Le 19 janvier, Reuters a annoncé que la Malaisie et l’Indonésie envisageaient une campagne conjointe en Europe pour contrer les critiques envers l’huile de palme. Responsables de 85% de l’exploitation mondiale, les deux pays s’élèvent contre les menaces commerciales que porte le Green Deal européen au secteur. Une mesure qui met une nouvelle fois l’Europe face à ses contradictions politico-économiques, inaugurant un monde industriel qui ne peut plus ignorer l’éthique. Lobby contre lobby, c’est avant tout une nouvelle guerre d’influence qui se dessine.
Il y deux jours la Malaisie a porté plainte devant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) contre la directive "Énergies renouvelables" dite "Red II" prévoyant de bannir l’huile de palme des biocarburants raffinés hors d’Europe, à horizon 2030. L’Indonésie avait elle-même déjà lancé une procédure similaire devant l’OMC en 2019, toujours en cours. L’alliance entre ces deux rivaux industriels est inédite et porte les stigmates d’une guerre informationnelle ayant fait de l’huile de palme un paria. Bien que les prédictions amènent à penser que ce commerce en Indonésie et en Malaisie pourrait respectivement rebondir en 2021 de 1,8% et 2,4%, la réelle crainte est celle des conséquences juridiques du Green Deal. Si le secteur agro-alimentaire de l’huile de palme venait à être concerné par les restrictions, c’est 80% de la production qui serait alors touchée.
En lançant une telle campagne en Europe, l’Indonésie et la Malaisie, via le Conseil des pays producteurs d'huile de palme (CPOPC), déclarent la guerre aux restrictions qui découlent des campagnes d'influences faites contre l’huile de palme. Le contre-feu pourrait s’apparenter à celui que les industriels du tabac avaient lancé en 2015, dont le financement était assuré par les grandes sociétés de plantation, et porté par des sociétés de relations publiques spécialisées. L’équivalent pour l’huile de palme pourrait bien être sous la forme d’un front en association avec des ONG favorables à son usage comme la Roundtable on sustainable palm oil, prônant l’existence d’une huile de palme durable.
L’offensive des géants de l'huile de palme et de leur lobby semble s’adresser autant au Green Deal européen qu'à l'Union européenne. En effet, les lobbies occidentaux parmi lesquels Greenpeace, les Amis de la Terre, ou encore WWF, ont considérablement influencé l’opinion en matière éthique sur la question. Mises en avant par une enquête menée par l’Associated Press, les dérives l’exploitation de l’huile de palmier sont la déforestation (notamment dans la forêt de Bornéo) mais aussi le travail forcé, le travail d’enfants, ou encore le trafic d’êtres humains. Les entreprises directement visées par ces enquêtes sont pourtant occidentales comme Unilever, L'Oréal, Nestlé et Procter. & Pari.. financés par des banques elles aussi occidentales telles que Deutsche Bank, BNY Mellon, Citigroup, HSBC et le groupe Vanguard .
Face à cela, l’Union européenne qui est le 3e acheteur de l’Indonésie et de la Malaisie en huile de palme, risque de fâcher ses partenaires commerciaux, en discréditant avec elle son Green Deal européen. Car si d’une part une bataille se profile sur ce marché, donnant à l’Union européenne le bon rôle, cette dernière néglige d’autre part l’affaire du coton chinois issu de l’esclavage des Ouïghours. Un dossier sur lequel les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont pris une longueur d’avance en annonçant des boycotts, alors que l'Union lance, elle, de nouveaux accords d'investissement avec la Chine. Un début d’année compliqué pour Bruxelles, qui en dit long sur les perspectives à venir de la guerre économique.
Clémentine Balayer
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