L’exposition universelle de Dubaï 2020 représente une occasion favorable de renforcer l’image d’un pays qui se veut résolument moderne et tolérant. Les efforts annoncés en matière de tolérance et droits de l’homme peuvent-ils résister à la réalité des faits ?
Le 1er octobre 2021 a eu lieu l’inauguration de l’exposition universelle de Dubaï 2020, reportée en 2021 suite à la pandémie de COVID-19.
L’exposition universelle, qui est installée dans une zone désertique en périphérie de Dubaï, arbore des constructions aux formes organiques et démesurées, à l’image des projets architecturaux pharaoniques de l’État. Toutefois, l’ambition étant d’être une des expositions mettant le plus en œuvre le développement durable a poussé les organisateurs à montrer leur engagement dans cette direction. Cela s’est traduit par l’intégration de panneaux photovoltaïques sur de nombreux bâtiments, l’usage de matériaux recyclés dont du béton pour les aires de stationnement ou des installations économes en énergies, parasols pour les zones extérieures. L’exposition universelle de Dubaï est l’opportunité idéale pour l’État d'exercer la diplomatie publique et d’améliorer son image. Elle cumule en effet des précédents remarquables : c’est la première exposition universelle organisée au Moyen-Orient, et la plus grande, avec 192 pays participants. Les organisateurs ont déboursé plus de 7 milliards de dollars pour construire l’exposition et attendent plus de 25 millions de visiteurs jusqu’au 31 mars 2022.
L’Expo 2020 dans la stratégie émiratie
L’Expo 2020 est un jalon majeur dans la stratégie émiratie de soft power. Il faut tout d’abord rappeler le contexte qui a amené les Émirats à développer cette stratégie. Le nouvel ordre mondial né à la suite de la première guerre du Golfe n’a pas renforcé l’équilibre mondial. Au contraire, en termes économique, social et politique, cette période a vu l’augmentation des conflits armés, des crises économiques et environnementales. La zone moyenne orientale a connu depuis 1991 une recrudescence des conflits, notamment le conflit en Irak, en Syrie, l’exacerbation des tensions avec l’Iran dans le Golfe ainsi que le conflit entre le Yémen et la coalition menée par l’Arabie Saoudite.
Nous voyons aussi une remise en cause des États-Unis comme superpuissance hégémonique dans la région, particulièrement avec le renforcement de la présence chinoise. Le projet des nouvelles routes de la soie chinoises est vu comme une opportunité pour les Émirats pour se positionner dans un Nouveau Monde multipolaire. Les Émirats arabes unis se préparent depuis quelques années à devenir une puissance économique et financière incontournable au rang mondial. L’objectif de devenir le meilleur pays du monde en 2071 a clairement été annoncé.
Pour atteindre ce but, les Émirats arabes unis ont lancé un certain nombre d’initiatives sur le thème de la tolérance, de la paix, de l’aide humanitaire, ainsi que le développement d’un programme spatial. Tout cela s’inscrivant dans une volonté de devenir une superpuissance au soft power affirmé.
Abou Dhabi a donc choisi une position de puissance pacifique ouverte au commerce et toutefois capable d’assurer une certaine autonomie en matière de sécurité, grâce à une armée moderne et bien équipée.
Les axes de soft power
Il est intéressant de mettre en lumière les éléments de soft power mis en place par les Émirats. On observe que c’est en 2017 que le gouvernement des Émirats a officialisé sa stratégie de soft power, en créant la même année un conseil (UAE soft power Council) qui a rendu public le contenu de la stratégie. Le mot d’ordre de celle-ci est « accroître la réputation mondiale du pays à l’étranger en mettant en valeur son identité, son patrimoine, sa culture et la contribution des Émirats arabes unis au monde ».
Cette stratégie est déclinée en 4 axes :
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L’économie, les sciences humaines, le tourisme, les médias et la science.
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Promouvoir les Émirats arabes unis comme porte d'entrée vers la région.
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Devenir une capitale régionale de la culture, de l'art et du tourisme.
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Asseoir une réputation de pays moderne et tolérant qui accueille tous les peuples du monde.
Cette annonce est venue officialiser une stratégie déjà en application depuis un certain temps.
Pour illustrer le niveau d’engagement des Émirats dans les actions de soft power des thèmes évoqués, nous pouvons citer quelques initiatives illustrant les moyens mis en œuvre sur les différents axes :
Axe Tolérance :
Les Émirats ont lancé depuis 2012 des actions pour se positionner comme acteur majeur de la tolérance et de la paix, notamment en lançant le « Hedayah » (guidage en arabe) pour contrer les extrémismes violents, le « Sawab Center » avec les États-Unis en 2015 afin de donner une voix aux musulmans opposés au terrorisme et aux dérives religieuses. En 2017, ils créent l’Institut International pour la Tolérance et un Conseil Global pour la tolérance (GCTP).
En novembre 2018 est organisé le premier sommet mondial de la tolérance à Dubaï (WTS). En décembre, un comité national suprême pour la tolérance est établi et 2019 devient « l’année de la tolérance », la même année est créée un « prix de la tolérance ».
Axe humanitaire :
Les EAU sont de plus en plus engagés dans l’aide humanitaire depuis les années 2000.
Le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) souligne que les EAU sont les plus gros donateurs d’aide humanitaire en 2017 avec 19,38 milliards d’AED.
Axe culturel et scientifique :
Dans le domaine du livre, le salon international du livre de Sharjah (SIBF), qui a lieu tous les ans depuis 1982, est un lieu de référence pour le livre aux Émirats.
