Qwant, un échec de plus dans la souveraineté numérique ?

Loin du modèle triomphant de la startup nation et des acteurs européens du numérique au service de la souveraineté de l’Union, Qwant s’est démarqué en début de semaine. Le moteur de recherche français, qui a annoncé être à la recherche de nouveaux investisseurs, est-il au bord du gouffre ?

Le moteur de recherche Qwant a pourtant tout d’une success story à ses débuts en 2011. Il a tout d'abord attiré des investisseurs importants comme le groupe de presse allemand Axel Springer qui devient en 2014 actionnaire à hauteur de 15 %, la Caisse des Dépôts qui investit 15 millions à partir de 2017, ou encore la Banque européenne d’investissement qui lui accorde un prêt de 25 millions d’euros. Qwant devient par la suite le moteur de recherche par défaut dans des villes françaises (Paris, Nice, Rennes), des régions (Haut de Seine, PACA), le Parlement, ou  des grandes entreprises comme Thalès, Safran, France Télévision et Radio France. Le groupe prend ainsi une place importante dans le récit de la souveraineté numérique française en se revendiquant dès ses débuts comme un anti-Google, justifiant la présence de Bruno Le Maire et Mounir Mahjoudhi lors de l’inauguration des nouveaux locaux en 2019.

Souverain, gardant les données sur le sol européen et respectant la vie privée, Qwant n’utilise ni cookies pour pister les consommateurs, ni fingerprints pour les traquer. Pourtant, le moteur de recherche se trouve aujourd’hui dans une situation délicate qui l’amène à se questionner sur son modèle économique et de gouvernance.  

Sur le plan financier d’abord, Qwant accuse entre 2011 et 2020 des dettes cumulées de 40 millions d’euros, alors que l’entreprise a bénéficié sur la même période de 12 millions de crédits d’impôt et n’a jamais payé de TVA. Chiffres auxquels doivent s’ajouter une somme de 3 millions due à l’URSSAF et des capitaux propres négatifs de 21 millions. 

Sur le plan de la gouvernance ensuite, avec l’entrée en fonction d’une nouvelle direction en juillet 2021 pour tourner la page d’Eric Léandri, le fondateur historique du groupe. Il fut mis à l’écart en raison de son « caractère volcanique, voire impétueux », de la politique salariale des hauts dirigeants jugée inégale, et d’annonces trop hâtives comme les services de mail ou de paiement en ligne qui ne virent jamais le jour. 

Sur le plan économique aussi, à travers la part de marché du moteur de recherche, qui ne dépasse pas 1 % en France (contre 92 % pour Google) alors que le groupe affichait comme ambition en 2013 d’atteindre 15 % des parts en 5  ans.  

Enfin, deux éléments doivent être soulignés en matière de souveraineté numérique : selon un audit réalisé par la direction interministérielle du numérique en août 2019, 63 % des résultats obtenus sur Qwant proviendraient de Bing ; de plus, le prêt de 8 millions d’euros demandé par Qwant à Huawei en juin 2021 – sous forme d’obligations convertibles – donne au groupe chinois la possibilité de convertir ses obligations et de devenir actionnaire minoritaire entre « 5 à 7,5 % » du capital. Cette opération permet ainsi à Huawei de peser dans les décisions stratégiques de l’entreprise française. Au vu des soupçons d’espionnage industriel qui pèsent contre Huawei, cette alliance a de quoi questionner, alors que Qwant reste le moteur de recherche par défaut des smartphones Huawei en France, en Italie et en Allemagne. Pour conquérir le marché européen, l’argument de vendre des téléphones promettant de respecter la vie privée  peut-il devenir un argument… chinois ?  

 

Arnaud Sers
 

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