Bruno Le Maire renforce l’arsenal français destiné au contrôle des investissements étrangers

Huit mois après avoir confirmé la baisse annuelle du seuil de contrôle des investissements étrangers de 25 à 10 %, le ministre a décidé de renforcer le contrôle des investissements étrangers (IDE), en l’élargissant «aux activités d’extraction et de transformation des matières premières critiques». Cette nouvelle mesure permettra la protection des succursales françaises de sociétés étrangères, tout en tenant lieu de nouveau rempart en faveur de la protection de la propriété intellectuelle.

Bien que la mesure sur les 10% définitifs ait été prorogée jusqu’à fin 2023, le Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique voit en le contrôle des investissements étrangers un instrument essentiel de la souveraineté économique. En France en 2022, 65,8% des investisseurs étrangers ne sont pas d’origine européenne, “131 opérations d’investissements étrangers dans des entités françaises sensibles ont été autorisées par le Ministre, et 70 autorisations ont été assorties de conditions pour préserver les intérêts nationaux” selon Emmanuel Moulin, Directeur Général du Trésor. Ces investissements sont effectués à 23,7% en direction d’activités sensibles par nature, à 51,9% dans le secteur des infrastructures, biens ou services essentiels. 

Selon Marie-Anne Lavergne, ex-chef du bureau Contrôle des investissements étrangers en France à la direction générale du Trésor, la multiplication de ces contrôles partout dans le monde “témoigne des craintes d’ingérence étrangère et des risques de dépendance stratégique”. La France prend peu à peu la mesure de l’importance de se doter de mécanismes de contrôle et a étendu progressivement le champ des secteurs soumis à autorisation. Alors qu’en 2005 seules les activités relatives au secteur de la défense et de la sécurité étaient protégées, un élargissement en 2014 avait notamment fait entrer dans le statut protégé les activités d’approvisionnement en eau et en énergie. Depuis, cinq décrets relatifs aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable ont été adoptés afin d’élargir cette liste. L’élargissement aux activités d’extraction et de transformation des matières premières critiques, dernier en date, a d’ailleurs été inscrit par Bruno Le Maire comme une protection supplémentaire face à la Chine qui a récemment restreint l’exportation de ses métaux stratégiques. En effet, afin de sécuriser sa filière de semi-conducteurs, la Chine impose depuis août 2023 des restrictions à l’exportation de gallium et de germanium dont elle est le premier producteur mondial. Ce regain protectionniste vient d’être suivi par l’Allemagne qui a annoncé en août 2023 vouloir soumettre à examen préalable l’acquisition de licences et abaisser le seuil de contrôle des IDE dans des secteurs comme les semi-conducteurs pour réduire sa dépendance à la Chine.

Dans un contexte de déséquilibre entre attraction des investissements étrangers et souveraineté économique, la protection au niveau de l’Union européenne demeure succincte. Un mécanisme de coopération existe depuis l’établissement d’un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union européenne en 2019. Ce cadre prévoit un système de coopération avec notamment la notification de ces investissements à la Commission européenne et à l’ensemble des États membres pour des motifs d’ordre public ou de sécurité. Toutefois, en 2021, seuls 18 pays de l’UE disposaient d’un mécanisme de filtrage des IDE. Cette nouvelle mesure vient s’inscrire dans la nouvelle dynamique européenne de “reconquête d’une souveraineté minérale” que vient appuyer le règlement Critical Raw Material Act publié par la Commission européenne le 16 mars 2023. Certains États européens ont également initié des discussions avec l’Ofremi (Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles) dans le but de créer une “capacité d’intelligence économique publique sur les métaux critiques”. 

Si la France a décidé d’aller plus loin et de se prémunir davantage d’ingérences étrangères, beaucoup reste à faire pour protéger la propriété intellectuelle. On peut notamment penser ici au manque de vigilance et de la vulnérabilité des universités souvent prises pour cible et victimes d’espionnage d’étudiants internationaux

Eloïse Calohard

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