D’autre part, le Louvre Abu-Dhabi, né d’un projet de collaboration culturelle entre la France et les Émirats en 2007 a été inauguré en novembre 2017.
Programme spatial :
Aspect moins connu, les Émirats ont développé un programme spatial qui répond à l’ambition d’être la première puissance spatiale de la région. Outil prestigieux sur le plan de l’image vis-à-vis du monde, le programme spatial répond aussi à une volonté de posséder des connaissances technologiques avancées. Tout cela contribue à l’autonomisation des Émirats dans le domaine des hautes technologies, de la recherche scientifique et de l’innovation.
Les réalisations se concrétisent par :
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La conception dans les Émirats de satellites d’observation terrestres, dont un envoyé en orbite en 2018.
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Un programme d’astronautes avec le premier astronaute émirati envoyé dans la station spatiale Internationale en septembre 2019.
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Une mission d’exploration planétaire avec l’envoi dans l’orbite de mars d’une sonde d’observation réalisée en collaboration avec la Nasa.
Positionnement sur les énergies renouvelables :
Le quartier général de l’Agence Internationale de l’Énergie Renouvelable (IRENA) est situé à Abou Dhabi, positionnant de facto les Émirats comme interlocuteur privilégié pour le marché des énergies renouvelables. Le projet de Masdar City, financé par Mubadala, fonds souverain d’Abou Dhabi, est une “éco-cité”, ville zéro déchet, produisant son énergie grâce à des panneaux solaires et l’eau à l’aide de désalinisateur. L’objectif initial d’attirer 50 000 résidents peine à être atteint, la ville n’en comptant que 1 300 en 2018.
Développement économique :
Abou Dhabi est positionnée au 8e rang des centres financiers internationaux du classement (GFCI). Ce dernier gère la réglementation des marchés financiers ainsi que juridiques des Émirats, basés sur les règles anglo-saxonnes. Il permet de répondre aux besoins des investisseurs locaux et internationaux.
Infrastructures et ports :
Abou Dhabi construit des infrastructures portuaires à l’échelle de ses ambitions pour devenir un pôle commercial majeur sur les nouvelles routes de la soie, avec notamment le Port Khalifa et Jebel-Ali. L’aéroport de Dubaï s’est par ailleurs placé comme un hub aérien majeur et dessert le plus grand nombre de destinations dans le monde. Il devrait être dépassé par l’Aéroport international Al Maktoum, à proximité de l’Expo 2020 qui sera le plus grand aéroport du monde et acheminera 220 millions de passagers par an.
L’Expo 2020 se veut le point de rencontre avec le monde sur les thèmes de la durabilité, de la mobilité et des opportunités.
En mettant en regard ces thèmes avec les initiatives de soft power précitées, on peut facilement déduire que l’Expo est le lieu où les Émirats veulent montrer les preuves de leurs efforts. Le cadre minutieusement préparé, la démesure du lieu sont autant d’artifices mettant en valeur les qualités de Dubaï. Le visiteur peut facilement être grisé par la vision pacifique du « Corporate World Order » qui lui est proposée.
Enjeux et difficultés
Les efforts de développements du soft power des Émirats se heurtent à certaines réalités qui pourraient un peu altérer le tableau idyllique montré par l’Expo 2020.
En effet, si la tolérance, prônée comme argument de soft power, permet une liberté à d’autres cultes que l’islam, elle ne s’applique toutefois pas au pluralisme politique. Les Émirats sont régulièrement montrés du doigt par des ONG en raison des atteintes aux droits de l’homme. En septembre 2021, le parlement européen a adopté une résolution qui traite du cas d’un défenseur des droits emprisonné à Dubaï. Ce texte met en lumière une liste de problèmes liés aux droits de l’homme, notamment relatifs aux inégalités des droits des travailleurs immigrés, du système de parrainage (Kafala), du droit de femmes, du tourisme sexuel, de la prostitution forcée, et de l’absence de liberté d’expression dans le domaine politique. Elle invite, entre autres, les entreprises partenaires de l’Expo de Dubaï à ne pas participer à l’évènement. Dans un autre domaine, l’élection d’un général émirati accusé de torture à la tête d’Interpol en 2021 avait aussi fait réagir les associations de défense des droits l’homme ainsi que des élus politiques en France.
Sur le plan de la sécurité, Abou Dhabi a subi, le 17 janvier 2022, une attaque de drones explosifs tirés par des milices Houthis du Yémen, soutenues par l’Iran. Cette attaque a eu lieu bien que les Émirats ne soient plus impliqués dans la coalition contre les Houthis au Yémen depuis 2019.
Cette attaque ayant causé le décès de 3 personnes semble rappeler que cette zone est le lieu de tensions géopolitiques importantes, notamment entre l’Iran et la coalition arabe. Cela questionne sur les conséquences d’instabilités sécuritaires maritimes sur les échanges commerciaux.
Ce tour d’horizon des actions de soft power engagées par Dubaï et les Émirats, ainsi que les difficultés et problèmes évoqués, semblent montrer que Dubaï devra encore user d’efforts pour convaincre les acteurs non économiques. Il sera intéressant, en faisant le bilan des 6 mois de l’Expo 2020, d'être attentif aux impressions reçues par les visiteurs et les organisateurs pour juger si l'événement se révélait comme un modèle d’action de soft power.
Carl-Arthus Liva pour le Club Relations Publiques de l'AEGE
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