Ils sont chargés de faire entendre la parole des autres. Ils sont jeunes et sont employés dans les cabinets de lobbying les plus réputés de la place parisienne. Ils sont la nouvelle génération et le Portail de l’IE a voulu les écouter et leur donner la parole afin de comprendre leur parcours, leur rapport à l’intelligence économique, leur vision du métier et de leur avenir en tant que jeunes professionnels. Aujourd’hui, parole à Guilhaume Jean, 29 ans, Manager en Affaires Publiques et Communication chez Wemean mais aussi Président de l’association des Jeunes Lobbyistes .
Portail de l’IE (PIE): Bonjour Guilhaume, merci d’avoir accepté cette interview. Tout d’abord, comment êtes-vous devenu un professionnel de l'influence?
Guilhaume Jean : Merci tout d’abord pour cette invitation et de me donner l’opportunité de m’exprimer dans votre média !
J’ai un parcours assez hybride : j’ai d’abord commencé par des études littéraires en faisant une prépa Hypokhâgne-Khâgne, puis j’ai enchaîné avec une approche davantage « sciences humaines » par un master de Géographie puis de Géopolitique co-habilité par l’ENS-ULM et Paris 1 Panthéon-Sorbonne. J’ai ensuite fini ma formation académique en étudiant les sciences politiques dans le Master Affaires Publiques de Sciences Po Paris. En parallèle de mes études, j’ai réalisé un certain nombre d’expériences professionnelles en milieu politique (collaborateur parlementaire au Sénat puis auprès d’une maire d’arrondissement à Paris), j’ai participé à des campagnes présidentielles (notamment lors de la primaire de la droite et du centre en 2016… à l’époque où la primaire n’était pas un gros mot) et j’ai travaillé ensuite dans les affaires publiques et la communication, d’abord dans un cabinet de conseil dédié, puis à la Direction des Affaires Publiques du Groupe ADP. C’était un moment très fort car j’y ai alors pris mes fonctions au moment où tout l’écosystème institutionnel du transport aérien avait été bouleversé par la vague des élections présidentielles puis législatives de 2017 !
En 2018, j’ai rejoint le cabinet de conseil aux dirigeants « WEMEAN » lors de sa création : ma première mission fut d’y créer et développer l’offre Affaires Publiques aux côtés des “partners”. Depuis, j’y manage principalement la practice « Affaires Publiques Positives » avec la conviction que l’impact positif d’une entreprise est devenu une condition d’impact auprès des pouvoirs publics. J’accompagne des dirigeantes et dirigeants d’entreprises dans leurs relations avec les pouvoirs publics, leurs prises de paroles institutionnelles et leur positionnement. Et depuis, c’est une formidable aventure collective intellectuelle, personnelle et professionnelle !
Et si je peux me permettre, je ne suis pas certain que le terme « influence » recoupe vraiment notre métier , dans la mesure où il renvoie à une image fantasmée et négative de notre métier alors qu’il consiste justement à apporter une expertise matérielle et politique auprès du quotidien du dirigeant d’entreprise. On est moins des spin-doctors de l’ombre que des sparring-partners engagés !
PIE: Qu’est ce qui vous a attiré vers ce métier ? Le côté un peu sulfureux du métier en France ou le volet défi intellectuel ?
Guilhaume Jean : Honnêtement, je pense que ceux qui recherchent le sulfureux dans le métier de lobbyiste sont rapidement déçus et plient bagages dans les 24 heures. C’est pas non plus forcément évident d’expliquer pendant un dîner en quoi notre métier n’a pas à souffrir d’une présomption d’illégitimité… Mais cette hystérisation autour du lobbying est fondée avant tout sur une méconnaissance de nos activités et de nos méthodes.
Pour ma part, c’est davantage le côté intellectuel, stratégique et politique du métier qui a résonné en moi : en bon passionné d’histoire que je suis, j’ai la conviction que ce sont les idées, et ceux qui les portent, qui font avancer le monde. J’ai toujours voulu travailler avec ceux qui plaident ces idées dans le débat public et qui contribuent ainsi à la société. C’est aussi pour cela qu’après avoir travaillé avec des politiques, j’ai choisi de m’orienter vers le conseil aux dirigeants afin de les accompagner dans leurs questions stratégiques, de relations avec les pouvoirs publics et de confrontation des idées.
