Le 16 octobre 2022 s’est ouvert au Palais du Peuple à Pékin le 20e Congrès du Parti Communiste Chinois (PCC). Pendant près d’une semaine, les 2300 délégués se sont réunis pour réaffirmer la ligne à suivre pendant les cinq prochaines années et renouveler l’appareil dirigeant du Parti. XI Jinping, à la tête de la République Populaire de Chine (RPC) depuis 2012, s’est vu renouveler pour un troisième mandat inédit. Xi Jinping se retrouve donc en position de quasi-monopole du pouvoir, au commande d’une des plus grandes puissances de la planète, faisant face à de nombreux défis.
Un verrouillage du pouvoir.
Pré-Congrès, la composition du comité permanent du bureau politique du PCC (Politburo) était la question qui intéressait les observateurs internationaux. Cette composition est révélatrice de l’avancement du verrouillage du pouvoir opéré par XI Jinping et sa faction au sein de l’appareil d’Etat au chinois. Après ce dimanche 23 octobre, on peut dire que ce verrouillage a bel et bien fonctionné.
Pré-Congrès, les observateurs internationaux s’accordaient sur certains scénarios de composition du comité central du Politburo, plus ou moins probables. Tristan Kenderdine, directeur de recherche chez le cabinet australien FutureRisk, avait développé plusieurs scénarios, publiés sur The Diplomat.
Dans ce tableau, datant décembre 2020, deux scénarios étaient décrits comme “à suivre” :
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“Forever Xi”
Le premier, “Forever Xi”, développait un comité central dans lequel Xi Jinping devait composer avec les autres factions, notamment à travers Li Keqiang. Ce dernier, ex-numéro 2 du parti et membre de la faction “Tuanpai” (les jeunesses communistes, proches de l’ancien secrétaire général Hu Jintao), était supposément en conflit avec Xi Jinping concernant la gestion de la pandémie de COVID-19.
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“Wilhelmine Sun”
Le second, "Wilhelmine Sun”, développait un comité central dans lequel Xi Jinping nommait un cercle proche (tous membres de la faction de la “Nouvelle Armée du Zhejiang”), prêts à le suivre dans la continuation des politiques “zéro-covid” et dans la réunification violente avec Taiwan. Ce scénario tend à comparer la situation actuelle de l’Empire du Milieu à celle de l’Allemagne de 1914, essayant de se forger une “place au soleil” (entendre colonisation), face aux autres puissances occidentales, notamment l’Empire Britannique et la France. Il est lié à théorie du “piège de Thucydide” se refermant sur les Etats-Unis et la Chine développée par Graham Allison dans son livre “Vers la guerre : l’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide”.
Plus tard, en février 2022, Tristan Kenderdine a approfondi son analyse pour proposer une composition plus affinée du comité central. Dans cette dernière, tous les noms du comité central désigné le 23 octobre y apparaissent avec les supposées factions d’appartenance, bien que les postes ne soient pas exacts.
Ainsi, la sévère gestion de la pandémie de COVID-19, ayant entraîné un ralentissement significatif de la croissance économique de l’Empire du Milieu, qui pouvait laisser imaginer un mécontentement de la part des factions proches des anciens Secrétaires Généraux du PCC, Hu Jintao et Jiang Zemin, ne semble pas avoir empêché le dirigeant de verrouiller le pouvoir et exclure les autres factions du pouvoir. Les cinq autres membres du comité central sont des proches de Xi, nommés pour leur non-remise en cause des politiques “zéro-covid”, ils sont le reflet de la dimension de combat que Xi souhaite donner à son gouvernement. Li Qing, nouveau numéro 2 du régime, est le symbole de cette non-remise en question de la politique “zéro-covid” car c’est lui qui a mené le confinement de la ville de Shanghai, où il était chef du parti avant d’être propulsé à la tête de l’Etat par XI.
Symbole fort de ce verrouillage, la vidéo virale montrant l’éviction d’Hu Jintao d’une des séances du Congrès, devant un Xi Jinping apathique et conquérant. Il est à noter que son éviction, publiquement opérée, relève de la mise en scène dans le cadre d’une opération d’influence. D’ordinaire discret quand il règle ses affaires de famille, Xi a exceptionnellement fait rentrer les médias en séance pour qu’ils assistent et diffusent mondialement l’humiliation d’une des principales figures du PCC. Le message est clair : Xi explicite sa détermination à diriger la Chine d’une main de fer, et c’est sa vision d’un “socialisme chinois moderne” qui dominera face à la recherche de croissance voulue par Hu Jintao et ses proches.
Enfin, dernière indication de la volonté de Xi de rester au pouvoir encore un bon moment : la non nomination d’un héritier ayant pour rôle de reprendre le pouvoir en 2027. C’est la manière dont le pouvoir chinois est normalement transmis depuis la disparition de Mao en 1976, le Secrétaire Général du Parti nomme son successeur au début de son dernier mandat, ce que XI n’a ni fait en 2017, ni en 2022.
