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[CONVERSATION] Kevin Rivaton, PDG de Cristal Group: “Sur le marché de l’information et du renseignement d’affaires, la France n’a pas à rougir” [Partie 1/2]

À la suite de l’entrée de Cristal Group International au capital de l’éditeur Aleph Networks, son président Kevin Rivaton détaille sa vision et les ambitions de son groupe dans le cadre de l’évolution des métiers de l’intelligence économique et financière, au croisement entre open source intelligence, fraudes numérisées, souveraineté économique et actifs stratégiques et financiers.

Portail de l’IE (PIE) : Pouvez-vous présenter votre parcours et vos motivations pour le renseignement financier et l’IE plus particulièrement ? 

Kevin RIVATON (KR) : J’ai un parcours très classique. J’ai commencé par des études de droit en contentieux d’arbitrage que j’ai fini en effectuant mon service militaire en tant que conseiller juridique dans un régiment (CIJAS). J’ai par la suite intégré une société d’assurance, puis une société de recouvrement de créances chez un des leaders de cette activité en France, pour finalement créer mon groupe. 

 

PIE : Vous avez 25 ans cette année. Que représentent-elles pour vous ? 

KR : 25 ans sont pour moi une fierté. Ma vie avec les salariés est motivée par un engagement et des convictions. En 1997, je crée une société centrée sur le recouvrement et le credit reporting. En 2005, je m’installe à Miami avec mon associé pour l'ouverture de notre première filiale. Nous souhaitions nous engager sur le marché sud-américain et cet endroit nous a paru le plus approprié. C’est le début de notre internationalisation. Nous nous installons ensuite au Panama, à Cancun (Mexique), à Mexico City, à Buenos Aires, au Brésil, et plus récemment au Chili en 2014. C’est dans ce contexte que j’apprends ce qu’est l’intelligence économique et que nous démarrons cette activité. 

Notre croissance et nos opportunités doivent tout aux rencontres que j’ai pu faire. Une fois installés aux États-Unis, nous commençons à vendre de l’IE haut de gamme – il faut savoir que les grands acteurs de l’IE d’aujourd’hui comme Avisa Partners n’existaient pas encore. Il y avait alors AtlanticRisk&CoAxis et Geos, ou encore l’ADIT, mais l’IE restait un micro-marché. 

Fin 2010, un autre tournant a lieu lorsque je rentre en France. Je crée le service IE à Lyon en m’entourant des meilleurs : Jean-Michel Caffin (ancien d’Axis), le général Mathian (ancien directeur technique de la DGSE) pour créer Cristal Cyber, Jean-Benoît Beaudoux, Christophe Berjonneau et Guillaume Raulet (anciens de la DGSE) pour développer notre offre africaine. 

La troisième étape a lieu avec l’acquisition de Celteam créée par Patrice Guichard, docteur en cyber-criminalité. À partir de ce moment, nous développons une offre cyber en forte croissance : le service compte bientôt 10 personnes et il nous est aujourd’hui impossible de répondre à toutes les demandes. Nous avons également créé une application de sécurisation des télécommunications, FrogTrust, actuellement en cours de validation auprès de l’ANSSI. Cet outil a la particularité d’avoir été développé par un général de la DT français (Direction Technique des services de renseignement du ministère des Armées) et d’être hébergé dans des serveurs français. Elle sera payante mais nous la considérons déjà comme l’une des plus sûres d’Europe. 

 

PIE : De quelle façon vous projetez-vous désormais dans les années à venir, et comment voyez-vous votre société et le marché de l’IE évoluer ? 

KR : Aujourd’hui, la révolution numérique est en cours, et personne ne peut se permettre de passer à côté. Depuis 10 ans, nous proposons des recherches en OSINT sur le darkweb. Nos collaborateurs, comme Patrice Guichard, sont présents sur cette partie d’internet. Ils sont en capacité de négocier dans des cas de ransomware ou de fraude au président. Notre présence sur le darkweb apporte de la valeur ajoutée à nos rapports. Aujourd’hui, si vous échappez à cela, la valeur concurrentielle de vos projets sera nettement réduite. Un rapport OSINT livré par une société peut être très bénéfique, mais un rapport qui inclut une étude de votre trace numérique ou réputation sur les réseaux sociaux et le darkweb vous permet de franchir un palier en termes de qualité. 