En vérité, je suis convaincu que les métiers des affaires publiques sont une composante essentielle du politique et de la démocratie : c’est parce que nous sommes capables, en tant que lobbyistes, de plaider des positions dans le débat d’idées auprès des décideurs politiques et au sein des institutions républicaines que nous participons pleinement et légitimement à la vie démocratique de notre société. Oui, le lobbyiste porte un éclairage de la décision publique, et est en cela une aide précieuse à la décision. Mais ma conviction personnelle est qu’il participe aussi – et surtout – à la confrontation des idées dans notre démocratie en portant les propositions qu’il représente : il ne fait pas de la politique (il ne prend pas de décision ni ne l’exécute) mais est un acteur du politique dans les affaires de la « cité » (il tente d’inspirer la décision en plaidant ses idées et propositions). D’ailleurs, il n’y a souvent de lobbying possible que dans des sociétés où le débat démocratique existe et est garantie par des institutions indépendantes : difficile de faire du lobbying dans une dictature ! Sans démocratie, peu de lobbying possible. D’ailleurs, les décideurs politiques ont eux-mêmes consacré la valeur démocratique de notre profession en lui donnant une légitimité institutionnelle dans la loi Sapin 2.
PIE: Selon vous, quelle est la plus grosse plus-value que vous apportez à vos clients?
Guilhaume Jean : Je crois que nous leur apportons avant tout de l’intelligence politique : c’est-à-dire une force d'analyse, d’adaptation par rapport à la complexité des normes, de l’adaptation par rapport aux agendas et des interlocuteurs et d'idéation pour ajuster en temps réel nos stratégies et connecter nos clients aux attentes et aux codes institutionnels ; grâce à notre connaissance des canaux officiels et officieux d’informations et et d’actions des décisions publiques.
Les dirigeantes et dirigeants que j’accompagne ont besoin d’abord de décrypter l’enchevêtrement des normes publiques et des procédures parlementaires, législatives et réglementaires (qui ont chacune leurs règles écrites et leurs coutumes tacites réservées aux initiés). Nous aidons également nos clients dans l’adaptation de leurs argumentaires, postures et stratégies en fonction des interlocuteurs que nous rencontrerons, de leurs problématiques et de leurs agendas afin de connecter leurs positions avec leurs attentes. Enfin, les entreprises et organisations font également appel à nous pour les aider à « sortir du cadre » : c’est un engagement quasi quotidien de notre part d’alimenter sans cesse avec de nouvelles idées la conduite de la stratégie d’affaires publiques pour adapter le plaidoyer de l’organisation et cranter son impact institutionnel. C’est là un vrai rôle de sparring partner, au service de l’impact du plaidoyer, afin d’être identifié et écouté avec empathie et adhésion dans son lobbying.
Depuis la crise du Covid, la survie des entreprises en France et le quotidien de leurs dirigeants et dirigeants n’a jamais été aussi tributaire des décisions politiques des pouvoirs publics. Désormais, il va être de plus en plus indispensable pour toute entreprise que de savoir se faire identifier et considérer par les élus nationaux et locaux publics en sachant créer et entretenir avec eux de telles relations de travail, et encore plus avec le retour de l’Etat et des Régions aux côtés des entreprises dans cette gestion de crise économique et sanitaire à Paris et dans les territoires.
De même que l’intelligence économique permet de capter et croiser de l’information pour adapter sa stratégie, l’intelligence politique permet de mieux comprendre le contexte et l’agenda dans lequel s’inscrit une information, afin d’en décrypter le contenu, lire entre les lignes et identifier les possibilités d’interactions et d’actions opérationnelles.
Souvent, des clients viennent nous voir car ils ne savent pas comment plaider leurs positions, ne comprennent pas le langage ni les agendas des décideurs politiques, les codes et les procédures des institutions publiques… Ils ont alors le sentiment d’être face à un mur d’incompréhension et de complexité face à l’enchevêtrement des normes et des acteurs publics qui les gouvernent. Parfois, il y a encore un fossé entre le mode d’action d’un décideur économique et celui d’un décideur politique : chacun obéit à un agenda contraint, à des centres d’intérêts bien identifiés et s’inscrit dans un environnement complexe mais normé. Il faut alors savoir faire preuve d’intelligence politique pour adapter en continu son discours, ses messages et ses arguments face à ses interlocuteurs, et ainsi gagner en impact dans son plaidoyer. C’est crucial pour être capable de transformer un prétendu intérêt particulier en un intérêt collectif, et ainsi mieux inspirer la loi et la réglementation de demain qui répondent à la fois aux attentes des citoyens tout en intégrant la réalité économique des entreprises !
