. Tout d’abord, à défaut d’être une puissance militaire crédible, la Biélorussie s’attaque à l’image de l’UE pour décrédibiliser les démocraties voisines et les mettre face à leurs contradictions. Un retour de flamme vis-à-vis des sanctions européennes prises à l’encontre de Minsk. En outre, le levier nationaliste est utilisé par Loukachenko, qui subit de fortes contestations en interne, pour se maintenir au pouvoir. Une politique qui a prouvé son efficacité dans de nombreux pays en difficulté financière, que ce soit la Russie ou la Turquie.  

Pourtant, la Biélorussie n’a ni les capacités économiques, ni militaires pour menacer sérieusement la Pologne. Dans un rapport de force inégal, les belligérants instrumentalisent la crise en fonction de leurs intérêts. Asseoir son autorité pour Minsk, tant sur le plan de la politique interne que sur la scène internationale, et poursuivre le bras-de-fer avec l’UE pour la Pologne, commencé avec le refus de la primauté du droit européen.  

 

Situation politico-économique en Biélorussie 

Le contexte politique à la suite des élections de 2020 a aussi fragilisé l’économie du fait des mouvements de grève dans l’industrie, représentant 26% du PIB, contraignant Loukachenko à un durcissement de sa politique intérieure, et renforçant de ce fait l’impopularité du président en place. L’inflation n’a cessé d’augmenter, dépassant les 9% en 2021.

De plus, les sanctions internationales et la suspension des nouveaux programmes de prêts souverains des Institutions Financières Internationales, en particulier européennes, sont des sources de fragilité supplémentaires pour l’économie. Elles augmentent sa dépendance envers la fédération de Russie, son principal partenaire commercial avec plus 40% des échanges du pays. Depuis la crise financière de 2011, le soutien de Moscou se traduit par des prêts, mais avec la chute du rouble, la situation s’est aggravée, perturbant l’équilibre de l’économie.

En termes de capacités économiques dans le domaine militaire, le budget de défense de 2020 de la Biélorussie n’est que de 775 millions de dollars, à titre comparatif la Pologne dépense 10,78 milliards de dollars dans la défense en 2021. 

Ainsi, l’inflation, la mauvaise santé économique, la très forte dépendance envers la Russie et l’incertitude de la population vis-à-vis du système biélorusse rendent difficilement crédible toute velléité belliciste de la Biélorussie vis-à-vis d’une hypothétique « guerre » contre la Pologne.  

 

Effectifs & expériences 

Démographiquement limitée, la Biélorussie n’a pas le réservoir d’hommes suffisant pour être considérée comme une réelle menace militaire pour l’UE en tant qu’entité propre. La guerre informationnelle étant de fait le moyen le moins risqué, au sens engageant militairement, de nuire à l’UE. Il ne faut toutefois pas sous-estimer la « dernière dictature d’Europe », qui reste néanmoins un pays très militarisé, avec des effectifs suffisants pour se mesurer à son voisin polonais, avec lequel il partage 407 km de frontière.  

Avec moins de 10 millions d’habitants, la Biélorussie affiche un taux de militarisation de sa population de 5%, totalisant 445 000 militaires, réservistes et paramilitaires. En comparaison, la Pologne affiche 0.5% de militarisation de sa population, avec 193 000 hommes et femmes entraînés sur une population totale de 38 millions.  

En termes d’expériences militaires récentes, la Pologne a participé entre 2002 et 2021 à l’intervention en Afghanistan, perdant 44 hommes dans les opérations sur cette période, sur un total de 33 000 polonais ayant participé. Plus récemment encore, en 2016, le pays a réalisé un exercice militaire grandeur nature avec l’OTAN, à hauteur de 12 000 hommes à lui seul, soit un tiers du total des forces en présence. 

La Biélorussie n’est pas en reste, elle effectue également des manœuvres avec son allié russe afin de tester l’interopérabilité de leurs chaînes de commandement. Ainsi, jusqu’à 200 000 hommes des deux pays se sont regroupés en septembre 2021 pour des exercices.  

Sur les théâtres de conflits dans le monde, on retrouvait en 2011 des forces biélorusses en Libye, dans des rôles principalement d’encadrement des forces du colonel Kadhafi. Il existe d’autres missions d’encadrement, notamment en Afrique et en Amérique du Sud, comme au Venezuela, mais rien ne justifiant pour l’armée biélorusse d’une réelle expérience opérationnelle de combat. 