Les étapes de Cristal dans les années à venir sont donc les suivantes : renforcer et faire évoluer notre savoir-faire sur le darkweb et la finance. Sur le terrain de l’intelligence financière, la société ne craint personne aujourd’hui. Notre métier évoluera également en fonction des zones géographiques. 

Le marché de l’IE est un marché qui va peser lourd dans les prochaines années et je porte un regard très simple sur ce sujet : il y a un leader, l’ADIT, et heureusement qu’il est là pour la défense des intérêts français. Mais il y a tellement de place, de besoins et de business à faire sur le marché de l’IE, de la finance et de la cyber, que je ne perçois pas les autres entreprises comme des concurrents à part entière.

 

PIE : Pourquoi vouloir attaquer le continent africain, et pourquoi avoir choisi l’Île Maurice pour le faire ? 

KR : Tout d’abord, je précise que Maurice n’est plus une place offshore puisque l’île a passé ses impositions de 3 à 15%, rentre dans la liste des pays qui ont modifié leur législation fiscale et participe à l’échange des données entre les pays. Nous avons donc choisi cet emplacement pour nous placer sur le marché de toute l’Afrique australe et centrale. 

D’autre part, nous disposons déjà d’une dizaine d’employés dans un bureau à Abidjan, dirigé par Lika Doukouré-Szal et qui ne fait que du credit reporting. Maurice a donc été choisi grâce à des rencontres faites sur place, pour sa stabilité économique, et l’absence de concurrents dans cette zone géographique précise. L’évolution de Cristal se fera également de façon géographique, en se déployant là où les entreprises d’IE ne sont pas. Nous avons 14 agences dans le monde, représentant un réseau de sources permanent. Et je suis certain que le métier est à l’internationalisation. Pour moi, l’Europe est déjà très concurrentielle. Par exemple, le chiffre d’affaires 2023 prévu et déjà engagé de notre nouvelle agence à l’Île Maurice est d’ores et déjà du même ordre que celui que nous réalisons en Angleterre.

 

PIE : On observe également une convergence entre les acteurs de la veille et ceux de l’édition de solutions OSINT – nous pensons par exemple à votre partenariat avec Aleph Networks. Les sociétés d’IE essaient de remonter la chaîne de valeur pour la maîtriser. Quelles sont les raisons pour vous d’investir un éditeur de solutions OSINT ? 

KR : Parce que c’est l’avenir du métier. Nous avons décidé d’investir dans Aleph Networks après la rencontre de son dirigeant, Nicolas Hernandez. Cette entreprise propose une base capable d’agréger des centaines de milliers de données sur le darkweb automatiquement. L’outil permettra notamment d’extraire des chaînes de liens entre des personnes ciblées et de créer un profil complet et automatique de leurs relations. Les bases de données que l’on possède chez Cristal Celteam sont beaucoup plus nombreuses que celles d’Aleph, mais ils savent les automatiser. L’objectif de cette collaboration est donc de créer une grande base de données qui automatise les recherches. 

 

PIE : Plus globalement, et au regard de vos implantations en France et à l’international, quelle analyse faites-vous des succès et des revers de l’IE en France par rapport à ceux de ses équivalents anglo-saxons, chinois ou sud-américains ? 

KR : Les États-Unis sont évidemment précurseurs et représentent 85% de la concurrence. Néanmoins, il circule en France une vision très théorique de l’IE, mais innovante. Le marché français a su prendre le virage de la cyber et maintenir ses réseaux acquis au fil de l’histoire dans de nombreuses parties du monde. En Europe, le leader du renseignement reste toutefois Hakluyt, fondé par des anciens du MI6 qui opère un chiffre d’affaires d’environ 70 millions d’euros d’IE. 
 

Propos recueillis par Olivia Luce

 


La seconde partie de cette interview est parue le 21 décembre. Kevin Rivaton répond en détail aux questions du Portail de l'IE sur l'avenir des marchés financiers et le rôle central de l'intelligence économique pour permettre aux États et entreprises de se prémunir contre les risques d'attaque ou de prédation. 


 

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