Des défis profonds :
– Les politiques “zéro-covid” : Les mesures restrictives pour lutter contre la pandémie de Covid 19 ont profondément ralenti la production industrielle. Cela vaut aussi bien pour les entreprises internationales que pour les entreprises chinoises. De nombreux centres de production, y compris les principaux comme Shenzhen, ne fonctionnent plus qu'à une fraction de leur niveau d'avant la pandémie.
Cette stratégie du “zéro-covid”, qui se manifeste par des confinements très contraignants, a des répercussions sur l'économie intérieure chinoise et sur le commerce mondial. Par exemple, le verrouillage de Shanghai en avril 2022 a non seulement entraîné un ralentissement des échanges chinois en interne, mais a également créé des pénuries mondiales sur de multiples produits, tels que les ordinateurs et les smartphones.
Le résultat étant la réduction du projet de croissance du PIB pour 2022, qui est passé de 5% à 3%, très loin des 10 % annuels que la Chine a l'habitude de connaître depuis 20 ans. Selon des données recueillies par le South China Morning Post, on estime que 4,4 millions de petites entreprises ont fermé entre janvier et novembre 2021, ce qui représente trois fois le nombre d'entreprises nouvellement enregistrées au cours de la même période.
Un grand nombre d'entreprises étrangères s'inquiètent de l'impact des fermetures persistantes sur leurs opérations sur le marché chinois. D'après une enquête menée par le US-China Business Council en juin 2022 auprès de ses membres, 80% d'entre eux déclarent avoir subi des impacts négatifs sévères ou modérés dus aux mesures du COVID et 53 % d'entre eux déclarent que ces mesures ont eu un impact sur l'avenir de leurs affaires et de leurs investissements en Chine. 37 % des entreprises interrogées prévoient une diminution de leurs revenus en 2022. Cependant, même si la confiance des agents économiques étrangers est érodée, elle n'a pas complètement disparu : 86 % de ces entreprises pensent que les dommages sont réversibles.
Au-delà de la crise économique provoquée par les politiques “zéro-covid”, on assiste à une crise sociale sans précédent. De multiples zones urbaines sous confinement tentent de se rebeller. Ces protestations ont des moyens trop modestes pour obtenir quoi que ce soit et sont automatiquement écrasées par les forces de sécurité. Certains cercles intellectuels, souvent situés dans les zones côtières riches, tentent également de fournir des armes théoriques aux manifestants mais se heurtent à l'adhésion des classes populaires aux politiques du parti.
– Crise environnementale : La Chine a connu, ces quatre dernières années, des vagues de chaleur extrême et un manque important de précipitations. L'année 2022 a marqué l'été le plus chaud de l'histoire de la Chine, ce qui a entraîné une forte réduction des récoltes et de la production d'hydroélectricité. Les pénuries d'électricité ont même entraîné la fermeture de milliers d'usines dans tout le pays et dans les principaux centres de production, comme le Sichuan qui a perdu 50 % de sa production d'hydroélectricité. Les autorités ont décidé de rouvrir les centrales à charbon, aggravant une crise de pollution déjà endémique en Chine.
– La menace d’une crise immobilière et financière : Pékin est maintenant menacée par une crise financière systémique qui pourrait avoir provenir du marché immobilier interne, qui est au bord de l'effondrement depuis un an maintenant. L'économie chinoise, pour maintenir un taux de croissance élevé, s'est fortement appuyée sur les promoteurs immobiliers pour construire des milliers de concessions dans tout le pays. On estime que l'immobilier représente un quart de l'économie chinoise. Depuis des décennies, les promoteurs empruntent facilement de l'argent aux banques, vendent des biens immobiliers à des consommateurs qui remboursent les hypothèques aux banques avant même la fin de la construction. Cependant, la fièvre de l'emprunt est devenue trop forte, créant une bulle sur le marché immobilier. Maintenant que la politique “zéro-covid” ralentit sérieusement l'économie chinoise, la valeur des propriétés diminue et les ventes de logements ont baissé de 50%. Les plus grands promoteurs, comme le désormais célèbre Evergrande, se sont trouvés en défaut de paiement, et de nombreuses banques chinoises sont menacées de faillite en raison de la multiplication des boycotts des paiements hypothécaires.
En août 2020, le gouvernement instituait une politique dite des "trois lignes rouges" :
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Ratio passif/actif (hors recettes anticipées) inférieur à 70%.
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Ratio d'endettement net inférieur à 100 %.
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Ratio trésorerie/dette à court terme supérieur à 1.
Si les promoteurs ne parviennent pas à respecter une, deux ou l'ensemble des "trois lignes rouges", les régulateurs imposent des limites à l'augmentation de la dette. Les principaux objectifs étaient de contrôler les prix de l'immobilier, de gérer les marchés fonciers et de rationner le crédit au secteur immobilier.
Le 15 août 2022, la banque centrale chinoise a abaissé les taux directeurs afin de stimuler la demande sur le marché, de maintenir des niveaux de liquidité durables dans le système bancaire et d'aider les gens à payer leurs hypothèques. Avec une épargne intérieure brute parmi les plus élevées de la planète, la consommation intérieure de la Chine ne représente qu'une fraction de ce qu'elle pourrait être. L'un des grands défis auxquels le parti est confronté est de mobiliser ce formidable potentiel d'investissement pour relancer une demande interne qui ne peut plus être alimentée par le marché immobilier.