 

Matériel 

Si les conditions matérielles générales de l’État biélorusse sont assez limitées, elles n’en demeurent pas moins assez conséquentes vis-à-vis de la taille du pays.   

Le pays a d’abord pu hériter de l’ensemble des infrastructures et équipements de l’ère soviétique, et à la différence de l’ensemble de ses voisins de l’ex-URSS, la continuité de son alignement avec Moscou lui a permis aussi bien une maintenance relativement effective de ses équipements, ainsi qu’une modernisation de ceux-ci. En effet, ses systèmes de détection radar, missiles sol-air et de guerre électronique sont étonnamment élaborés pour un État en semi-faillite comme l’est la Biélorussie.  

Sa flotte aérienne totalise plus de 200 appareils, la majorité de ces dits appareils étant orientés vers l’attaque et le combat aérien. À titre de comparaison, la Pologne voisine compte à peine plus du double d’appareils, pour une population quatre fois plus nombreuse. La différence s’exprimant principalement en appareils consacrés au transport et à l’entraînement. Enfin, la Biélorussie a depuis 2017 initié un renouvellement progressif de sa flotte de chasseurs, avec la commande initiale d’une douzaine de SU-30SM en prévision d’un retrait de ses MiG les plus vétustes. On notera également qu’un quart de ses hélicoptères, sur un total de 80, est dédié à l’attaque, dont l’ensemble, bien qu’opérationnel, est extrêmement vieillissant.  

L’attrition de son équipement est plus flagrante concernant les blindés et l’artillerie. La Biélorussie ne possède effectivement pas de chars d’assaut plus récents que la fin des années 70, dont aucun n’est équipé de contre-mesures anti-missiles, pourtant devenues primordiales. Son artillerie, dont un tiers est encore remorquée, est assez vétuste, là où la Pologne a choisi de miser sur une artillerie exclusivement autotractée et moderne. Elle n’en demeure pas moins importante (pas loin de 700 pièces au total, ainsi que plus de 200 MRLS / LRM). 

La vulnérabilité matérielle principale de l’armée vient néanmoins du nombre relativement faible de véhicules de transport de troupes, blindés comme non blindés, et dont l’entièreté est extrêmement âgée et usée.  

Sur un plan général, la Biélorussie demeure matériellement dépendante de la Russie en cas de conflit majeur, mais néanmoins autonome en cas d’affrontements limités à la basse-intensité.  

 

Guerre(s) informationnelle(s) 

Cette guerre informationnelle, déclenchée par une Biélorussie blessée et aux abois, souligne les enjeux géopolitiques et économiques à différentes échelles. Au niveau national, dans un contexte économique et social tendu, Loukachenko s’offre un peu de répit en orchestrant cette crise migratoire. Il s’attaque également à l’image de l’UE, peu encline à accueillir les migrants, alimentant les partis d’extrême-droite du continent et jouant sur le manque de solidarité des États de l’UE entre eux. Le tout, accentuant la crise européenne actuelle, en plein bras de fer entre l’UE et la Pologne sur la primauté du droit polonais. Varsovie préférant faire appel à l’OTAN, et non à l’agence européenne FRONTEX, pourtant compétente en matière de crise migratoire.  

Le déploiement rapide de 800 militaires britannique par l’OTAN doit être vécu par l’Europe comme un énième constat d’échec dans la gestion de sa politique naissante de défense. L’Union se doit de réagir de manière ferme et solidaire, si elle ne veut pas une répétition du fiasco politique et militaire des Balkans des années 90.  

Dans le cas présent, s’il est peu probable que la situation évolue vers un conflit armé, tant pour des raisons économiques que capacitaires, Loukachenko sort gagnant de cette crise. Ceci est donc un nouvel exemple montrant que dans le domaine de la guerre informationnelle, l’avantage va à l’attaque. La balle est néanmoins dans le camp des pays de l’UE, afin de se montrer réactifs pour réaffirmer le poids de l’Union dans la région, tant vis-à-vis de la Pologne, que de la Biélorussie. Un message qui en bout de chaîne doit être adressé à la Russie de Poutine, qui continue d’œuvrer en Ukraine.  

Enfin, l’UE peut remettre en question sa politique de sanctions systématiques à l’égard de pays tiers, qui cristallise les tensions et force la radicalisation des politiques extérieures de ces États, tout en desservant les populations locales. 

 

Club Défense de l’AEGE.

 

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