Huawei fait, depuis quelques années, l’objet d’accusations et sanctions commerciales. Jugée trop proche du gouvernement chinois, pour qui elle mènerait des opérations de cyberespionnage, la présence de Huawei dans le déploiement de la 5G industrielle en France fait débat. Le gouvernement français tente ainsi de faire marche arrière quant au développement de la filiale Huawei France.
La 5G industrielle : de quoi parle-t-on ?
La 5G industrielle est une technologie au service de la numérisation de l’industrie. Plus performante et plus sécurisée, son déploiement permettra aux entreprises de développer leur structure et le réseau des flux de données et penser leur agilité et leur sécurité. Elle se présente comme une alternative aux réseaux WI-FI dont les limites de performance sont de plus en plus contraignantes face aux multiplications des flux de données et une puissance de plus en plus grande.
En effet, la 5G industrielle répond à deux enjeux majeurs, à savoir celui de l’agilité et celui de la performance. Dans un premier temps, la première différence qu’on peut retrouver avec un réseau WI-FI classique est la notion d’architecture globale c’est-à-dire, ce qui est relatif au positionnement des antennes et aux connexions, qui sont plus agiles grâce au réseau d’accès sans fil. De plus, cette technologie plus sécurisée de par sa conception que ses predecesseurs, devrait également renforcer la protection des données stratégiques, nouvel or noir pour l’univers concurrentiel de l’industrie.
« La 5G est […] porteuse d’innovations de rupture nécessaires à la mise en œuvre de l’industrie du futur. Son appropriation rapide par les industriels français est un levier essentiel pour la compétitivité de notre économie, à court comme long terme », introduisait ainsi le communiqué de presse du gouvernement sur le déploiement de la 5G industrielle.
Développement de la 5G industrielle en France : nouveau marché, nouveaux enjeux
La 5G industrielle fait partie des missions attribuées au Conseil national de l’industrie (CNI) pour soutenir la souveraineté des industries françaises. Dans ce contexte, la mission 5G industrielle lancée en octobre 2021, a pour objectif de favoriser le dialogue entre acteurs industriels et télécoms et donc de faire émerger les besoins, d’identifier les freins à son déploiement pour établir une stratégie pour un déploiement rapide. Philippe Herbert a été chargé par les ministres de diriger cette mission. Dans ce groupe de travail on retrouve également des représentants des principaux acteurs de ce marché comme les groupements d’entreprises ou les entreprises elles-mêmes. Parmi elles figurent : Ericsson France, Fives, Orange Business Services, Nokia France, Capgemini Invent, etc.
L'enjeu majeur du déploiement de la 5G est le gain de performance pour les industries et un enjeu de leur compétitivité alors que la numérisation des procédures augmentent. Les réseaux de 5G industriels et privés permettent notamment aux industries de bénéficier de leur propre antenne et de leur propre réseau sécurisé, tout en préservant une haute performance de réseau et une latence minimale.
Source : Cycle national 2019-2020, ihest.fr
L’écosystème de la 5G industrielle comprend différents acteurs comme les fournisseurs, les opérateurs, les intégrateurs, les industriels et l’État. Dans le cas de cet environnement naissant, l’État a pour mission principale de favoriser et de construire un environnement encadré, bénéficiant d’investissements, afin de permettre aux industries d’accéder à cette technologie et favorisant son développement. Les industriels désireux de s’équiper de ce réseau devront choisir leur opérateur, leurs fournisseurs de software et de hardware en fonction de leur besoin et du niveau de confiance qu’ils donneront à leurs futurs partenaires.
Cela étant, dans le but de garantir au mieux la protection des données sensibles et stratégiques de ses industries, l’État français impose une première sélection pour les entreprises étrangères.
Garantir la protection de nos données
Pour préserver au maximum ses industries des fuites de données dans le cas où une société étrangère serait choisie pour gérer leurs réseaux, la France a adopté une première loi le 1er août 2019. La loi 2019-810, également appelée la « loi anti-Huawei », a pour objectif de « préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles ». En effet, en tant que fournisseur mondiale des équipements 5G, l’entrée sur le marché français du géant chinois pourrait porter atteinte à l’environnement concurrentiel si celui-ci n’est pas correctement régulé.
La présence de Huawei sur le territoire français, vu d’un très mauvais œil par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), ne fera pas l’objet d’un « bannissement total » avait précisé Guillaume Poupard, son ancien directeur. Cependant, le gouvernement français favorise le déploiement de ses concurrents européens tels que Nokia et Ericsson, jugés moins dangereux pour la protection des données françaises que la société chinoise. Ainsi, parmi les quatres opérateurs mobile français, Orange, Free, Bouygues Telecom et SFR, les deux premiers ont choisi de faire installer leurs antennes 5G par des fournisseurs européens, à savoir Ericsson et Nokia. En revanche, les deux autres ont indirectement à faire avec Huawei au travers de leurs fournisseurs.
