Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la société française doit impérativement se préparer à la guerre de haute intensité. Les guerres asymétriques, modèle de conflictualité principal sur les dernières décennies, ont baissé drastiquement l’acceptabilité de la mort. Le management de l’information auprès de l’opinion publique risque d’être le facteur clé du prochain conflit à haute intensité et il est stratégique de préserver sa population des manœuvres informationnelles ennemies.
Préparation cognitive et résilience
L’évolution de la conflictualité dans le monde a amené à la dissolution du service militaire en France en 1997, trop coûteux par rapport aux besoins de l’État pour des conflits asymétriques, réduisant de fait considérablement le nombre de réservistes à environ 36 000 actuellement. La conséquence vingt ans après, c’est la fracture des mondes militaire et civil et l’absence de préparation de la population au risque non choisi.
De même, la dernière fois que la France a connu des pertes « conséquentes » sur un laps de temps restreint, ce fut en 1983 au Liban lors de l’attentat qui coûta la vie à 58 soldats de la Force Multinationale de la sécurité de Beyrouth. À titre de comparaison, au début de la première guerre mondiale, 27 000 soldats français perdaient la vie sur la seule journée du 22 août 1914. Une population moins habituée à la mort reste moins à même de l’accepter. De plus, notre armée de métier, déjà limitée en nombre, s’est encore vue amputée de 80 000 postes à la suite aux restrictions budgétaires de 2008, selon une tendance qui avait débutée bien en amont. En cas de conflit à haute intensité, les civils non « préparés » militairement et psychologiquement seraient donc amenés à jouer un rôle assez rapidement lors d’une conscription, amplifiant de fait l’importance de l’opinion publique dans ce conflit.
La préparation cognitive est donc essentielle pour parler de résilience, le refus du risque étant un précurseur de la défaite. Pour mémoire, le pacifisme de l’entre-deux-guerres, poussant l’opinion publique à être hostile à la guerre bien en amont des premiers affrontements, a contribué à la défaite de 1940. Le premier mécanisme qui se dégage dans le management de l’information se situe donc en amont du conflit, dans la préparation psychologique de la population, qui, comme nous l’avons vu, provient de différents facteurs.
Le contrôle sémantique des termes “patriotisme” ou “nationalisme” est ainsi essentiel, les charges intellectuelles y étant attachées influant de manière déterminante sur les populations et leur seuil d’engagement.
Manœuvre tactique de communication
Dans une guerre à haute intensité, si l’on exclut l’annihilation totale d’un des belligérants, l’objectif est d’atteindre un compromis le plus avantageux possible. L’enjeu pour un Etat est donc de tenir assez longtemps pour négocier les conditions de fin du conflit. C’est d’ailleurs ce qui ressort du rapport d’information sur la préparation à la haute intensité de l’Assemblée Nationale.
En plus de la résilience de la population à considérer au cœur de la stratégie martiale, il faut mettre en place un système de management de l’information pour contenir les mouvements anti-guerres dans l’opinion publique et lutter contre l’instrumentalisation de la frange contestataire. C’est d’autant plus important que notre système politique en dépend. En effet, dans une démocratie, la légitimité d’un gouvernement et d’une action politique, y compris militaire, est intrinsèquement liée à l’opinion publique (Exemple : Guerre du Vietnam). Si l’enjeu du conflit est perçu comme trop lointain, sa valeur morale est amoindrie et l’opposition ne manquera pas de le qualifier « d’ingérence ». Il est essentiel de créer un référentiel de valeurs auxquelles la population pourra s’identifier pour accepter le risque et les restrictions libertaires. Afin de lutter contre la versatilité de l’opinion publique, il faut à la fois que la population se sente concernée et qu’elle croit en la possibilité de gagner dans un temps limité. Si la population ne croit plus en la victoire, le risque de basculement devient trop important.
Il faut avant tout se méfier des réactions aux défaites et lutter contre l’incertitude quant à la victoire face à un ennemi perçu comme équivalent. A ce niveau, il y a plusieurs facteurs à prendre en compte. Le principal risque identifié dans le management d’un système d’opinions publiques, c’est la réaction en chaîne si l’opinion publique d’un allié flanche.
Second point à prendre en compte dans la manœuvre de communication, limiter les pertes et notamment les pertes civiles sera forcément un enjeu. Il y a un risque de confondre tactique et stratégie, face à des adversaires qui n’auront pas les mêmes contraintes pour des raisons religieuses (martyrs) ou politiques (contrôle total des médias et donc minimisation possible).