Je me souviens encore de représentants d’organisations professionnelles qui rencontraient certains de mes anciens patrons politiques : les entretiens coupaient parfois court quand on ne parvenait pas à identifier concrètement ce qu’ils étaient venus nous demander, ou quand certains n’avaient pas les codes politiques et institutionnels qui s’imposent officieusement à ces échanges. A la question « que puis-je faire pour vous ? » succédaient souvent des paroles maladroites et hasardeuses, voire incompréhensibles, et l’entretien débouchait rarement sur quelque chose de constructif pour notre interlocuteur.
Cela ne serait jamais arrivé avec un bon lobbyiste à leur côté pour les conseiller, les former et les accompagner ! Car c’est justement là que le lobbyiste apporte toute son intelligence politique : comment adapter mon message par rapport au parcours, à l’agenda et aux intérêts du décideur politique, comment prioriser ses objectifs, quelle idée retiendra l’attention de mon interlocuteur, comment manier le langage verbal et non-verbal, gagner l’empathie pendant le ON et le OFF de l’entretien… Ou plus généralement, comment adapter sa stratégie au vue de la procédure législative, de l’agenda médiatique et des jeux institutionnels avec leurs multiples codes et détours réservés aux initiés.
On retrouve ici les mécanismes de l’intelligence économique dans le maniement et le croisement des sources d’informations. Mais tout l’intérêt consiste à savoir lire entre les lignes en combinant analyse humaine et statistique, contextualiser et analyser une donnée brute, et en tirer une information qualifiée pour son client. Par exemple, pour être très concret, on analyse très régulièrement la “force politique” que représente un parlementaire en croisant plusieurs données, comme le nombre d’amendements déposés par rapport à ceux qui ont été acceptés, ceux qui ont été soutenus contre ou avec l’avis du Gouvernement / du Rapporteur, l’analyse lexicale de ses interventions en commission puis en séance publique pour identifier ses sujets de prédilection, ses dernières positions de vote, les réponses obtenues à ses questions écrites, le nombre de questions aux gouvernements obtenues… autant de sources qui nous permettent de quantifier et qualifier un rapport de force pour mieux l’intégrer à nos stratégies d’affaires publiques.
L’intelligence politique sert aussi à mieux faire comprendre les messages et argumentaires du monde économique auprès du monde institutionnel : notre avantage en tant que lobbyiste va être de rajouter du politique dans les arguments économiques. Parce que nous maîtrisons les contraintes, les attentes et les codes du monde institutionnel et que nous connaissons tout aussi bien ceux de l’entreprise, nous sommes capables de créer du lien entre ces deux écosystèmes et d’organiser une véritable interaction entre les deux. Loin d’être des passe-plats ou des rentiers du réseau, nous sommes plutôt des médiateurs capables d’identifier des intérêts communs, de connecter les écosystèmes et de créer des opportunités de compromis avec cette philosophie : tous parties du problème, donc tous parties-intégrantes de la solution !
Notre quotidien est ainsi fait : nos clients font appel à nos idées pour identifier de nouveaux leviers d’actions et d’identifier de nouveaux sujets d’interactions avec les pouvoirs publics afin de devenir durablement des partenaires de la décision publique. C’est là aussi la conviction que nous portons avec WEMEAN pour un « Lobbying Positif »® : c’est-à-dire résolument engagé pour contribuer auprès des pouvoirs publics en identifiant des opportunités de travaux (plutôt que de pression ou de frein, et ce d’autant plus en période de gestion/sortie de crise), et au moyen d’une méthode dite « positiviste » qui veille à objectiver au mieux les positions plaidées par l’organisation sur la base d’éléments étayés et de retours d’expériences les plus tangibles possibles. Comme on parle de droit positif, nous avons fait le choix de parler de lobbying positif.
Et bien entendu, je ne reviens pas sur ce qu’un de mes collègues vous a très bien dit sur l'hétérogénéité de nos champs d’études et la diversité de nos expertises qui apportent professionnalisme et hauteur de vue à nos clients. C’est aussi ce qu’ils viennent chercher chez un partenaire « conseil » pour savoir sortir du cadre et adopter des stratégies innovantes.
En somme, les métiers de l’intelligence économique et de l’intelligence politique ne poursuivent pas les mêmes objectifs mais utilisent de plus en plus les mêmes ressorts logiciels et méthodes : nous avons tout intérêt à travailler ensemble… et en « bonne intelligence »
La suite de l'entretien le mercredi 30 juin
Propos recueillis par Pierre-Guive Yazdani
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