La pérennité des câbles sous-marins est cruciale pour maintenir la souveraineté économique française puisque les transactions financières ainsi que l’ensemble de l’activité industrielle et administrative du pays sont reliés à l’interface des câbles sous-marins.
Les câbles sous-marins représentent le système nerveux de l’infrastructure Internet. En effet, 99% des flux de données passent aujourd’hui physiquement par ces câbles. Ils sont répartis au fond des océans et ils garantissent l’accès Internet aux différentes populations du globe. De ce fait, ils représentent aujourd’hui un enjeu géopolitique majeur. Leur importance stratégique rend alors nécessaire l’étude de leurs enjeux et de leurs potentielles évolutions stratégiques afin d’assurer la résilience française.
Il est essentiel de faire le bilan des vulnérabilités existantes afin de cartographier les risques liés, qu’ils soient d’origine malveillante ou non. Tout comme il faut se protèger d’une attaque, il est essentiel de se prémunir des accidents qui peuvent entraîner des conséquences négatives. L’installation et l’entretien d’un câble sont des opérations périlleuses, les accidents liés à la traversée des navires ou à la faune marine sont également à prendre en considération. La plus grande menace à l’encontre des câbles sous-marins reste la cyberattaque. Une cyberattaque de grande envergure à l’encontre des câbles sous-marins pourrait paralyser des parties entières du globe et grandement déstabiliser des États.
Le positionnement des câbles sous-marins est donc devenu un sujet central pour assurer la résilience des puissances étatiques en termes de connexion au réseau Internet.
La France, principal point d’entrée d’Internet en Europe
La France possède à la fois une ouverture naturelle sur l’Océan Atlantique et sur la mer Méditerranée, ce qui lui donne un rôle central à jouer pour assurer la connectivité du continent européen.
La France est le pays le plus connecté de l’Union européenne. Actuellement 23 câbles sous-marins sont reliés au territoire français, ouvrant sur des connexions atlantiques, méditerranéennes ou encore sur le canal de Suez. SeaMeWe-3, posé en 1999, relie directement la France au Japon en passant par 40 atterrissements et 40 000 km de câble. Cette liaison se fait à Penmarch, à la pointe sud du Finistère, commune de 5 000 habitants. Sans le savoir, la station posée à Pors Carn est devenue une plateforme cruciale pour acheminer Internet sur le sol européen. Ainsi, Lannion, Plérin, Veules-les-Roses, Cayeux-sur-Mer ou encore Le Porge sont les villes qui assurent le maintien de la France dans le cyberespace mais également une partie des usagers européens qui ne bénéficient pas d’une ouverture maritime. Le HUB français du câble sous-marin n’est autre que la plus grande cité portuaire de France : Marseille. La cité phocéenne est reliée à elle-seule à 10 câbles sous-marins qui offrent une ouverture sur l’Orient ou sur l’Afrique. Marseille est donc un point névralgique de la connectivité française, européenne et africaine.
La protection physique de ces câbles est un réel enjeu stratégique. Le Japon dépend essentiellement de ses câbles pour assurer ses interactions internationales notamment après avoir découvert les problèmes de coupure qu’ont engendrés le tsunami de 2011. La mise hors service des câbles reliant le pays à Internet aurait des conséquences dramatiques pour ce pays insulaire tant au niveau politique, économique, social ou militaire. Un endommagement des câbles peut ainsi plonger le territoire insulaire dans un blackout total, du jour au lendemain. Les législations internationales et européennes mettent tout en œuvre pour protéger l’intégrité physique des câbles autant dans les fonds marins qu’au niveau de leur jonction avec la terre ferme. La première convention internationale en ce sens date de 1884.
Le Brexit : potentielle menace pour la connectivité française et européenne
Afin de comprendre la structure d’Internet, il est pertinent de déconstruire le problème et d’analyser le cas de la « déconnexion » politique du Royaume-Uni à l’Union Européenne. Dans la mesure où la France, permet de connecter les ressortissants de l’UE, la question du nouveau statut du Royaume-Uni se pose. L’entrepreneur indien Sunil Tagare, PDG de Open Cables Inc., avait annoncé la pose d’un câble sous-marin reliant Marseille à New York du nom de « Brexit-1 » en 2017. Derrière le caractère ironique du nom, Sunil Tagare prévoyait des incertitudes sur les intentions du Royaume-Uni puisqu’il ne bénéficierait dès lors plus du « Privacy Shield » signé entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Le Royaume-Uni pourrait donc se permettre de taxer la bande passante transitant par son territoire. Toutefois, l’étude réalisée par Alan Mauldin, chercheur chez TeleGeography et expert en câbles sous-marins, n’indique aucun impact significatif sur la qualité de la connectivité du Royaume-Uni après l’annonce du Brexit. Il souligne par ailleurs que plusieurs opérateurs ont décidé de contourner le Royaume-Uni en faveur de pays européens des suites de l’annonce en 2016.
Les GAFAM sont particulièrement intéressés par la problématique des câbles sous-marins. Depuis 2010, la multinationale américaine Google a investi dans 15 câbles sous-marins dont 5 lui appartenant exclusivement. Autre acteur américain, l’entreprise Facebook a également investi sur le déploiement d’une dizaine de câbles. De leurs côtés, Amazon et Microsoft sont entrés sur le marché des câbles sous-marins avec notamment de gros enjeux pour AWS, filiale de services numériques d’Amazon et leader des technologies « Cloud ». L’enjeu pour ces géants d’internet est de déployer une infrastructure qu’ils maîtrisent de bout-en-bout, augmentant ainsi la performance de leurs services tout en leur rapportant des parts de marchés. Comme le trading à haute fréquence qui a permis de déployer un câble en fibre optique entre New York et Chicago pour augmenter la vitesse de transmission des ordres.
Il apparaît également que les enjeux ne sont pas seulement maritimes. En effet, l’ambitieux projet des « Nouvelles Routes de la Soie » chinoises s’accompagne de routes « digitales » où seront également déployé des câbles en fibre optique. Une première portion a été acceptée entre le Pakistan et la Chine pour créer une liaison avec le câble PEACE liant la France à l’Afrique du Sud en passant par le canal du Suez, mais d’autres portions devraient par la suite voir le jour en Asie centrale.
L’ambition chinoise sur le contrôle des câbles sous-marins attise des tensions diplomatiques entre la Chine et les États-Unis. Le contrôle des câbles équivaut en réalité au contrôle de la transmission des informations à l’échelle internationale. Washington renforce sa vigilance sur l’intégrité des câbles reliant les deux pays car les risques d’espionnage ne sont pas négligeables. C’est pourquoi l' U.S. International Developement Finance Corporation a annoncé le 12 Mars 2020 que le plus grand câble sous-marin du monde reliera bientôt les États-Unis à Singapour plutôt qu’à Hong-Kong.
Après analyse il est important de souligner que les câbles sous-marins ne sont pas des infrastructures infaillibles malgré leur haut degré de criticité. La souveraineté numérique d’un État est aujourd’hui, garantie par sa capacité à protéger ses infrastructures critiques et la France mobilise des moyens concrets pour garantir sa connectivité à Internet ainsi que la résilience de son réseau. Toutefois, il convient d’être vigilant face à la dépendance toujours plus forte des États-nations aux systèmes d’information, au réseau Internet, et à la manière dont ceux-ci peuvent être corrompus car il est aujourd’hui impossible de garantir un risque zéro.
Méki Touri et Alia Saadi pour le Club Cyber de l’AEGE
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