Management de l’information, une propagande sans mensonge
Penser un système de management de l’information au XXIème siècle doit se faire en prenant en compte les phénomènes de sur-communication, de viralité et la culture de l’instantané sur tous les vecteurs de l’information, médias et réseaux sociaux.
S’il est essentiel de contrôler les interactions de l’opinion publique avec les actualités, mettre en place une censure et une propagande assumées se montrerait probablement contre-productif. Cela détruirait instantanément le référentiel de valeurs communes mis en place dont le système tire sa légitimité. De même, couper internet dans le pays ne peut et ne doit pas être une solution de dernier recours crédible. Le risque étant trop important qu’il produise l’effet inverse, à savoir panique et démoralisation.
Pour parvenir aux mêmes résultats, il faut passer par des voies détournées et cibler le contenu. La lutte contre les manœuvres d'intoxication et les vecteurs de communication facilement manipulables, du fait de l’absence de moyens de contrôle (sources non explicites, anonymats, facilité de création de comptes, etc.), doivent être une priorité. Cela demande donc un travail en préparation du conflit pour identifier les vecteurs d’influences de l’adversaire au sein de notre population et être capable de fermer les sites ou médias qui correspondraient à cette description. En interne, les médias traditionnels et les personnalités publiques joueront un rôle central, notamment s’ils cherchent à exacerber les fractures préexistantes sur la légitimité de l’engagement. Une multiplication de commentaires contradictoires ou une surmédiatisation de situations dramatiques peuvent décorréler l’image du conflit avec la réalité, avec un focus sur l’aspect émotionnel par rapport à la raison. Le tout alimentant une spirale démoralisatrice.
Les vecteurs intra étatiques de la guerre informationnelle
Si l’influence et la guerre informationnelle sont souvent pensés en projection, il faut être capable de penser un management « offensif » de l’information même en intraétatique. Le tout pour perturber l’influence adverse et ainsi maintenir la cohésion et l’adhésion de son opinion publique. En plus de la communication officielle habituelle ; calme, sérieuse, imperturbable et mesurée, dont le rôle est de maintenir un cap, un espoir et de conserver la confiance de la population dans la victoire, il faut mettre en place une communication officieuse agressive.
Dans le domaine de la guerre informationnelle, l’avantage va à l’attaque, une fois les vecteurs de contre-information identifiés, en amont ou lors du conflit, il convient de les cibler pour les décrédibiliser. Cela revient à lancer une machine de guerre de l’information pour préserver sa population et garder son attention. Cela peut passer par tout le spectre des vecteurs d’informations, des médias alternatifs perçus comme fiables, aux usines à trolls, le tout contre des blogs, des médias ou des personnalités politiques hostiles. Jouer sur leurs contradictions, restreindre l’espace cognitif en caricaturant des propos qu’ils n’ont pas encore tenus, les contraignant à passer sur la défensive. Le rôle de la communication officieuse étant de détruire tous les leviers d’influence de l’adversaire, d’installer durablement un sentiment de doute ou de mépris sur les vecteurs adverses afin que les citoyens sceptiques vis-à-vis de la communication officielle soient également sceptiques sur les communications de l’adversaire. Afin de créer une résonance, il convient également de chercher le buzz, l’information facile, sans oublier le vecteur humoristique. Il s’agit donc de créer un véritable système de communication parallèle, décentralisé en apparence et difficilement attribuable. Cette communication officieuse est indépendante, ne réagit jamais, elle ignore la situation réelle et ne fait qu’attaquer les vecteurs informationnels adverses.
Enfin, la population a tendance à s’arrêter sur la première information qu’elle reçoit, une véritable stratégie d’influence ne peut pas se contenter de réagir. Il faut être capable de communiquer les premiers, y compris sur nos revers, pour donner à l’information la meilleure teinte possible avant qu’elle n’atteigne la population. Avec cette double stratégie de communication, via les relais officiels, mais également via des relais habituellement délaissés par l’Etat (réseaux sociaux, etc.), on touche également les citoyens qui n’ont pas confiance dans l’Etat. Globalement, cela passe par des manœuvres d’influence classiques, pour distiller ou marteler une information contrôlée ou orientée, et à l’image de la publicité ou du lobbying, cibler un type de population, une catégorie sociale. Un domaine dans lequel la France doit encore s’armer si elle souhaite rivaliser avec une puissance comme la Russie.
Club défense de l’AEGE
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