– Une démographie désavantageuse : Selon les projections 2015 de l'ONU sur la population mondiale, la Chine devrait commencer à perdre des citoyens entre 2023 et 2029. Quand en 1950, 34 % de la population avait moins de 15 ans et 7 % plus de 60 ans, ces chiffres commencent à sévèrement changer aujourd'hui : 15 % de la population chinoise a désormais moins de 15 ans et 15 % a plus de 60 ans. La pyramide des âges du pays s'inverse, et la part de sa population active s'effondre. Selon les projections, en 2050, chaque adulte en âge de travailler aura une personne économiquement dépendante à sa charge. De ce point de vue, la Chine serait dans une situation comparable à celle des pays du monde ayant la charge sociale la plus élevée, comme le Japon ou l'Allemagne, et dans une situation beaucoup plus défavorable que les autres BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). La disparition des dividendes démographiques couplée à un ralentissement économique est un cocktail dangereux pour le parti. La Chine devra mettre en place un système social plus efficace si elle veut maintenir un taux de croissance correct au cours des prochaines décennies.
– La question Taïwanaise : Xi Jinping cherche à entrer dans l'Histoire comme le dirigeant chinois qui a réunifié Taïwan et la Chine continentale. Sous l'administration de Hu Jintao, la réunification avec l'île a été érigée en loi, incluant le recours à la violence si nécessaire. Suite à cet objectif, la politique étrangère chinoise à l'égard de Taïwan est devenue de plus en plus affirmée. Une stratégie qui peut être considérée comme contre-productive car elle n'a fait que renforcer l'identité taïwanaise, en particulier chez les jeunes.
Au-delà du symbole que représente Taïwan pour la Chine continentale, il existe de multiples considérations stratégiques clés derrière la volonté de réunification. L'un des principaux facteurs stratégiques est l'industrie taïwanaise des semi-conducteurs, incarnée par la société mondialement connue Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC). Ses fonderies de puces sont si précieuses pour l'économie mondiale et les complexes militaro-industriels du monde entier, que TSMC est désormais considérée comme l'une des principales garanties de sécurité nationale taïwanaise. Cette garantie est communément appelée le "bouclier de silicium" et TSMC en est le fer de lance avec plus de 90% de la production mondiale de puces. Malgré des investissements massifs, les industries souveraines de puces chinoises et américaines sont encore très en retard en termes de moyens de production et d'innovation. Ainsi, les deux superpuissances sont intrinsèquement dépendantes des capacités de fabrication de puces de l'île.
Pour Washington, un contrôle chinois sur la capacité de production de semi-conducteurs de Taïwan marquerait la fin de leur leadership militaire et technologique. C'est pourquoi les Américains font activement pression sur TSMC et les autorités taïwanaises pour qu'ils développent les capacités de production de l'entreprise sur le sol américain, et la Chine fait tout ce qu'elle peut pour entraver les capacités de TSMC – voire pour lui extorquer des technologies stratégiques par le recrutement d’ingénieur Taïwanais – en sanctionnant l'île. Par exemple, après la visite de Nancy Pelosi à Taipei, les autorités chinoises ont décidé de suspendre les exportations de sable vers l'île.
Pour éviter un conflit militaire, Pékin suit désormais un plan par étapes, combinant des techniques d'intimidation, des sanctions commerciales et économiques, des cyberattaques et des opérations d'ingérence pour atteindre son objectif. Si la Chine devait menacer militairement l'intégrité territoriale de Taïwan, elle serait bien plus exposée aux sanctions économiques occidentales qu'un pays comme la Russie, notamment en ce qui concerne :
– Les produits alimentaires : C'est le cas du soja, dont la Chine ne produit que 20 % de sa demande interne. Une crise alimentaire en Chine, combinée à l'éclatement de la bulle immobilière et au ralentissement économique, ébranlerait le contrat social, et menacerait la légitimité du PCC.
– Réserve de change, concernant principalement la monnaie américaine, qui représente environ 1,8 trillion de dollars sur les 3,1 trillions de dollars de réserves de change chinoises. La Chine est très exposée au gel de ces actifs.
Pour conclure, ce 20e Congrès du Parti Communiste Chinois a marqué un véritable verrouillage du pouvoir politique par Xi Jinping. Ce dernier, s’étant entouré de fidèles à la tête de l’Etat chinois, fait désormais face à de multiples défis à la fois internes et internationaux. La tendance à laquelle nous assistons désormais, du côté américain et chinois, est l’accélération du découplage économique entre les deux superpuissances, sujet qui fera l’objet d’une analyse du Portail de l’Intelligence Economique dans les semaines à venir.
Guilhem Garnier
Pour aller plus loin :
- La Belt and Road Initiative et les Routes de la Soie Numériques : contexte et origines [Partie 1/2]
- La Belt and Road Initiative et les Routes de la Soie Numériques : contexte et origines [Partie 2/2]
- Programme « Mille Talents », captation de savoirs et intelligence technologique : quand la Chine part à la conquête des cerveaux