Les services de renseignement taiwanais multiplient les missions pour s’assurer de la sécurité d’un « précieux” pas comme les autres : le savoir-faire de l’île dans la conception de semi-conducteurs. La présence d’espions chinois infiltrés au plus près des firmes taïwanaise de la filière est une réalité à laquelle Taipei entend répondre avec la plus grande fermeté.
L’ancienne Formose, "l'île rebelle” est bien consciente de sa supériorité sur le marché de la fabrication de puces électroniques et compte défendre ses savoir-faire intellectuels et industriels face aux appétits du continent.
Depuis 2020 un groupe de travail a d’ailleurs été créé au sein du bureau d'enquête du ministère de la justice pour protéger les entreprises taïwanaise. Sa mission est évocatrice puisque ce bureau est chargé de lutter contre le “braconnage de talents” (sous entendu orchestré par Pékin). Plusieurs dizaines d’entreprises taïwanaises du secteur ont été perquisitionnées et leurs responsables entendues. La célèbre Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), leader de ce marché mondial de pointe est au coeur de cette guerre économique car largement en avance sur sa rivale du continent la Semiconductor Manufacturing Company (SMIC) qui peine à faire son retard.
Les sociétés Starblaze Technology et Tongfu Microelectronics ont par exemple été accusées d'être des proxy de Pekin auprès de l’industrie taïwanaise.
Taiwan a donc décidé de répondre à la guerre économique que Pékin mène sans répit depuis des années. Cette dernière se concentre désormais sur le recrutement d'ingénieurs taiwanais dans les secteurs de pointe, dont la micro-électronique. La bataille économique va de pair avec la lutte d’influence puisque Pékin a pour stratégie de proposer aux meilleurs talents taiwanais des salaires bien plus élevés que ceux qu’ils reçoivent à Taiwan. De son côté l'île mise sur sa qualité de vie, fait régulièrement appel à la loyauté de ses meilleurs éléments. Le monde du travail peut se fermer a qui a décidé de travailler pour les sociétés rivales du continent. Ces derniers, de retour à Taïwan, risquent de “perdre la face” tant d'un point de vue professionnel que personnel. Leur déloyauté voire leur "trahison" envers le gouvernement de l'île risque d'être pointée du doigt par la société civile et médiatique taïwanaise .
Le pouvoir législatif à Taïwan a adopté une loi interdisant les investissements chinois dans certaines parties de la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs et notamment la conception de puces.
Cette guerre économique Chine-Taiwan concerne un secteur critique non seulement pour ces deux acteurs mais aussi pour le reste de l'économie mondiale. La maîtrise taiwanaise de la filière des semi-conducteurs est un atout crucial pour l'île vis-à- vis de son voisin menaçant. Cependant la RPC vit probablement ce renversement du rapport de force (en ce domaine précis) comme un affront. Si Pékin échoue à vassaliser économiquement Taiwan ou à exercer une influence politico-médiatique sur l'île et sa population, les intentions belliqueuses de la RPC à l'égard de “leur province rebelle” pourraient s’en trouver renforcées. De là à imaginer un scénario à l’ukrainienne… il n’y a qu’un pas ? Pourtant il est clair que Taiwan n’est pas l’Ukraine. Les stratèges chinois comme taiwanais observent avec attention le déroulement de la guerre en Ukraine. De part et d’autre du détroit l’armement n’est pas qu'économique et chacun fourbi ses armes.
En attendant le temps des canons…celui de la subversion.
Pierre-Marie Durier
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