Les installations des antennes du groupe chinois sont désormais soumises à autorisation, délivrée par l’ANSSI qui favorise et incite les industries à choisir les équipementiers européens. De plus, ces autorisations, comme celles dont disposent Bouygues Telecom et SFR, sont soumises à une limite de temps. Ainsi, arrivées à échéance, il est fort à parier que les autorisations ne soient pas renouvelées et que ces derniers devront se tourner vers d’autres fournisseurs dans quelques années. En effet, les deux opérateurs français avaient, en premier lieu, contesté cette décision pour « distorsion de concurrence » face à Orange et Free et avaient réclamé une compensation, laquelle leur a été refusée.
Cette décision gouvernementale aura un impact direct sur l’activité de SFR et Bouygues Telecom qui pourrait prendre un retard dans le développement de la 5G. Ce dernier annonçait notamment le retrait de pas moins de 3 000 antennes de Huawei d’ici 2028 en plus d’une interdiction d’en implanter dans certaines villes, ce qui ne laisse que peu de doute quant à la perte de clientèle que cela va représenter.
Cependant, les précautions envers le groupe chinois ne sont pas nouvelles. Déjà en 2015 une structure de surveillance avait été montée par le service de l’intelligence économique de Bercy (le SISSE). Cette cellule baptisée « Cerbère » regroupe les ministères de Bercy, le Quai d'Orsay, de l'Intérieur, de la Défense et la de Recherche, les services de renseignement et l’ANSSI, et a pour objectif de surveiller les actions du groupe chinois en terme de stratégie de développement et de partenariat notamment sur le sol français.
Le lobbying en réponse aux restrictions
Huawei est soupçonné d’être à l’origine de pratiques d’espionnage pour le compte du gouvernement chinois. Accusé en premier lieu par Washington, plusieurs autres États en Europe n’ont pas attendu très longtemps pour se ranger derrière les États-Unis et poser des restrictions à l’équipementier chinois. Et pour cause, Huawei semble assez proche de Pékin et pourrait mener des actions de cyberespionnage. Rappelons au passage qu’une loi chinoise de 2017 oblige les entreprises à collaborer avec les services de renseignement du régime. De plus, le passé militaire du fondateur et président-directeur général, Ren Zhengfei, et son adhésion au Parti communiste chinois laissent peu de doute quant à sa proximité avec le gouvernement.
Dans l’affrontement entre la Chine et les États-Unis, ce n’est pas la première fois que Huawei fait les frais des accusations de la part de ces derniers. En 2018, Meng Wanzhou, vice-présidente et directrice financière de Huawei Technologies, est arrêtée au Canada sur demande de Washington pour réseau financier illicite vers l’Iran, alors sous embargo américain. Cependant, Meng Wanzhou n’est pas seulement la directrice financière de l'enseigne, elle est aussi la fille aînée de Ren Zhengfei. Les États-Unis ne s’en sont donc pas seulement pris à un haut dirigeant de Huawei mais aussi à un membre d’un duo entrepreneurial et familial puissant, à la tête d’une entreprise qui fait la fierté de la Chine et dont la fille est pressentie pour en reprendre la direction un jour. Cette arrestation a eu pour la Chine l’effet d’une attaque directe envers le pays tout entier et d’une déclaration de guerre d’influence dans le domaine de la technologie. En 2019, la Chine avait même employé les termes de « terrorisme économique » face à l’administration Trump.
Pour faire face à ces pressions, l’équipementier chinois déploie une stratégie de lobbying très active pour remporter le bras de fer avec les Américains et les sanctions établies dans plus en plus de pays. Chaque part de marché est bonne à prendre et l’Europe fait partie du haut de la liste. Selon une enquête du Monde de 2021 mettant en évidence son lobbying en la matière, Huawei France aurait dépensé plus de 400 000 euros pour renforcer son influence, à travers des rencontres avec de hauts responsables politiques français, des députés, des membres de ministères et d’autres lobbyistes.
Récemment, en novembre 2022, le groupe Huawei avait organisé pour la troisième fois au restaurant Le Laurent à Paris, un dîner d'affaires avec une douzaine de parlementaires. L’objectif principal du dîner aux frais du géant chinois, était d’aborder le développement de la 5G industrielle en France. Parmi les invités pressentis, était notamment convié le responsable de la mission 5G industrielle, Philippe Herbert. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), suivant de près les actions lobbyistes menées sur le sol français, a décidé en accord avec le président de la mission, d'intervenir pour limiter cette campagne, mettant en garde contre les pratiques offensives du groupe en matière de lobbying.
Face aux sanctions menées envers le géant chinois, il est donc à espérer que les fournisseurs européens puissent profiter de ces parts de marché pour se développer. Dans le cadre du Plan de Relance et du Programme des Investissements d’Avenir, le gouvernement a participé au financement du réseau de 5G privé d’Alcatel Submarine Networks déployé par Free et Nokia et inauguré en décembre 2022. Établir une stratégie européenne commune serait un moyen de garder la mainmise sur un savoir-faire et sur la souveraineté de son développement, et permettrait de protéger un peu plus les données des industries françaises et européennes des plus sensibles.
Alexandra G.
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